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Billet de blog 17 juin 2024

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Quand la Philharmonie de Paris donne son bal

Lors du Printemps du bal (mai 2024), les programmateurs n’ont pas pu se résoudre à organiser un bal ordinaire. Ils en ont confié l’organisation à une « Direction artistique », opérant une rupture avec le caractère spontané du bal fondé sur un ensemble de code incorporés par le plus grand nombre. Retour sur un partage du sensible valorisant les œuvres et le spectacle au détriment des pratiques.

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Dans le cadre de ses programmations le temps d’un week-end, la Philharmonie de Paris a organisé Le printemps du bal du 3 au 5 mai 2024, centré plus particulièrement sur les danses et musiques traditionnelles. L’événement comprend un colloque (« Le bal : communion, invention, subversion »), des ateliers pour découvrir les danses traditionnelles et deux soirées, l’une le samedi intitulée « Live cinéma. Territoires continus », l’autre le dimanche intitulé « Le grand bal. Territoires dansants ». Durant le colloque alternent tables rondes et conférences, animées par des musiciennes et musiciens de groupes de musique traditionnelle, des acteurs du monde associatif, des réalisatrices sonores, des sociologues, anthropologues et historiens, les artistes ayant conçu les deux bals, ainsi que des responsables de structures soutenant les acteurs du trad. L’objet bal est examiné sous toutes les coutures, sauf pour ce qui touche aux dimensions politiques d’une forme chorégraphique qui, tout en occupant une place centrale dans notre culture, demeure un impensé des politiques culturelles. Les relations entre les professionnels et les amateurs des mondes du bal trad et les acteurs des mondes de l’art, notamment ceux qui évoluent dans le milieu des danses de scène et de la danse contemporaine, ne sont pas au programme.

Mais la thématique s’invite progressivement, au cours des deux jours, portée par une petite musique autour du mépris dont seraient entourés les musiciennes et musiciens trad. Le chanteur et musicien Christian Pacher1 ouvre le ban en soulignant le regard souvent condescendant que les institutions culturelles portent sur leur travail. Il évoque notamment « les injonctions du ministère de la Culture » pour « dépoussiérer » le bal. Force est de constater que cette mention est parfois relayée par les médias, comme l’atteste justement le titre de l’article que Télérama consacre à l’évènement2. Il continue en analysant ce « mépris » comme « un choix idéologique » privilégiant la culture savante au détriment de l’oralité « qui ne compte pas ». Enfin, il note que les sociabilités du bal sont avant tout collectives et qu’elles tendent à relever d’une « utopie politique pour recréer de la poésie et de la paix ». Ses propos résonnent avec les travaux de la sociologue Nathalie Heinich qui oppose le régime de communauté (qui caractérise le bal) au régime de singularité de l’artiste3. Cette tonalité critique se poursuit avec la musicienne et danseuse Clémence Cognet qui rappelle que les acteurs des institutions culturelles ont une propension à se servir de leurs pratiques. Une pratique populaire « est intéressante en soi » affirme-t-elle, ce que ne semblent pas comprendre les institutions qui « nous réclament une hybridation pour avoir une dignité ». La veille, l’anthropologue Anaïs Vaillant avait pointé les processus de réappropriation culturelle émanant d’artistes contemporains, qui peuvent faire écho aux processus coloniaux du siècle dernier.

