Procès Le Pen, Etat de droit : le crash test
La notion d’Etat de droit a fait une entrée fracassante dans notre espace public le 25 septembre 2024 quand le nouveau ministre de l’intérieur, garant des libertés publiques, avait déclaré à la suite de l’affaire Philippine, une jeune femme assassinée par un Marocain sous OQTF : “L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain.” Il devait récidiver en février dernier en fustigeant une décision de justice empêchant l’expulsion d’un ressortissant algérien. Il dénonça les : « règles juridiques qui (…) entravent ». Le sommet est atteint avec Marine Le Pen le 31 mars sur le plateau du 20 heures de TF1. « L’état de droit a été violé par la décision qui a été rendue ». Elle commentait sa lourde condamnation par le tribunal correctionnel de Paris pour le détournement de fonds publics européens au profit de son parti pour un montant de quatre millions d’euros : quatre ans de prison dont deux fermes, cent-mille euros d’amende et, surtout, cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Cette condamnation d’une potentielle candidate en pole position pour la présidence de la République, qui vient télescoper le tout récent réquisitoire du parquet national financier demandant sept années de prison ferme contre Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, donne le vertige sur le niveau de dégradation de l’intérêt général par une partie de notre classe politique.
Dire le droit
Dans ces deux situations judiciaires, les juges, dans la limite de leurs responsabilités et de leurs marges d’appréciation, ont dit le droit sans considération de principes subjectifs, moraux ou politiques. Cette vision du droit appelée positivisme juridique postule que tout système judiciaire s’appuie objectivement sur une hiérarchie de normes juridiques et de source de droit. Le principe fondamental de cette théorie s'appuie sur l'idée de conformité, ainsi, la norme inférieure valide ne peut être contraire à la norme qui lui est immédiatement supérieure. L’école de droit dite normative à l’origine de cette philosophie du droit a été fondée en Autriche au début du XXe siècle par un juriste qui dut fuir les persécutions nazies anti juives en 1938. Cette école établit que les institutions de l’Etat doivent obéir à des normes qui leur sont supérieures, c’est l’Etat de droit consacré par l’article 2 du traité de l’Union européenne : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité de l’Etat de droit ainsi que de respect des droits de l’homme ». La juge qui a prononcé la décision a simplement appliqué la loi du 15 septembre 2017 pour « la confiance dans la vie politique » qui créée une peine obligatoire d’inéligibilité. A l’époque le RN avait voté cette loi. La peine d’inéligibilité est obligatoirement prononcée par le juge pénal pour 10 ans maximum contre toute personne coupable d’un crime ou de certains délits dont le détournement de fonds publics, sauf décision spécialement motivée. En l’espèce face à la gravité des faits, l’évidence des preuves et le refus continu de Marine Le Pen et de ses co-accusés de reconnaître leur délit tout au long du procès, la juge a prononcé cette application immédiate sans possibilité de recours avant le procès en appel qui ne pourra probablement pas se tenir avant les présidentielles de 2027. L’avocat du RN doit amèrement regretter sa stratégie de défense. En définitive la juge a fermement tenu la barre d’un principe de notre République : l’Etat de droit, et il faut chercher ce droit qui s’impose à l’État, dans les déclarations des droits de l’homme et du citoyen écrits en 1789 et 1946, rappelés dans le préambule de notre constitution, résultats de luttes sociales et politiques menées par quelques hommes pour tous les hommes.
La grande coalition des illibéraux
Dès les origines de cette école qui soumettait l’Etat aux droits fondamentaux, le positivisme juridique a été attaqué par des juristes qui estimaient que l’Etat émanant du peuple, il ne pouvait être entravé par des règles juridiques, le plus connu est Karl Schmitt le juriste officiel du régime Nazi avec sa vision absolutiste de la puissance étatique. Dans le cas de Marine Le Pen le jugement touche au principe de l’élection et la thèse selon laquelle c’est le peuple qui doit choisir ses dirigeants et non pas le « gouvernement des juges » est toujours l’argument populiste de tous les politiques qui pensent qu’ils disposent d’un privilège les mettant au-dessus des citoyens ordinaires, première marche vers une remise en cause de l’égalité devant la loi ouvrant la voie aux dérives illibérales. Ils ne supportent pas que leur responsabilité pénale soit engagée devant des tribunaux de droit commun et que la loi leur soit appliquée. Ils savent aussi que ce sont les enquêtes d’une presse libre, autre fondement de nos démocraties, qui sont à l’origine de la mise en lumière de leurs pratiques et de leurs condamnation.
La décision attendue et redoutée a plongé le RN dans la stupeur et la fureur. Le boucan médiatique des médias Bolloré accompagne la vindicte des Zemmour, Ciotti, Marion Maréchal contre les juges. La droite que l’on disait encore républicaine leur emboîte le pas. Ceux-là mêmes qui ont abattu l’Etat de droit dans leur pays ou qui s’apprêtent à l’achever, Poutine, Orban, Trump, Musk volent au secours de Marine Lepen. Cette grande coalition de tous les conservatismes réactionnaires qui au nom du peuple s’assoient sur les principes de l’Etat de droit contre les démocraties libérales, est le signe que nous sommes à un moment charnière de notre avenir démocratique. La réponse des politiques et de nos gouvernants devant cette attaque frontale est un crash test en live sur la solidité de nos institutions et des principes de notre République qui les fondent. Le trouble et le pas de côté du premier ministre à l’Assemblée Nationale ne sont pas un bon signe de leur résilience mécanique.