Nous, scientifiques travaillant dans les domaines de l’écologie, de l’évolution, de l’agriculture, et scientifiques concernés, souhaitons nous exprimer sur la question de la construction du budget de la France. Dans un contexte global tendu, nous constatons :
- Des catastrophes environnementales dans le monde entier dues aux dérèglements climatiques
- Un effondrement sans précédent de la biodiversité, avec des taux d’extinction d’espèces 10 à 1000 fois plus importants qu'avant la période industrielle (fin du moyen-âge)
- L’exposition du vivant à des molécules chimiques qui s’accumulent car elles ne rentrent pas dans les cycles biogéochimiques (plastiques, PFAS, …) s’accompagnant d’une dégradation de la santé humaine et de celle des écosystèmes
- Des tensions géopolitiques très fortes liées à des conflits pour l’accaparement des ressources (terres agricoles, eau, terres rares, énergies, ...) (ex. Ukraine, Tibet, pays d’Afrique)
- Une remise en cause de la science et des libertés académiques
- Un creusement des inégalités sociales
Le budget de la France est un instrument qui devrait permettre d’engager la nécessaire transition vers plus de justice sociale et environnementale.
1. La priorité du gouvernement devrait être un programme environnemental ambitieux afin de préserver l'avenir des futures générations. La préservation de l’environnement ne représente pas un coût mais un investissement pour le futur. Les exemples s’accumulent aujourd’hui sur le coût à long-terme de l’absence de mesures environnementales ou de défaut d’investissement financier dans des infrastructures qui pourraient limiter ces coûts. Certains sont détaillés ci-dessous. Il faut revoir le principe de pollueur-payeur, mais aussi réfléchir à des moyens de mesurer systématiquement l'impact global des polluants et intégrer leurs conséquences pour l’environnement et leur coût à long terme dans les choix d’investissements concernant les infrastructures d’aménagements du pays.
L’exposition des populations humaines aux polluants est la cause de l’augmentation observée de cancers et d’autres maladies, qui génèrent des coûts de prise en charge par la sécurité sociale. La pollution de l’eau est aujourd’hui si importante que certaines communes n'ont plus accès à l'eau potable (1). Il faut aménager des systèmes de filtration (par exemple l’eau osmosée), qui représentent des coûts d'investissement énormes (12 milliards d'euros par an pour dépolluer l'eau des polluants éternels en France, 95 à 2000 milliard pour l'Europe), nécessitent énormément d’énergie et rejettent ces polluants dans l’environnement. Les canicules de l’été 2025 ont fait des milliers de morts en Europe et engendré 43 billions d’euros de perte pour l’économie européenne (2). Ces défauts d’investissement écornent le budget du pays. La France paye chaque année depuis 2023 1.6 milliards d’euros à l’Europe pour n'avoir pas atteint ses objectifs de recyclage des plastiques alors que des solutions existent (3). La France est également condamnée à des amendes de plusieurs dizaines de millions d'euros pour n'avoir pas lutté efficacement contre la pollution des eaux de surface par les nitrates depuis 30 ans (4). Nous risquons bientôt d'être mis à l'amende pour ne pas respecter les normes de pollution de l'air et en même temps de perdre des centaines de millions d'euros d'aide avec l'abandon des zones à faibles émissions.
2. La dégradation de l’environnement amplifie les inégalités sociales. En France, la carte des pollutions multiples se superpose assez bien à la carte de la pauvreté (5,6). Les différents pays du monde ne sont pas égaux face aux crises climatiques. Les pays les plus exposés sont souvent les pays les plus pauvres (7). Ainsi, les questions de justice sociale et de justice environnementale sont intimement liées. Le budget de notre République doit être un budget de justice sociale. En particulier, nous sommes tout à fait concernés par le sous-investissement du pays dans les services publics, qui pourtant sont un moyen efficace et reconnu de compenser les inégalités. Nous sommes encore plus concernés par la préservation des services publics d’éducation et de recherche, qui sont des outils essentiels pour préparer l’avenir et assurer la cohésion sociale et constituent un des investissements publics les plus rentable sur le long terme.
Concernant la recherche, la récente enquête de différentes sociétés savantes (dont la Société Française d’Ecologie et Evolution) montre que moins de 15 % des personnels de la recherche sont aujourd’hui satisfaits de son organisation, son fonctionnement et son financement (8). En outre, le déséquilibre actuel des financements vers les technosciences, au détriment des autres sciences dont par exemple l’histoire ou la géographie, est questionnable.
3. Nous sommes particulièrement concernés par la question de l’agriculture. L’industrialisation des systèmes agricoles à l’échelle mondiale participe aux émissions de gaz à effet de serre, à l’érosion de la biodiversité, et à toutes leurs conséquences. Aujourd’hui le revenu des agriculteurs est remis en cause. La rémunération de la production des ingrédients de notre alimentation devient négligeable (par exemple, lorsque l’on achète une baguette, seuls 4 centimes reviennent à l’agriculteur·ice) au prix d’une augmentation du coût environnemental (pollution par les pesticides, homogénéisation des paysages agricoles, ...). Le budget de la France devrait permettre de :
- Mettre en place des instruments permettant de mieux rémunérer les agriculteur·ice·s, incluant aussi les services environnementaux de l’agriculture.
- Mettre en place les infrastructures nécessaires à la transition agroécologique.
- Considérer la mise en place de la sécurité sociale alimentaire comme un outil de la transition pour repenser les filières et permettre à tous une alimentation saine et respectueuse de l’environnement (9).
Nous demandons instamment à ce que les priorités pour l’établissement du budget de la France incluent la protection de l’environnement ainsi qu’un programme ambitieux de redéploiement des services publics, en particulier dans les déserts administratifs.
Premiers signataires
La liste des premiers signataires est ici pour les scientifiques, et là pour les citoyen.ne.s.
Sources :
- https://reporterre.net/Eau-potable-cancerigene-50-ans-de-scandale-sanitaire
- Usman et al. (2025) http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.5484206
- https://www.franceinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/traitement-des-dechets-plastiques-la-france-mise-a-l-amende-par-l-union-europeenne_6643284.html
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/13/l-europe-condamne-la-france-pour-ses-eaux-polluees_3429170_3244.html
- https://shs.cairn.info/revue-la-note-d-analyse-2022-7-page-1?lang=fr
- https://www.inegalites.fr/Les-communes-pauvres-sont-elles-plus-polluees
- https://theconversation.com/how-global-inequality-hinders-climate-action-247841
- https://www.aefinfo.fr/depeche/737389-recherche-publique-la-communaute-scientifique-alerte-sur-un-systeme-a-bout-de-souffle-college-des-societes-savantes
- https://securite-sociale-alimentation.org/