Plusieurs participants expriment le sentiment d’être arrivé par effraction dans ce temple de la musique savante. Au cours des deux jours de débat, ce malaise est renforcé par la mise en perspective de ce que ces sociabilités doivent aux structures et aux acteurs de l’éducation populaire. De la fondation de l’association « Les amis de la danse populaire » en 1937 par Mademoiselle Pledge, des travaux de transmission initiés par Pierre Panis et soutenus par le Front populaire, aux interventions après-guerre d’instructeurs musique et danse dans les Écoles Normales d’Instituteur, qui se poursuivent dans les années soixante-dix par le mouvement revivaliste, associant collectage, stages et moments de pratiques subspontanés comme le décrit le musicien Olivier Durif, notamment lors des manifestations du Larzac et de Creys-Malville, l’historien François Gasnault met en lumière la trame des engagements politiques qui nourrissent cette dynamique tout au long du XXe siècle. Plus encore, la perspective du bal du samedi soir suscite un scepticisme non dissimulé, conforté par la présentation qui en est faite par Robin Decourcy et Vincent Moon, directeurs artistiques avec Lætitia Carton de ce qui est désigné comme un « Bal Contact ». Pendant que des « passeurs de danse » (Robin Decourcy, Emeline Guillaud et Anatole Lorne) conduiront les participants dans un état de corps propre à entrer dans la « communion » du bal, le vidéaste Vincent Moon filmera les danseurs et mixera les images avec d’autres images de bal et de concert4.

Dans ce haut lieu de la musique savante, les programmateurs n’ont pas pu se résoudre à organiser un bal ordinaire5. Afin qu’il fasse événement, ils en ont confié l’organisation à des artistes regroupés dans une « Direction artistique », opérant une rupture avec le caractère spontané du bal fondé sur une culture et un ensemble de code incorporés par le plus grand nombre. Ils s’inscrivent dans la tradition du détournement du bal par des acteurs issus des mondes de l’art et de la danse contemporaine. L’un des précurseurs en est Michel Reilhac qui invente en 1993 le concept de « Bal moderne » dans le grand foyer du théâtre national de Chaillot à Paris6. La même année, Philippe Decouflé et Pascale Houbin revisitent dans une vidéo danse le P’tit bal perdu, chanté par Bourvil, et dont l’air évoque l’âge d’or du bal et des danses de couple rythmées par son instrument fétiche : l’accordéon. S’ensuivent d’autres formes de créations conduites par des chorégraphes de danse contemporaine et des metteurs en scène qui exploitent l’idée du bal7. Ces processus de réappropriation se nourrissent pour partie du complexe qu’entretiennent les acteurs de la danse contemporaine vis à vis de la culture populaire du bal8. Loin de contribuer à réduire les hiérarchies entre les danses légitimes et les danses illégitimes9, ils tendent bien souvent à assurer la pérennité du partage du sensible10, élaboré depuis un demi-siècle par des politiques culturelles valorisant les œuvres et le spectacle au détriment des pratiques11.

Le « Bal Contact » fait référence à la Danse contact Improvisation apparue aux États-Unis au début des années 1970 dans le sillage des expérimentations de chorégraphes telles que Trisha Brown, Anna Halprin et Yvonne Rainer. Fondée sur le partage du poids du corps dans un mouvement alternatif (donner/recevoir), cette technique du corps, tout en invitant à neutraliser les dimensions érogènes du corps12, a été initialement présentée par Steve Paxton comme une pratique émancipatrice en rupture avec la normalisation des corps et des capacités sensorielles (toucher notamment)13. Mise en pratique lors de jam dans une relation d’improvisation où le lâcher-prise est recherché, elle privilégie aussi bien le rapport au sol que les portés14. Cette forme de « danse performative contemporaine » a connu une diffusion en Europe dans le sillage du développement de la danse contemporaine, puis s’est propagée parmi certains amateurs de bal. À travers les recompositions des paysages du bal en France, des circulations de praticiens ont vu le jour entre disciplines. Dans les années 90, on l’observait entre le tango, la danse contemporaine et le taï-chi. Depuis peu, le Contact Impro, les danses trad, le tango et le foro se trouvent réunis dans des festivals. Ces correspondances entres pratiques témoignent davantage d’une appétence pour les sociabilités et les valeurs symboliques émanant de ces disciplines, que de réelles compatibilités entre culture du corps. De même qu’hier, les danseurs de tango étaient fiers de pouvoir revendiquer parmi leur rang nombre de praticiens de danse contemporaine (danseuses surtout), les danseurs trad le sont aujourd’hui de pouvoir passer des codes d’une bourrée ou d’une mazurka à ceux du Contact. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une technique relevant d’une culture du corps plus proche de la danse contemporaine (exigeant souplesse, étirement, échauffement) que des danses traditionnelles.

