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Billet de blog 1 décembre 2016

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Le dictionnaire des idées reçues du développement

« Pauvre : ne pas lui donner de poisson. » Idées reçues, lieux communs, pensée molle, facilités de langage, discours convenus, enflure des mots : en un mot la bêtise. Et si cette dernière était en définitive la raison profonde de l’échec des politiques de développement en Afrique depuis plus de cinquante ans ? C’est ce que l’on comprend en lisant les définitions des 350 mots du développement.

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Une exégèse des lieux communs de la technostructure développementiste

Aujourd’hui 9 mai, jour de la fête de l’Europe, je commence ce travail d’inventaire, sous l’invocation de Gustave Flaubert[1] et de Léon Bloy[2], géants de la littérature française. Est-ce là manquer de respect à ces deux génies, imprécateurs du Bourgeois et contempteurs de ses idées courtes ? Je ne le crois pas. Je prends certes un risque idéologique en me mettant sous leurs bannières littéraires mais j’assume. Léon Bloy précisait en introduction à son exégèse « De quoi s’agit-il, en effet, sinon d’arracher la langue aux imbéciles, aux redoutables et définitifs idiots de ce siècle ? » Quant à Gustave Flaubert, il écrivait en pensant au Bourgeois « nous ne souffrons que d’une chose, la bêtise, mais elle est formidable et universelle »[3]. Parvenir enfinau silence de l’expert en développement, quel rêve ! L’entreprise, j’en suis conscient, semble impossible, tant la massivité du phénomène qui se présente à nous le rend monstrueux et puisque je devrais moi même me taire. Cependant, pour cette cause qui me semble juste et urgente, j’évacue la contradiction d’un revers de la main et je compte bien mener à son terme mon projet par une démonstration lucide et même joyeuse.

 Le développeur, l’authentique représentant de la technostructure développementiste, c’est à dire celui qui vit de ce qu’il pense être le développement du bénéficiaire de sa compassion, n’ayant été sollicité que par sa conviction et ou par ses intérêts, est nécessairement borné dans sa pensée et limité dans les mot qui l’expriment. Le dictionnaire des concepts qu’il utilise est mince. Ah ! Si nous étions capable de le convaincre de l’inanité de son prêt-à-penser pour qu’il se taise, ne serait-ce que le temps d’un colloque muet, un silence d’or règnerait enfin dans les séminaires sur l’efficacité de l’aide ou la pauvreté dans notre monde globalisé.

 Quand, par exemple, un chargé de programme d’une délégation de l’Union Européenne ou un consultant en évaluation de projet explique avec le sérieux dû à son rang dans la configuration développementiste[4] que : « l’indicateur de ce résultat n’est pas mesurable ; l’hypothèse de ce cadre logique est mal formulée ; Il y a nécessité d’une meilleure gouvernance ; les populations n’ont pas bien joué leur rôle ; il faut respecter le budget ; les équilibres macro économiques ne sont pas assurés ; les pauvres sont résilients ; c’est la préoccupation des plus hautes autorités de l’Etat ; l’atelier de validation a été fait ; nous luttons avec l’aide de nos partenaires contre la pauvreté », qu’arriverait-il si on lui démontrait que chacune de ces bonnes paroles prononcées avec certitude et componction, correspond à des vérités anthropologiques profondes que l’archéologie des mots déterre, en mettant à jour les origines de l’immanence de la construction de notre réalité contemporaine ?

