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Billet de blog 3 février 2018

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Laïcité : la nouvelle querelle des universaux

Comme au Moyen Âge, au moment où la Fondation pour l’Islam de France présidée par Jean Pierre Chevènement avance des pistes de travail concrètes, une grande querelle scolastique se déroule en France depuis une quinzaine d’années autour de la laïcité.

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Comme au Moyen Âge, au moment où la Fondation pour l’Islam de France présidée par Jean Pierre Chevènement avance des pistes de travail concrètes, une grande querelle scolastique se déroule en France depuis une quinzaine d’années autour de la laïcité. Du XIIe ai XIVe siècles, les théologiens de l’Université de Paris se sont battus sur l’existence réelle ou non des universaux à coups d’arguments, d’interdictions, de condamnations et d’excommunications qui pouvaient aller jusqu’au procès, la torture et le bûcher. Les universaux étaient ces concepts abstraits à valeur universelle, comme ceux d’humanité ou de royauté, dont les théologiens se demandaient s’ils existaient réellement, « en soi » ou s’ils étaient des constructions de notre intellect. Abélard, Saint Thomas d’Aquin, Saint Albert le grand, Guillaume d’Ockham, les principaux protagonistes de ces controverses philosophiques sont passés à la postérité. Huit siècles plus tard on peut ironiser sur ces débats intellectuels pointus mais ils étaient les enjeux de débats de société beaucoup plus profonds d’une époque en pleine mutation intellectuelle : l’indépendance de l’université, l’introduction de la pensée aristotélicienne ouvrant la voie à la pensée scientifique, la naissance des nations en Europe ou la remise en question de la prépondérance de l’Eglise dans les affaires temporelles.

 Le mot laïcité n’apparaît pas dans la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais tout le monde en parle, la revendique, donne son interprétation et chacun détient, évidemment, la vérité sur sa nature, son existence « en soi » et ne manque pas d’arguments. Dans quelques siècles nos débats sur la laïcité prêteront à sourire comme une sorte de scolastique républicaine : pourquoi le président a lâché le goupillon au dernier moment sans bénir le cercueil de Johnny alors que Brigitte s’est signée ? Peut-on ajouter un adjectif au mot laïcité, modérée, radicale ou apaisée ? Pourquoi dans ses vœux aux autorités religieuses, Macron a-t-il oublié les bouddhistes, les taoïstes et les confucianistes, ne les reconnait-il pas et donc reconnaîtrait-il les autres ? Doit-il aller recevoir son titre de Chanoine du Latran ? Pourquoi De gaulle a-t-il participé au Te Deum de la victoire en 1945 contrairement à Clémenceau en1918 ? Comment distinguer entre la notion de responsable des cultes et celle de ministre des cultes ? Les lieux publics sont-ils des espaces publics ? La sécularisation est-elle la conséquence du sécularisme ou celle du laïcisme, voire l’inverse ? La laïcité est-elle universelle ou occidentale, voire les deux ? Le féminisme est-il une forme de laïcité ? Nous débattons de ces questions un peu comme si Caroline Fourest était la version contemporaine du Chanoine de l’école cathédrale de Paris et Régis Debray un nouvel Abélard : la laïcité est-elle ante rem, avant la chose, antérieure à la pluralité des choses, platonicienne, un dogme, ou post rem, une abstraction de l’esprit, une construction de l’intellect ? Des termes du débat aussi byzantins que ceux sur le sexe des anges qui occupaient les théologiens de Byzance pendant que les turcs escaladaient les murailles de la Corne d’or.

 Pourtant avec une remarquable économie de mots, les deux premiers articles de la loi de du 11 décembre 1905 sont clairs : « La République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Trois principes républicains fondamentaux écrits en trente-cinq mots, probablement un record de synthèse dans la production législative de nos cinq Républiques : liberté de conscience et de culte dans les limites de l’ordre public, neutralité des institutions de l’Etat. Et, comme au Moyen Âge, nos débats de casuistes sur la laïcité sont aussi le reflet des tensions qui structurent notre vouloir vivre ensemble devant les transformations du monde. Parmi ces tensions, celle de l’expression religieuse dans le respect de l’ordre public et de la liberté de conscience, est axiale. Cependant elle nous oblige à faire un effort, elle nous oblige à bien voir, à bien comprendre l’expression religieuse d’une foi récente dans notre espace public régi par les lois de la République. Nous avons su le faire par le passé, difficilement, avec le judaïsme, le protestantisme et le catholicisme, mais l’islam est aussi aujourd’hui l’un des paramètres des bouleversements et des violences que connaissent les pays arabes avec lesquels nous avons des liens historiques anciens, tissés de guerres, d’alliances, de fascination réciproque et de colonialisme. Faire ce travail de compréhension est difficile. L’enjeu est de taille : le sentiment d’appartenance à la République de 10% de nos concitoyens. Hélas, une partie de notre petite cléricature républicaine et médiatique n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

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