La richesse des débats du colloque est modérée par l’ambiance dubitative qui s’installe progressivement parmi les acteurs des danses et musique trad convoqués pour l’évènement. La joie d’être reçu et reconnu par l’institution le dispute à la déception de n’être qu’une virgule dans une programmation qui fait la part belle à la grande musique15. Depuis les années 1980 et l’expérience de la création musicale et chorégraphique « la Marche des mille »16 donnée à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution Française en 1989, les acteurs du trad en France ont à plusieurs reprises expérimenté les gratifications temporaires, source de légitimité éphémère17, vite ensevelie sous l’inertie de représentations leur assignant des étiquettes « passéistes » et « rurales ». Aussi est-il souligné que si cet accueil a lieu le temps d’un week-end, il détiendrait une autre signification et une toute autre portée s’il faisait l’objet d’une programmation ordinaire dans le cadre des saisons de la Philharmonie. En conclusion du colloque, l’une des responsables botte en touche en rappelant le fonctionnement par week-end thématiques de la grande maison. Le sous-texte est clair : « Vous avez la chance et le privilège d’être programmé dans ce cadre. Il ne faut pas non plus trop en demander.18 »

C’est donc dans une ambiance mitigée que démarre le « Bal Contact » du samedi soir. Quatre-vingt-dix personnes attendent dans la salle, pieds nus ou en chaussettes. Le double de spectateurs est disposé sur les gradins. Les participants au bal se situent dans une tranche d’âge allant de 20 à 50 ans. Les personnes plus âgées sont rares. Munis d’un micro-cravate, les passeurs proposent pour débuter un échauffement par trois. Du sol, il s’agit d’accompagner l’un des membres du trio à rejoindre la position debout en trois minutes. La consigne technique est complétée par une autre qui concerne l’aspect relationnel : « mettre du soin et de l’attention » ; ne pas s’interdire de pouvoir dire « Là, je n’ai pas envie ». Puis le groupe est invité à se mettre en marche dans toute la salle en étant attentif aux autres et à soi (« à l’intérieur de soi, il y a un endroit refuge »). Il est encore question de soin mais aussi de consentement, à travers une phase de jeu (« le ressentement du consentement »). On échange des regards et on manifeste « comment cela s’ouvre ou comment cela se ferme ». On est invité à dire « non » et à expérimenter de repousser l’autre en disant « stop ». Puis à dire « oui ». S’ensuit une autre proposition : en levant un doigt en l’air, je trouve un partenaire, puis j’explore d’abord par les doigts, puis les mains, puis toutes les autres parties du corps (coudes, hanches, chevilles, nuque…). Plusieurs duos de femmes se forment, d’autres d’hommes et de femmes, mais de duos d’hommes, point. L’exploration se déploie dans le temps. Les musiciens improvisent autour. Vue depuis les balcons, une masse s’ébroue mollement dans des duos mus par une gestuelle assez uniforme. Quelques duos manifestement plus aguerris techniquement en Contact et en danse contemporaine entament des formes d’improvisation plus audacieuses. Mais globalement, une homogénéité ondoyante l’emporte, à partir de mouvements de Contact qui concernent principalement les mains et bras, c’est-à-dire les parties du corps avec lesquelles nous sommes habitués à saisir tactilement. Les grilles d’aération situées au sol obligent certains à remettre leurs chaussures. Vu de l’extérieur, le contact entre les partenaires apparaît souvent assez rugueux, ce que confirment une danseuse et un danseur participants au colloque. Il convient d’avoir expérimenté le Contact pour se rendre compte qu’il nécessite un échauffement approfondi, des exercices pour se familiariser avec une technique exigeante (partage de la gravité et du poids), et en fin de compte, comme toute discipline, une pratique régulière non seulement pour approfondir la technique, mais également pour entrer dans un état de corps propice à l’improvisation. Depuis le début, les musiciens se sont succédé sur scène. Guidé par ces maîtres de cérémonie d’un nouveau genre, l’atelier dure une heure trente. Avec le groupe Bòsc qui marque la fin de la phase du « Bal Contact », quelques danseurs trad reprennent la main sur la piste. Avec Jacques Puech à la cabrette qui entame un solo, rejoint par Erwan Keravec à la cornemuse, une ronde se forme, balbutiante d’abord, puis grossissante jusqu’à occuper la moitié de la salle. Certains plus aguerris se détachent, telle cette danseuse qui virevolte, proposant de multiples variations avec force vélocité sur la trame régulière de la ronde. Le bal reprend ses formes spontanées, avec un désordre apparent, mais régi par un ensemble de codes incorporés. Après cet intermède piloté par le verbe, le non verbal redevient la norme, autorisant des explorations sensorielles sans en passer par le logos.