 Quel ne serait l’étonnement d’un représentant résident du PNUD ou d’un chargé de mission d’une ONG caritative, de quelles affres le coopérant et l’expert de la Banque Mondiale en « genre et développement » seraient la proie, si tout à coup, il leur venait à l’esprit que leurs chapelets de lieux communs, d’idées reçues, de formulations fades, fruits d’une vulgate sotériologique du développement, sont réellement dérobés à ce qui fait notre humanité et que, si ils avaient conscience de ce qu’ils disent, leur parole rendrait un autre monde possible, c’est à dire indispensable ? « Il semble d’ailleurs qu’un instinct profond les en avertisse[5] ». Pour s’en convaincre, il faut les écouter prononcer leurs discours d’ouverture ou de clôture des innombrables ateliers et séminaires que l’aide au développement produit, ils ont une petite inquiétude dans la voix mais on entend aussi la foi dans leur action qui est nécessairement bonne pour le bien des populations que l’on aura associé de manière participative à une décision déjà prise avant qu’elles n’aient été consultées. Quand la volontaire internationale récite religieusement que « la participation des populations est obligatoire » et que sa collègue Peace Corps lui répond comme aux laudes, de manière complice « oui, l’expression de leurs besoins a été faite », ces deux jeunes moniales thuriféraires de l’aide au développement ont la conviction qu’elles partagent une mission fondamentale, métaphysique, d’inter culturalité et d’aide aux démunis que leurs habits en tissus locaux, leurs dreadlocks et leur croyance d’être au service de l’autre, traduisent parce qu’elle est inexprimable.

 « Il est trop facile de dire ce que paraît être un lieu commun, mais ce qu’il est, en réalité, qui pourra le dire ? [6] ». Pourquoi, autrement me serai-je recommandé de Gustave Flaubert et de Léon Bloy ? Ces deux personnages hauts en couleur ne furent pas seulement les chroniqueurs de la vacuité de la pensée bourgeoise, ils en furent les herméneutes. Avec autorité et à son corps défendant pour le second, ils ont montré que l’humanité parle par elle même à travers les idéologies politiques et religieuses qu’elle construit à partir de ses propres représentations. Le sarcasme et la dérision étaient leurs meilleurs outils de recherche dans ce que l’immense vide de la pensée du Bourgeois pouvait montrer de l’insondable profondeur de la violence symbolique du pouvoir sûr de sa cause car « l’ironie n’enlève rien au pathétique, elle l’outre, au contraire[7] ». Reprenons ces outils pour nos fouilles dans le chantier à ciel ouvert de la pensée développementiste.

 J’espère que ces deux auteurs accepteraient avec amusement de se voir cités ainsi ensemble dans cette genèse de la pensée sur le développement écrite par un pamphlétaire lui aussi de bonne volonté, qui serait si heureux d’agacer une fois de plus la cléricature développementiste et l’effrayer à un tel point que la lucidité des peuples et de leurs représentants légitimes remettrait à plat tout l’appareillage idéologique, conceptuel et technique de l’aide au développement dont cette technostructure parasite vit. Ce résultat serait obtenu si j’avais la possibilité de démontrer que cette dialectique paresseuse de la raison développementiste est une pensée protohistorique entrée dans l’histoire en quittant à la tombée du jour la lugubre caverne de Platon avec le vol lourd et maladroit de la vielle chouette de Hegel.

Morceaux choisis du dictionnaire des idées reçues du développement (350 entrées)

 Appropriation : La clef du développement. Les bénéficiaires de l’aide s’approprient les objectifs et les résultats de l’aide au développement.

 Quand un projet est un échec, l’évaluateur dira : les bénéficiaires ne se le sont pas appropriés. Cela exonère le bailleur institutionnel du projet et enfonce la maîtrise d’œuvre (l’administration locale) qui n’a, bien sûr, selon l’évaluateur, rien fait pour assurer cette appropriation.

 Etymologie.  Emprunté au bas latin appropiare, composé de proprius, propre. L’idée de propreté a disparu du mot depuis le XIXe siècle. Le mot lui même était peu utilisé jusqu’à ce que les théories du développement ne se l’approprient dans son sens médical d’assimilation du pharmakon, traitement et poison, qui date du XVIIIe siècle.

 Voir : hypothèse, démarche participative

 Appui institutionnel : Pour aider techniquement et financièrement les institutions publiques à améliorer l’Etat de droit, promouvoir la bonne gouvernance et la démocratie.

