christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

215 Billets

3 Éditions

Billet de blog 2 avril 2025

christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

Malaise dans la culture occidentale : le sionisme

Le déni de l’histoire et de l’autre est proprement stupéfiant dans la tribune du 21 mars contre l'antisionisme.

christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En 1929 une semaine après l’effondrement de la bourse de Wall-Street, Freud achevait un essai intitulé Malaise dans la culture. Dans ce texte à caractère sociologique, il développe son inquiétude devant l’avenir de l’humanité depuis que la technique permet aux hommes de s’exterminer jusqu’au dernier. On était avant la Shoah et Hiroshima. En 1933 au moment de l’incendie du Reichstag, à propos de son livre, il écrit à son ami Stéphane Zweig : « Nous allons vers de sombres temps. Je ne devrais pas m'en soucier, avec l'apathie de la vieillesse, mais je ne peux m'empêcher d'avoir pitié de mes sept petits-enfants ».

La lecture de la pétition du Monde du 21 mars « Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme ! » provoque un vrai malaise. Cette tribune est signée par deux cent personnalités issues du monde politique allant du PS à LR, en passant par Ensemble, citons François Hollande, Anne Hidalgo, Manuel Vals, Aurore Berger, Yvan Attal, et du monde de la culture, citons Élisabeth Badinter, Raphael Enthoven ou les acteurs François Berléand et Patrick Chesnais. Leur thèse a le mérite d’être claire, l’anti sionisme est un avatar de l’anti sémitisme. Pour le dire, ils s’appuient sur Vladimir Jankélévitch qui disait : « L’antisionisme est l’antisémitisme justifié (…) Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? (…) Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort ». Dans la tribune on lit : « on ne s’attaque plus au peuple « déicide » mais au peuple « génocidaire ». Leur solution pour lutter contre l’antisionisme qui cache un nouvel antisémitisme est simple : interdire pénalement les idées et les propos anti sionistes. Pour lutter contre l’anti sémitisme qui correspond à des actes réprimés pénalement, on interdit l’expression d’une opinion politique. Cela se fait déjà pour le négationnisme ou pour le nazisme. Être négationniste c’est nier la réalité de l’histoire de la Shoah et être nazi c’est faire l’apologie d’une idéologie suprémaciste et raciale, mais qu’est-ce qu’être anti sioniste ?

C’est en premier lieu être en désaccord avec un projet politique, celui des fondateurs du sionisme créé à la fin du XIXe siècle. La tribune propose sa définition du sionisme : « c’est un idéal d’émancipation, un ancrage durable, un barrage à la haine, un rempart à l’extermination. Le sionisme, c’est ce qui devait permettre aux Juifs de décider de l’avenir de leurs enfants ». Effectivement être contre cette définition, ne pas vouloir que les Juifs décident de leur avenir, pourrait être une forme d’antisémitisme, même si on peut s’interroger sans malveillance sur « le barrage à l’extermination » au moment où les instances du droit international enquêtent sur le caractère génocidaire de la situation à Gaza. Si on reste ancré dans le contexte historique des pogroms de la Russie Tsariste cette vision du sionisme peut avoir du sens mais depuis, d’autres évènements ont radicalement changé le cadre originel de le pensée sur le sionisme : la déclaration Balfour, la Palestine mandataire, la nuit de cristal, les Einzatzgruppen, la solution finale, la Shoah, l’Exodus, le plan de partage de l’ONU, la Nakba, les guerres israélo-arabes, l’exode de tous les Juifs moyen-orientaux et maghrébins vers Israël, les attentats du Fatah et du FPLP, les accords de Camp David, les deux intifadas, les attentats suicides, les accords avortés d’Oslo, le mur de séparation, l’enferment des Gazaouis, la colonisation lente de la Cisjordanie et bien sûr le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas et ses représailles. La définition des signataires de la tribune est une interprétation anachronique du projet sioniste. On peut multiplier les citations qui montrent que le sionisme de Théodore Herzl était un projet nationaliste basé sur une lecture biblique dans l’esprit de l’époque et qu’il l’inscrivait aussi dans un contexte civilisationnel colonialiste. Il écrivait[1] « Pour l’Europe, nous formerions là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant- poste de la civilisation contre la barbarie ». Le sionisme fut lui-même combattu à l’intérieur des organisations juives européennes et américaines. Parce que l’histoire de l’idée sioniste ne peut pas se laisser enfermer entre la définition de la tribune du 21 mars et le nationalisme de Théodore Herzl, le sionisme peut être critiqué et l’antisionisme appartient à cette nécessaire réflexivité critique qui fonde nos démocraties.  

Que l’antisionisme cache chez certains radicalisés un surgeon moderne de l’antisémitisme, c’est une évidence, comme l’anticommunisme a servi de justification au fascisme ou au maccarthysme. Toute idéologie politique et sa critique ont plusieurs masques, comme le nationalisme du RN qui déguise de manière grotesque son racisme et son suprémacisme dans sa nouvelle mascarade philosémite. Mais ce qui créée un réel malaise à la lecture de cette tribune, c’est l’absence des victimes palestiniennes de la féroce répression israélienne, c’est l’absence des 50 000 morts gazaouis depuis le 7 octobre. Ils n’existent simplement pas. Les 700 000 Palestiniens expulsés de leurs territoires en 1948 n’existent plus. La possibilité d’un génocide en cours n’est pas évoquée, pas plus que le projet d’expulsion des deux millions d’habitants de la bande de Gaza. L’absence d’empathie envers les Israéliens après l’attaque terroriste qui a tué 1200 personnes avait été pointée comme une forme larvée d’antisémitisme, symétriquement le même reproche peut être fait aux signataires de la tribune, cette absence d’humanité devant les souffrances des Palestiniens est une forme de racisme anti arabe. Le déni de l’histoire et de l’autre est proprement stupéfiant dans la tribune du 21 mars.  

Qu’est-ce que ce déni montre ? En 1919 Sigmund Freud publiait un essai traduit en français par « l’inquiétante étrangeté ». A partir de la racine allemande du concept, cela signifie ce sentiment étrange et inquiétant de ne plus se sentir chez soi parce qu’il y a une chose cachée, tapie dans un coin de la maison, qui nous est connue mais que l’on ne veut pas voir. Une inquiétude à la fois étrange et familière qui crée le malaise. Cette maison, c’est notre mémoire partagée et cette chose étrange qu’on ne veut pas voir mais qui surgit en ce moment c’est la vérité de notre histoire. L’affaire Apathie a montré notre déni de la réalité de la conquête coloniale algérienne. La répression de toute critique envers la politique d’Israël à Gaza montre un autre déni, celui du prix payé par les Palestiniens pour solder notre dette européenne envers les Juifs. Nous sommes sans doute en France dans un moment de sortie, très douloureuse et progressive, de ces dénis, mais ceux-ci ont une résistance telle que nous sommes sans doute encore assez loin de leur disparition. 

[1] Theodore Herzl, L’État des Juifs, La Découverte, 1989.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.