Avec le « Bal Contact », et au-delà des intentions vertueuses des organisateurs et des acteurs, on assiste au retour de la hiérarchie, de la verticalité et de la singularité. Une direction artistique, un maître de cérémonie, et un artiste sont requis pour l’animer, contrairement aux bals ordinaires qui ne vivent que par eux-mêmes (soit par les danseurs, soit par les musiciens qui proposent un fil, mais toujours à travers les parties prenantes historiques du bal). Bien moins démocratique que la plupart des danses trad qui composent le répertoire usuel des bals, il nécessite un protocole : « passeur » assermenté, réglementation systématique et verbale du consentement19… Le ticket d’entrée économique (27 euros) n’en fait pas un évènement populaire. La raison tient bien évidemment au nombre de musiciens programmés. C’est donc le prix à payer pour faire évènement : oblitérer l’aspect populaire (en terme économique) qui caractérise ordinairement la tenue de ces bals partout en France. Le ticket d’entrée symbolique exige d’en passer par une découverte de la technique du Contact, qui comparativement à d’autres techniques de danse, n’est pas la plus abordable. À travers cette substitution d’un code démocratique à un autre peu accessible, la culture du bal reste en berne. Ce qui est en question n’est pas la notion de recomposition, car, comme le montre son histoire, elle s’est transmise de génération en génération, avec des coupures, des détours et des recompositions plurielles. Avec le « Bal Contact », nous sommes en présence d’une tentative de réinvention qui, en s’appuyant sur la culture du bal existante, engendre une moins-value, car la technique du Contact ne concerne qu’une minorité. D’une part, cette « réinvention » apparaît en contradiction avec la dimension collective du bal, qui consonne à la fois sur la piste et sur la scène des musiciens ; elle privilégie un régime de singularité où se déploie la carrière individuelle des artistes. L’ensemble de ce dispositif rompt avec l’inscription du bal trad dans l’histoire de l’éducation populaire politique. D’autre part, le recours à la notion de consentement exprimée verbalement réduit la question du désir et plus largement de la sexualité à un binarisme (oui/non) éloigné des revendications du Contact qui, dans les années 70, avait pour ambition de « tout faire pour dépasser la question sexuelle (sans l’ignorer !), en déconstruisant et en recomposant autrement les corps et les regards. 20» Le recours à une autorisation préalable s’explique par le manque de préparation technique qui a pour effet de poser « la question des limites de chacun et des zones de confort dès lors que sont étirées les conventions sociales du toucher, les formes conventionnelles d’intimité.21 »

Avec son « Bal Contact » du samedi soir, la Philharmonie de Paris a réussi à créer un concept « innovant » comme le réclament les acteurs des politiques culturelles contemporaines, friands de « nouveauté », de « changement » et de « vivre ensemble ». Le tout dans une ambiance « bienveillante » car respectueuse du principe du « consentement ». Mais nous sommes passés d’un répertoire de danses variées à l’imposition d’une seule technique22. En cela, cette forme de bal relève d’une « elliptique élitaire », dont Nathalie Heinich a analysé la récurrence dans le domaine de l’art. Elle observe que « dans tous les domaines d’expression artistique, depuis les origines jusqu’à nos jours, l’évolution se traduit toujours par un processus d’ellipse sémiotique au niveau du mode d’expression, c’est à dire une économie des moyens formels (par exemple le nouveau roman par rapport au roman traditionnel...) »23. En marquant sa différence avec le bal ordinaire, cette nouvelle forme de bal renoue avec les opérations de distinction qui caractérisent les propositions culturelles, qui, au lieu de réunir, séparent. Elle apparaît comme un diviseur social alors même qu’elle se présente comme « inclusive ». C’est là toute la force de l’institution culturelle qui permet de renverser la signification d’une manifestation par un habillage sémantique24. Malgré toutes les bonnes intentions, ce bal produit l’effet inverse de ce qui est célébré.