 Tonneau des Danaïdes pour les hellénistes. Pisser dans un violon pour les autres

 Etymologie   Le mot institution se rattache à la racine indo européenne sta qui veut dire être debout. Il désigne les structures organisées qui maintiennent debout un état social. L’appui institutionnel dans cette perspective serait une sorte de déambulateur pour les Etats africains. L’âge très avancé de quelques chefs d’Etat africains dont certains utilisent le fauteuil roulant n’a rien à voir avec cette dernière remarque.   

Atelier : Petit séminaire, work shop.

 Bien travailler l’ouverture. Contrairement au séminaire, il sera organisé sobrement, sauf en cas de décisions déjà prises à faire valider a posteriori de manière bien évidemment participative. Selon une progression liée au nombre de participants on aura, atelier, séminaire, colloque, conférence, états généraux. Pour atelier, on pourra dire table ronde.

 Etymologie  Dérivé de astelle, petit morceau de bois qui a également donné attelle. A noter que la signification dérivée par métonymie du lieu de travail des artisans menuisiers et qui désigne l’atelier dans le sens de « groupe de travail » a dans un premier temps défini les écoles d’art dramatique. Déjà du théâtre.

 Voir : ouverture, séminaire, colloque, conférence, états généraux, anglicisme

 Banderole : support de communication obligatoire, déployé derrière la table où sont réunis les experts et les institutionnels (ceux qui savent) face aux bénéficiaires d’un atelier (qui ne savent pas). Pour un grand séminaire on en mettra une également à la porte d’entrée extérieure ou dans la rue. Toujours mettre le logo ou le drapeau de l’institution qui finance le séminaire.

 Appui direct au secteur informel de la sérigraphie.

 Etymologie  Mot emprunté à l’italien banderuola, bannière. La racine gothique bandwa, signe, a également donné banderille, débandade, bandit et contrebande.

Bureaux d’études : source de l’expertise dans le développement.

 Principaux bénéficiaires de l’aide au développement.

 Etymologie  Métonymies successives à partir du mot qui désignait le petits tapis de bure que l’on mettait sur la table pour écrire. Il a désigné ensuite la table sur laquelle on écrit et enfin la pièce où se trouve la table sur laquelle on écrit. Nous assistons à une nouvelle étape métonymique, favorisée par l’aide au développement, qui désigne un secteur d’activité regroupé dans des immeubles où il y a de nombreuses pièces répartis de chaque côté de longs couloirs où l’on trouve des tables sur lesquelles l’on pratique le copier/coller sur un tapis de souris, Cqfd. A noter que dans plusieurs langues africaines, le travail de bureau se dit le travail du Blanc.

 Voir : consultants, experts, Blanc, copier/coller.

Cadre logique : Indispensable. Aide le bénéficiaire à structurer sa pensée. Met en cohérence les activités à mener en fonction d’objectifs. Rationalise un projet.

 Plus cadre que logique. Favorise le développement d’une expertise qui sera vendue cher. Permet à la technostructure développementiste de penser qu’elle maîtrise le réel. Il est par là le signe d’une mentalité primitive (au sens de Levy Bruhl) pré logique de la technostructure. Dans les années 90, le cadre logique est sorti vainqueur du combat qui l’opposait aux méthodes ZOPP, SMART et PIPO. Avec des noms pareils elles partaient perdantes.

 Etymologie   Au départ le mot cadre signifiait une bordure carrée. Puis il a été le livre qui contenait les listes de militaires exerçant un commandement. Vous ajoutez à cela le mot logique signifiant conforme au bon sens. Avec une étymologie aussi lourde vous n’avez plus vraiment la possibilité de refuser cet outil de gestion de projet.

 Voir : ZOPP, PIPO, SMART, indicateurs, activités, résultats, budget.

Cocktail : On dira aussi réception. A l’occasion du départ ou de l’arrivée d’un nouvel ambassadeur ou bien d’une fête nationale, moment rare de convivialité informelle.

