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Il me semble utile de vous partager ce retour d'expérience, pour aider à saisir plus clairement le réel dans les prisons, dans un contexte médiatique où l’actualité liée à la sécurité et aux prisons françaises occupe une place prépondérante.
Lundi 19 mai, avant de remonter à l’Assemblée nationale, j’ai été invité à animer un atelier sur la citoyenneté et les institutions dans le cadre du Programme de Prévention de la Radicalisation Violente. Ce programme consiste principalement dans la mise en œuvre d’ateliers en détention tout au long de l’année, visant à travailler l’ouverture cognitive et le volet émotionnel. De nombreux sujets sont traités : discriminations, gestion des émotions, citoyenneté, égalité hommes-femmes, individu et société, radicalités, faits religieux, éducation aux médias, etc. La séance s’est tenue devant 3 prévenus et 5 condamnés de la maison d’arrêt de Seysses, avec lesquels j’ai échangé pendant 2 heures aux côtés d’une psychologue en charge de l'évaluation des personnes poursuivies ou condamnées pour des faits en lien avec le terrorisme ou identifiées dans un processus de radicalisation violente. D’autres intervenants extérieurs m’ont précédé pour parler tour à tour des discriminations, de la laïcité, de la République... sur plusieurs formats (conférences, débats, outils de l’éducation populaire, etc.).
De mon côté, j’ai pu échanger avec 8 personnes détenus de la maison d’arrêt de Seysses, qui m’ont écouté avec attention, et questionné sur les missions concrètes d’un député, mais aussi sur le fonctionnement de nos institutions. Ils étaient de jeunes hommes, intéressés, respectueux, curieux, ouverts d’esprit. Ce fut une occasion de mettre des noms, des visages, des vies, des parcours, sur des individus parfois traités comme une masse d’indésirables, noyés dans des statistiques. Voilà un premier exemple du fossé qui sépare les polémiques médiatiques de la réalité concrète du monde carcéral. Contrairement aux idées reçues, la maison d’arrêt n’est pas remplie uniquement de criminels, de violeurs ou de terroristes, mais par des personnes enfermées pour des faits d’une gravité moindre : une pension alimentaire non payée, une conduite sans permis ou un test positif à la THC (molécule active présente dans le cannabis). La plupart d’entre eux ne relèvent pas de la prison, mais plutôt du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) avec un accompagnement de la personne dans un parcours de sortie de délinquance en veillant également à ce qu'elle respecte ses obligations proposées. Les SPIP contribuent à la prévention de la récidive et favorisent la réinsertion des personnes condamnées en concourant à l'individualisation des peines . Le souci est que l’État incarcère par facilité, par économie, ce qui conduit à l’impasse que nous constatons. La France est le pays d’Europe avec le taux de récidive le plus élevé. Dans mes échanges, lorsque j’ai abordé les conditions de travail très difficiles des agents pénitenciers en sous-effectif pour faire correctement leur travail, il n’y a eu aucune contestation, au contraire. Aussi, entre les surveillants et les détenus, au début et à la fin de l’atelier, un apparent respect mutuel, qui détonne avec ce que l’on voit à la télévision, dans les titres des journaux. Et si les relations entre détenus et surveillants sont indiscutablement, souvent, de plus en plus tendues, il faut aussi savoir raconter les moments bienveillants que j’ai pu voir, qui constituent aussi une partie de la réalité.
Je comprends et partage la colère que suscite la répétition de faits divers violents, sordides dans l’information en continu. Il est facile de souhaiter une justice plus dure, impitoyable, pour punir, pour venger. Face à ces défis, il est essentiel de repenser l’échelle des peines et d’investir dans des dispositifs de suivi post-carcéral, de renforcer le suivi de la santé mentale, la lutte contre les addictions. Dès lors, la prison doit-elle rester un simple outil de punition, ou bien doit-elle enfin remplir son rôle de réinsertion et de prévention de la récidive ?
Je souhaite lancer le débat sur ce que l’on attend de la prison. Loin des polémiques, il est nécessaire de réfléchir posément à la problématique carcérale. D’autant plus que l’on constate aujourd’hui l’échec alarmant du double discours qui crie à la sécurité et la répression à tout prix d’un côté, et ne permet pas à la fonction publique policière, judiciaire et pénitentiaire de remplir l’ensemble de ses missions dans de bonnes conditions.