1 Issu de la tradition poitevine, Christian Pacher est chanteur, musicien et danseur.

2 « Techno, tango ou trad-electro : le bal se dépoussière pour rester dans la danse », Léa Bucci, Télérama, 3 mai 2024. https://www.telerama.fr/restos-loisirs/techno-tango-ou-trad-electro-le-bal-se-depoussiere-pour-rester-dans-la-danse-7020287.php – consulté le 6 mai 2024.

3 Nathalie Heinich, 2005, L’élite artistique. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard.

4 « Initié par Robin Decourcy et accompagné par ses complices, le Bal Contact initie et popularise la danse improvisation en une transe progressive de plus en plus débridée. D’une profonde détente aux transports les plus délicats, du solo au quatuor, de la danse de salon à la Rave Party, le Bal Contact chahute et revisite le bal traditionnel tout en redistribuant les cartes du tendre. Aucun savoir n’est prérequis. Tous les genres, tous les corps, tous les âges sont bienvenus, entouré·es des auteurs·trices interprètes et compositeurs·trices les plus inventif·ves de la scène trad expérimental, depuis la roue ! Un focus attentif et ludique est porté sur les enjeux du consentement. » https://www.muraillesmusic.com/news/le-printemps-du-bal-a-la-cite-de-la-musique-paris-du-3-au-5-mai-2024/ - Consulté le 17/5/2024.

5 Celui-ci a eu lieu le dimanche soir, sous la houlette d’une direction artistique (Vincent Moon et Laetitia Carton), et présenté comme une « expérience unique ». Site de Murailles Music, l’un des coproducteurs de l’évènement. https://www.muraillesmusic.com/news/le-printemps-du-bal-a-la-cite-de-la-musique-paris-du-3-au-5-mai-2024/ - Consulté le 17/5/2024.

6 « Quand, en 1993, j'ai lancé le premier Bal Moderne au Théâtre National de Chaillot, dans le sublime Grand Foyer face à la tour Eiffel, j'avais contre moi la quasi-totalité du milieu de la danse. À l'époque, le mot « bal » était totalement ringardisé. Il n'y avait plus qu'un ou deux bals musette au bord de la Marne, pour vieux nostalgiques décalés... C'est d'ailleurs uniquement par gentillesse vis-à-vis de moi que certains chorégraphes ont accepté de créer des chorégraphies, pour ce premier bal. On me reprochait de galvauder l'idée même de la danse. On craignait que je dévalorise la notion de professionnalisme du danseur. » Entretien Michel Reilhac, https://dansercanalhistorique.fr/?q=article/le-bal-moderne-fete-ses-20-ansconsulté le 12/2/2024.  

7 Celles de Philippe Chevalier (« 2000 bals »), d’Odile Azagury (« Champs d’amour »), de David Drouard (« Bal impressionniste ») ou de Carole Errante (« Ballhaus »).

8 Selon Jean-Pierre Cometti, une expression populaire comprend trois sens : un sens quantitatif (répandu) ; celui des mots anglais folk (non élaboré, « fait avec une certaine simplicité d’intention et de moyens ») et popular : habitudes culturelles d’une classe sociale particulière, la plus défavorisée (emplois les plus physiques, les moins qualifiés et les moins rémunérés). Jean-Pierre Cometti (dir.), 2007, Les arts de masse en question, Bruxelles, La lettre volée. Selon les deux premiers de ces critères, les danses pratiquées au bal peuvent être qualifiées de populaires.