Mondanité structurante de la vie des expatriés dans les petites capitales africaines où l’on peut observer des fonctionnaires de rang intermédiaire des ambassades et des organisations internationales, échanger des amabilités avec des ministres et des hauts fonctionnaires locaux, souvent corrompus ou en délicatesse avec les droits de l’Homme.

 Etymologie Littéralement en anglais, queue de coq. Se disait des chevaux auxquels on coupait un muscle de la queue pour la redresser comme celle d’un coq. Cette pratique ne concernait pas les chevaux de race mais les bâtards. Par association d’idées cette signification de « mélange » est passée aux boissons alcoolisées et par métonymie aux réunions où l’on boit ces alcools. Des phénomènes de cour et des histoires de basse cour.

 Voir : Pot de départ, ami.

 Conduite de projet : Gestion rationnelle de moyens humains, techniques et financiers en vue d’un objectif à atteindre.

 Pilotage à vue sous contrainte procédurale.

 Etymologie  Du latin cum et ducere, mener ensemble qui a d’abord signifié prendre une épouse. Puis le sens d’accompagner a cédé la place à l’idée d’orientation. Le mot est synonyme de diriger. L’antonyme inconduite signifie manière incorrecte de se comporter. Ne pas respecter les procédures ou le protocole est une inconduite.

 Voir : Projet, protocole, procédure, Prag.

Consultant (1) : A toujours tort quand ça ne marche pas. 

 L’inverse n’est pas nécessairement vrai.

Etymologie De consultare, délibérer. Le mot possède deux valeurs complémentaires : donner et acquérir. Dans l’aide au développement le participe présent substantivé prend la première valeur. Elle prend la seconde en médecine. On aurait plutôt vu l’inverse, en effet dans de nombreuses situations le consultant devrait consulter. On préfèrerait le mot rare ecclésial de « consulteur » qui désigne un expert chargé par le pape d’approfondir une question théologique : l’aide au développement relève bien de cela, en définitive. 

 Voir : expert

Consultant (2) : A toujours raison même si ça ne marche pas, a fortiori si ça marche, Ce sont la maîtrise d’œuvre ou le donneur d’ordre qui ne comprennent définitivement rien.

 Dans les deux cas ont ne demande pas aux bénéficiaires de comprendre

 Voir consultant (1)

Cuisinière améliorée : Améliore la qualité du travail quotidien de la femme en milieu rural et diminue la coupe de bois (aujourd’hui on dit l’empreinte carbone).

Elle est la marque de fabrique des projets de développement à la base des années 80, maintenant oubliée. Entre 1978 et 1989, plus de 300 sortes de cuisinières améliorées ont été mises au point. Toutes plus performantes les unes que les autres. Grâce à elles, pendant cette période l’équivalent du bois de Boulogne aura été préservé ainsi que l’emploi d’une expertise pléthorique recyclée aujourd’hui dans l’approche genre.

 Voir : genre, micro finance

Efficacité : ne pas confondre avec efficience. Monter un indicateur.

 Etymologie  Du latin efficere formé de ex- et de faccere qui signifie l’idée de sortir de ce qui a été fait. Au départ le mot appartient au vocabulaire de la théologie qui définit ainsi la vertu active de la parole divine. On dit aussi d’un sacrement qu’il est efficace. On comprend pourquoi la technostructure s’est appropriée ce mot pour évaluer ses activités.

 Efficience : ne pas confondre avec efficacité. Monter un indicateur.

Etymologie Du latin efficere formé de…(voir ci dessus). Autant dire deux fois la même chose. Au moyen âge, ces subtilités sémantiques pour s’approcher rationnellement de la réalité divine relevaient de la scolastique universitaire.

 Voir : Littérature grise

Evaluation : À faire à tout moment du cycle de projet (particulièrement quand il déraille). Permet de réorienter si nécessaire.

Permet de faire croire qu’on s’intéresse aux résultats d’un projet/programme ou de repousser une décision délicate et de la faire endosser par un consultant tiers (voir consultant). La pratique montre que les évaluations à mi parcours arrivent en général en fin de parcours. Les recommandations de l’évaluation ne sont en général jamais mises en œuvre sauf si elles étaient déjà identifiées avant l’évaluation.

