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Dans cette commune, située à 30 km au sud de Toulouse,, le Rassemblement National est arrivé en tête au 2e tour de l’élection présidentielle de 2022. A l’heure où la gauche est de plus en plus boudée dans une partie des campagnes et où l’abandon mène à un vote guidé par la peur et le désespoir, mon équipe et moi-même avons eu envie de proposer un rassemblement, qui a pris la forme d’une fête populaire. Une fête qui visait non pas à attirer des convaincus et à perpétuer cet entre-soi qui caractérise bien souvent les événements politiques, mais une fête qui cherchait à rassembler le plus largement possible les habitants. Le temps d’un après-midi et d’une soirée, des centaines de personnes se sont retrouvées, ont échangé, ont chanté, ont dansé.
Nous avions invité des acteurs essentiels du territoire: les producteurs locaux qui proposent des alternatives au modèle productiviste, les associations qui mènent des combats localement, de la lutte contre la ZFE (zone à faible émission) à la lutte contre la construction d’une prison. Nous avions à cœur de mettre en avant celles et ceux qui promeuvent un autre modèle de société, basé sur la solidarité, l’égalité, le partage et le respect de la nature. Durant l’événement, je tenais une permanence pour échanger avec ceux qui le désiraient. Les passants pouvaient partager leurs opinions en répondant aux questions “comment vivre mieux ?” ou “qu’est-ce qui vous paraît injuste ?” en complétant un mur de paroles. Des jeux en bois et une structure gonflable ont fait le bonheur des petits et des grands. En fin d’après-midi, la musique s’est invitée sur la place, trois groupes de musique ont alors fait chanter et danser le public. Des familles, des personnes âgées, des jeunes, toutes et tous semblaient heureux de partager ce moment ensemble.
Dans un territoire devenu difficile pour la gauche, nous sommes parvenus à démontrer notre capacité à rassembler. De longues semaines en amont, tout un plan de communication a été mis en œuvre dans la circonscription : tractage, boîtage, affichage… Des camarades sont venus nous prêter main forte tant pour la diffusion que lors de l’évènement. A Auribail, village de 220 habitants où Marine Le Pen a atteint un score de 66% aux dernières présidentielles, aucune boîte aux lettres n’a été oubliée. Nous avons sillonné le territoire, en cherchant à toucher celles et ceux qui jamais ne se rendraient à un meeting ou à un rassemblement de la gauche.
De ce point de vue, cette fête a été un franc succès. De nombreux habitants ont observé nos affiches appelant à “la retraite à 60 ans” ou au “Blocage des prix”, ont échangé avec des militants associatifs curieux de leurs activités, ou ont rencontré le député tout en buvant un verre et en gardant un oeil sur leurs enfants qui jouaient.
Se rencontrer, échanger et sortir de la morosité habituelle, voilà qui nous semble essentiel à l’heure actuelle. La violence de plus en plus déloyale des réseaux sociaux, où pullulent menaces et insultes par des comptes sous pseudonymes, épuise les esprits. Les élus sont victimes, et parfois, cèdent à cette pratique désastreuse. Cette guérilla numérique renforce les sentiments haineux et pousse à l’individualisme et à l’inertie. Notre fête populaire avait précisément pour objectif de rompre avec ces fâcheuses tendances. Face à la résignation, il faut moins de numérique, plus de social, plus d’humain et plus de terrain. Et dans les territoires reculés du pays, dans les déserts médicaux et commerciaux, où les services publics ferment, où les agriculteurs sont de moins en moins nombreux, il me semble que la gauche a un intérêt majeur à revenir en force avec des événements comme celui que nous venons de proposer.
En Picardie, François Ruffin a démontré qu’il s’agissait d’une méthode gagnante pour garder le terrain. Grâce aux “ruffêtes” durant 5 ans et pendant sa campagne, il n’a cessé de se tenir au plus près des gens. La vague Le Pen n’a pas emporté le camarade sortant qui a triomphé contre l’extrême-droite dans sa circonscription. Il est depuis le dernier député de gauche du département. Ses méthodes montrent incontestablement le chemin à prendre. Et il n’est d’ailleurs plus le seul à user de ce moyen efficace pour s’adresser réellement à la population. Mon collègue socialiste de l’Eure, Philippe Brun, a lui aussi saisi cet enjeu en organisant peu de temps avant nous une fête populaire. Un autre collègue député, également socialiste, Arthur Delaporte, plaide pour un militantisme joyeux dans son essai Pour un socialisme joyeux coécrit avec l’avocate Sarah Kerrich. Et enfin, un précieux élément, venu conforter notre analyse, le récent livre de Julia Cagé et de Thomas Piketty Une histoire du conflit politique retrace les comportements électoraux depuis 1789. Ce travail très complet atteste que le vote RN est d’abord un vote de colère socio-économique suivant des variables territoriales, et conclut sur la nécessité absolue pour la gauche de “reconquérir les classes populaires rurales” afin de gagner le pouvoir. Cette espérance ne doit pas nous diviser, elle doit au contraire secouer nos consciences et nous faire reprendre confiance en nous : oui la gauche peut gagner.
Le samedi 23 septembre, sur la place du village de Miremont, les habitants échangeaient et dansaient ensemble. C’est un premier pas "pour rallumer tous les soleils"¹. Je souhaite dire à mes collègues députés NUPES et à l’ensemble des élu.es de la gauche de rupture : organisons partout des Fêtes Populaires, des quartiers périurbains jusque dans les plus petits villages de France. Oeuvrons pour réhabiliter la politique dans la joie, et faire vivre nos idées par ce qui les caractérisent le mieux : la fraternité, l’entraide, la bienveillance, le partage, l’égalité.
¹ D'après l'expression employée de Jean Jaurès