9 Christophe Apprill, 2018, Les mondes du bal, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Nanterre.

10 « Le partage du sensible, c’est la façon dont les formes d’inclusion et d’exclusion qui définissent la participation à une vie commune sont d’abord configurées au sein même de l’expérience sensible de la vie. (…) C’est d’abord une question politique puisque pendant très longtemps, les catégories exclues de la vie commune l’ont été sous le prétexte que, visiblement, elles n’en faisaient pas partie. » Palmiéri Christine, 2002, « Compte-rendu de [Jacques Rancière : « Le partage du sensible »]. ETC, Revue de l’art actuel, N° 59, septembre–octobre–novembre 2002, 34–40. URI : https://id.erudit.org/iderudit/9703ac

11 Philippe Urfalino, 2004, L’invention de la politique culturelle, Paris, Hachette. Vincent Dubois, 2012, La politique culturelle, Paris, Belin. Franck Lepage, 2012, « Éloge d’un blasphème ! L’éducation populaire comme posture d’illégitimité radicale », in Éducation populaire, une utopie d’avenir, Paris, Les liens qui libèrent, p. 25-32.

12 Ce qui ne signifie pas d’entraver l’irruption du désir, mais plutôt de la canaliser, afin de lui permettre de se propager dans l’ensemble des parties du corps. Comme l’a observé Jérémy Damian dans ses travaux sur la Danse Contact : «  Parmi les nombreux stages de danse Contact Improvisation auxquels j’ai participé entre 2008 et 2016, pas une fois les discussions ne sont passées à côté de ces évocations de l’intimité, du désir et de la sexualité. (…) Il faut partir de ce constat : la danse Contact Improvisation, en faisant se rencontrer les corps intimement, se frôler les peaux jamais très loin de la caresse, en les emmenant dans des expériences du flow, du lâcher-prise, du jeu et de la sensation, en intensifiant et dramatisant des moments troubles, est un terrain propice à l’émergence du désir et offre des expériences de plaisirs souvent associées ou réservées à ce qu’on nomme "sexualité".» Jérémy Damian, « "Quand mon doigt par mégarde…" Paraphilie et danse Contact Improvisation [bonus en ligne] » Terrain, (« Jouir ? »), 67 | 2017, https://doi.org/10.4000/terrain.16222 – consulté le 14/5/2024.

13 Robert Turner, « Steve Paxton’s "Interior Techniques" : Contact Improvisation and Political Power », TDR : The Drama Review, Volume 54, Number 3, Fall 2010 (T 207), p. 123-135.

14 « Steve Paxton élabore ce qui deviendra, par la suite, une danse en soi : le « contact-improvisation » qui joue à la fois du corps et de la relation ; du corps avec les supports de poids, avec l’équilibre et le contre-équilibre de l’un à l’autre danseur, et de la relation établie entre les danseurs qui sont amenés à se soutenir l’un l’autre. Il s’agit de créer du contact entre deux ou plusieurs personnes ; point d’impact, chute, porté, appui en poussée et contre-poussée de l’une sur l’autre, pour remettre le mouvement en pulsion, ce qui vient bousculer les codes conventionnels de la relation en renvoyant au tabou du toucher. Les enjeux artistiques et historiques rejoignent les enjeux politiques en questionnant les différences sociales, raciales, sexuelles, etc. » Colette Mauri, « Ce qui insiste dans l'acte de danse », Insistance, 2010/1 (n° 4), p. 71.

15 « Nombre d’organisations du secteur des musiques « actuelles » dénoncent le fossé entre « une vision des politiques culturelles élitistes et jacobines et la réalité des pratiques artistiques de nos concitoyens », à la lumière des 9 millions d’euros de budget pour les lieux de musiques actuelles sur l’ensemble du territoire national contre 9,8 millions pour la seule Philharmonie en 2015. » Picaud, Myrtille. « Les hiérarchies musicales. Entre art et argent », Savoir/Agir, vol. 44, no. 2, 2018, p. 25. La catégorie « musiques actuelles » regroupe le jazz, les musiques actuelles amplifiées et les musiques traditionnelles.