 Voir : cycle de projet, recommandations, auto évaluation.

Master en développement : Pour apporter des compétences humaines et techniques aux jeunes qui veulent s’investir dans l’humanitaire, la coopération internationale et l’aide au développement.

Foisonnement de diplômes. Dispositif universitaire pour recycler des experts du développement en fin de carrière et produire des stagiaires, des contrats précaires et du désenchantement. 

Etymologie  Anglicisme intégré dans le vocabulaire officiel de l’éducation nationale française sans aucun débat. L’inflation des masters en développement ou en coopération internationale est inversement proportionnelle à l’appauvrissement de la pensée sur le développement.

Migrants : conséquence des désordres économiques et politiques.

Nouvelle catégorie sociale avec celle des réfugiés, un cran en dessous de celle des populations, catégorisant au sein de ces dernières certaines qui sont déterritorialisées. A ne pas confondre avec les nomades. Contrairement aux réfugiés, mais comme les nomades, ils ont la très mauvaise idée de ne pas vouloir rester sur place ce qui les fait alors passer du statut de victime à celui de délinquant.

Etymologie Du latin migratio, passage d’un lieu à un autre. Sa racine indo européenne mei veut dire changer. Curieusement elle a donné les mots munificence, amibe ou immunité. On en perdrait son latin. En Afrique le Blanc n’est pas un migrant mais un expatrié.

Mission : On va en mission mais on ne va plus à la mission (de moins en moins).

On va en séminaire même si beaucoup d’Africains vont encore au séminaire au bénéfice de nos paroisses françaises. La participation à un séminaire s’accompagnera d’ailleurs de frais de mission.

Etymologie  Du latin missio, action d’envoyer : avant hier des prêtres, hier des enseignants, aujourd’hui des experts. Les préfixes au mot donnent : soumission à Dieu ou au chef, admission à l’hôpital, rémission des pêchés, commission financière, émission de la monnaie ou de timbres. Important les timbres, même si le service public de la poste a pratiquement disparu en Afrique. Les innombrables timbres chatoyants des nouveaux Etats indépendants ont fait le bonheur des jeunes philatélistes débutants tout en leur apprenant la zoologie, l’ethnologie et la botanique africaine.  

Missionnaire[8] : Faire de l’humour sur la position[9]. Un des apports positifs de la colonisation. 

Le prêtre[10] et le pasteur ont toujours une bonne position en Afrique. Le renouveau religieux y atténue les conséquences potentiellement violentes de l’explosion démographique. Le sida serait la première cause de mortalité des prêtres en Afrique. Mais comme le disait prudemment Flaubert, il y en a de bons tout de même.

Populations : Toujours au pluriel. A la base, forcément. Cibles fréquemment. Synonyme de bénéficiaires finaux. Ne jouent pas toujours bien leur rôle. Pour les populations au sommet on dira les élites.

Vocabulaire de l’administration coloniale pour désigner les indigènes des territoires à exploiter, encore abondamment utilisé par les administrations africaines et les partenaires au développement.

Etymologie   Dérivé de la racine qui a également donné le mot peuple, le mot population a conservé le sens de peuplement, d’habitation d’un lieu. C’est un terme de géographe. Dans le vocabulaire des sciences dites dures, la population est « un ensemble limité d’individus ou d’éléments, de même espèce observés ensemble ou réunis de manière abstraite ». Comme dans population d’électrons ou de madrépores. A bien regarder c’est effectivement la définition donnée par la cléricature développementiste. 

Voir : groupes cibles, élites, peuple.

PRAG : Practical Guide. Guide pratique[11] des procédures de l’Union européenne. Pas de soucis, tout est y prévu. Il est à jour en permanence.

Le mot seul quand il est dit, jette l’effroi.

