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Billet de blog 1 mai 2022

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Fosses maliennes

Un peu comme ces hommes en uniforme que l’on voit à Gossi depuis la caméra d’un drone creuser une fosse commune, les Maliens continuent de s’enfoncer dans le chaos. Et ils ne semblent pas avoir atteint le fond.

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Depuis 2013, d’articles en articles, nous chroniquons la descente aux enfers des Maliens. Un peu comme ces hommes en uniforme que l’on voit à Gossi depuis la caméra d’un drone creuser une fosse commune, les Maliens continuent de s’enfoncer dans le chaos. Et ils ne semblent pas avoir atteint le fond. C’était le 21 avril, dans une base militaire du nord-est du Mali à une centaine de kilomètres de Gao que l’armée française avait évacuée quelques jours auparavant conformément à son plan de retrait du Mali. En mars la tension montait entre les autorités mauritaniennes et maliennes parce que plusieurs dizaines de ressortissants mauritaniens auraient été tués par des militaires à l’ouest du pays. Du 27 au 31 mars à Moura, au centre du pays, sur le fleuve Niger, un grand marché au bétail du centre du Mali, plusieurs centaines de personnes ont été tuées lors d’un assaut mené par les forces armées maliennes (FAMA) appuyées par les hommes du groupe russe Wagner. 203 combattants islamistes éliminés selon l’état-major des FAMA. Au moins le double, pour l’ONG Human Right Watch, dont de nombreux civils, parce qu’appartenant à l’ethnie peuhle, abattus par petits groupes à plusieurs kilomètres de la ville et ensevelis dans des fosses que les victimes devaient creuser elles-mêmes. Un crime de guerre selon l’ONG. Début mars, à Ménaka à l’est de Gao, l’Etat islamique massacrait plusieurs dizaines de civils et de combattants touaregs d’une faction qui avait signé les accords de Ouagadougou en 2015. Les observateurs dans cette région notent que l’ampleur des massacres s’intensifie entre les factions djihadistes. Le 4 mars 27 militaires Maliens étaient tués à Mindoro à la frontière nord du Burkina. On dénombre autant de victimes civiles sur le seul mois de mars 2022 que pendant toute l’année 2021 : plus de six-cent. Autant qu’en Ukraine le même mois. Alors que l’armée française est cobelligérante dans ce conflit, il n’a pas été question du Mali dans le débat présidentiel de l’entre-deux tours.

Ce qui était en 2012/2013 une guerre contre des groupes salafistes venus du nord derrière des revendications d’indépendance de l’Azawad, est devenue, sur fond de djihadisme violent de terrorisme et de représailles, une mêlée ouverte entre Bambaras, Peuhls, Dogons, Touaregs. Elle recycle les vieux conflits inter communautaires et s’est internationalisée avec l’intervention de la France, des pays africains, des pays européens, et depuis peu de la Russie. Une guerre civile avec l’ingérence de puissances étrangères : historiquement le pire des scénarios pour les populations civiles, avec ses fosses communes, les cadavres les mains attachées dans le dos et les exécutions sommaires. La colonne mécanisée, à la hussarde, de janvier 2013, a vite ressemblé à un ensablement tactique pour finir dans ce qu’il faut appeler une défaite de l’armée française.

En parallèle les guerres de l’information et de la communication font rage. Radio France International et France 24 ont été interdites d’antenne au Mali. La vidéo du drone de Gossi qui montre des militaires, probablement russes, filmant des Maliens enterrer une douzaine de cadavres dans une fosse, est la réponse de l’armée française à la tentative malienne et russe de faire croire qu’elle est responsable d’un massacre collectif avant d’évacuer sa base militaire. De leur côté les autorités maliennes accusent la France d’avoir violé son espace aérien avec ce drone. Depuis le début de la guerre au Mali, c’est le nombre de combattants islamistes tués qui justifie a posteriori toute opération militaire. La grave bavure aérienne française de Bounti en janvier 2021 qui fit dix-neuf morts civils, fut un tournant dans la guerre de communication que l’armée française perdit ce jour-là. Alors que la doctrine d’engagement était encore de distinguer les combattants d’un côté et les civils de l’autre, on observe que l’armée malienne, conseillée maintenant par les militaires russes de Wagner, ne semble plus s’encombrer de ces précautions. La cynique précision par les FAMA du nombre de djihadistes tués à Moura (203) veut faire croire que la situation était sous contrôle alors que les témoignages montrent une soldatesque ivre de vengeance. Pendant que l’on paie les opinions publiques avec des mots et des images, les civils maliens le sont avec des massacres.

La doctrine d’engagement des soldats russes qui accompagnent les FAMA est aujourd’hui documentée. Expérimentée en Tchétchénie, développée en Syrie, tropicalisée en Centrafrique, appliquée en Ukraine, c’est la variante du désert qui est à l’œuvre au Mali : pas de quartier, les civils n’ont pas à être sur le théâtre des opérations, on ne fait plus le tri. En choisissant cette voie les autorités maliennes se mettent dans une sorte de symétrie de la terreur avec les combattants de l’Etat Islamique au Sahel et d’AQMI. La longue nuit malienne ne fait que commencer. De nouvelles fosses se creusent.

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