16 « "La Marche des Mille" n’a pas été perçue comme un véritable événement, je crois, par la plupart des acteurs et militants de la musique traditionnelle de 1989. Un défilé organisé à la manière des défilés militaires, à Paris, mettant des instruments de musique traditionnelle au service d’une musique rudimentaire, très éloignée de celles qu’ils défendaient, entrait ouvertement en conflit avec les repères idéologiques de l’époque. S’est ajouté à ce problème fondamental la question, d’ordre éthique, des rémunérations : les "sergents recruteurs" étaient très bien payés, alors que les "fantassins" et ceux qui devaient leur faire travailler le répertoire imposé ne l’étaient pas. » Françoise Etay, musicienne, professeure de musique traditionnelle et chercheuse, correspondance par courriels, 2024. Cf. aussi François Gasnault, 2016, « La Marche des mille ou l’apothéose involontaire des musiques traditionnelles », Les Carnets du Lahic – MultiMédia, Lahic / Ministère de la Culture, direction générale des Patrimoines, département pilotage de la recherche et de la politique scientifique. https://www.berose.fr/article3335.html – Consulté le 17/5/2024.

17 Même si dans la période des années 80 et 90, les musiques traditionnelles ont été introduites dans les conservatoires et écoles de musique. En 1987 ouvre le premier département de musique traditionnelle au sein d'un Conservatoire national de région (CNR), celui de Limoges. Tandis que se créent en région des centres dédiés, tel que l’Agence des Musiques Traditionnelles d’Auvergne (AMTA). Françoise Etay, « L’institutionnalisation de l’enseignement des musiques traditionnelles en France. 30 ans d’expériences et d’interrogations », Savoir-faire et transmission des musiques de transmission orale, Actes du 6ème colloque Anthropologie et musique (Constantine, novembre 2015), Alger, CNRPAH, 2019.

18 La posture des opérateurs culturels en charge de cet évènement relève d’une contradiction structurelle que Nathalie Heinich analyse ainsi : « Ce milieu [de professionnels de la médiation] est d’autant plus fragile qu’il se fonde sur une véritable contradiction : il est chargé de défendre un art censé être transgressif des valeurs communes, en marge de la société, alors que depuis vingt-cinq ans il est formidablement soutenu en France par les institutions d’État. Ces gens-là sont donc dans une situation très complexe. C’est pourquoi toute explicitation de ces tensions les met mal à l’aise. » Nathalie Heinich, 2006, La sociologie à l’épreuve de l’art. Entretiens, La Courneuve, Aux lieux d’être, p. 56.

19 La question des violences faites aux femmes et du patriarcat au bal est prise en charge par plusieurs associations et collectifs dans le sillage de Me Too. Citons notamment l’association Les Culottées du bal spécialisée sur la prévention des violences sexuelles, et le collectif Matières Vivantes, qui travaille sur le consentement dans les danses sociales, dont Anne Loyale a présenté au colloque les ateliers et formations pour sensibiliser les danseurs de bal.

20 Ce que « En 1965, la chorégraphe et performeuse Yvonne Rainer, chef de file de ce mouvement, proche de Steve Paxton, énonce ainsi dans son No Manifesto : « non au voyeurisme, non à la sexualité, non à l’empathie. » Jérémy Damian, « "Quand mon doigt par mégarde…" Paraphilie et danse Contact Improvisation [bonus en ligne] », op. cit.

21 Jérémy Damian, « "Quand mon doigt par mégarde…" Paraphilie et danse Contact Improvisation [bonus en ligne] », op. cit.

22 Nathalie Heinich, La sociologie à l’épreuve de l’art. Entretiens, op. cit., p. 14.

23 Ibid., p. 14.

24 « Dans notre culture (…), il y a une guerre inexpiable des langages : nos langages s’excluent les uns les autres ; dans une société divisée (par la classe sociale, l’argent, l’origine scolaire), le langage lui-même divise. » Roland Barthes, 1984, « La paix culturelle » in Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Paris, Éditions du Seuil, p. 114.

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