Etymologie : Chez les Grecs la pratique, praktikê, est en opposition avec la théorie, theorétikê, la science spéculative, et veut dire : propre à agir. C’est amusant cette antonymie, dans la pratique le PRAG retarde toute action et il faut spéculer sur l’interprétation de ce que veux dire le PRAG avant d’agir. Prag est également une racine scandinave qui a donné Pragur le prénom viking de l’enfant mâle dont la mère est morte en couches (pour une fille on l’appellera Aneks). La Prag de Thor est la seule saga islandaise qui a horrifié Wagner et les nazis. Le prag est une recette laponne à base de testicules de rennes, de foie de chien de traineau, servie avec des lichens en salade. Enfin, « prââg » est le cri d’hiver de la grande corneille de Carélie annonçant le vent du nord, la mort et la tempête.

Procédures : Toujours au pluriel. Pester contre ou les défendre selon qu’on les applique ou qu’on les fasse appliquer. Dans ce dernier cas, elles sont contraignantes, certes, mais tellement bien faites. Sinon elles ne sont jamais adaptées à la réalité.

La marque de fabrique autiste des délégations de l’Union Européenne qui dépensent l’essentiel de leur énergie dans l’élaboration, la mise en œuvre et le contrôle de leurs procédures administratives et financières.

Etymologie  Du latin pro et cedere, aller de l’avant. Dans le latin ecclésiastique procéder signifie venir du Saint Esprit. Procédure signifie aujourd’hui l’ensemble des règles qui doivent être observées pour atteindre le résultat. Un procédé est une manière de faire. Les procédures sont souvent de mauvais procédés.

Rapport :D’activité, en trois exemplaires.

Etymologie Formé de ad et de portare, le mot apport signifie porter quelque chose à quelqu’un. Par métonymie, le mot signifie maintenant non plus le fait d’apporter mais la chose apportée elle même. Le préfixe re devrait signifierapporter une nouvelle fois ou apporter en revenant. C’est finalement son déverbal rapport qui a pris le sens général de compte rendu. On ne voit pas bien le rapport, en effet dans le domaine du développement les rapports permettent rarement au destinataire de se rendre compte de la situation. D’une certaine manière, le sens d’action de produire comme dans l’expression « maison de rapport » existe également dans le domaine du développement : les projets produisent souvent plus de rapports que de résultats.

Voir : copier/coller, développement.


[1] Flaubert. Dictionnaire des idées reçues. Fayard, Milles et unes nuits, 1997.

[2] Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Mercure de France édition 1968 p.1

[3]Gustave Flaubert, Correspondance, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1973, p. 416

[4] Je cite et je reprend à mon compte ici la très belle définition de l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan : « on appellera configuration développementiste, cet univers largement cosmopolite d’experts, de bureaucrates, des responsables d’ONG, de chercheurs, d’agents de terrain qui vivent en quelque sorte du développement des autres et qui mobilisent ou gèrent à cet effet des ressources financières et symboliques considérables ». J.P Olivier de Sardan Anthropologie et développement, Essai en socio-anthropologie du changement social. 1995 Paris, Karthala, p7 

[5] Léon Bloy. Exégèse des lieux communs, op. cit. p.20

[6] Léon Bloy. Exégèse des lieux communs, op. cit. p.20

[7] Gustave Flaubert cité par Michel Winock. Flaubert. Editions Gallimard 2013 p. 512

[8] « Si tu ne digères pas la soutane, ne mange pas le missionnaire » Alexandre Vialatte Proverbes Bantous

[9] Léon Bloy estimait que contrairement  au lieu commun « le prêtre est un homme comme les autres »,  le prêtre n’était pas comme les autres du fait de sa continence, justement. Il reverrait son jugement avec le clergé africain.  Léon Bloy Op. cit. p 96

[10] « Prêtres : couchent avec leur bonnes et ont des enfants qu’ils appellent leurs neveux » Flaubert Op. cit. Voir  à ce propos le mot gouvernance. 

[11] Pratique : « supérieur à la théorie » Flaubert Op. cit.

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