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Billet de blog 4 avril 2015

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Jean Louis Borloo : un nouvel effet de manche

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Article publié dans Golias Magazine le 3 avril 2015

Pendant la première semaine de mars, nos médias nationaux ont été saturés par les interventions de Jean Louis Borloo qui présentait son projet de fondation pour l’électrification de l’Afrique à partir d’une sorte de plan Marshall de 200 milliards d’euros, dont 50 milliards de fonds publics qui auront un effet de levier sur les 150 restant. Le petit journal sur Canal+, que l’on a connu plus impertinent lui a consacré une édition entière. François Hollande lui a fait la « surprise » de s’inviter à l’hôtel Marigny en face de l’Elysée lors de la cérémonie de lancement officiel. En excellent plaideur Jean Louis Borloo sait communiquer. La photo de la planète prise la nuit qu’il présente à chaque intervention publique est en effet saisissante : le continent africain est noir, sauf au Maghreb et en Afrique su Sud. Il utilise tous les arguments pour convaincre ses interlocuteurs : le devoir moral (permettre aux mamans de soigner leurs enfants), l’efficacité économique, le développement de l’Afrique, la croissance en Europe, le soutien à la technologie française, la filière photovoltaïque européenne, le projet civilisationnel, la lutte contre le changement climatique, la déforestation, la conférence climat à Paris en décembre. Il va jusqu’à nous expliquer que ces investissements massifs dans le domaine public amélioreront la gouvernance des Etats africains. Lénine disait du communisme qu’il était l’électricité plus les soviets, un siècle plus tard, Jean Louis Borloo nous dit que le développement de l’Afrique c’est l’électricité plus le marché.

Laissons de côté l’argument moral pour faire pleurer les chaumières et qui ne convainc personne. L’argument civilisationnel est plus problématique, au risque de l’anachronisme c’est celui de Jules Ferry pour justifier le retour de la France dans l’échiquier mondial en Tunisie en 1881, prélude à l’ouverture de nouveaux marchés pour les manufactures françaises par la colonisation du continent africain qui sera achevée au Maroc en 1906. La lutte contre l’esclavage fut l’argument du roi Léopold de Belgique pour annexer ce qui deviendra le Congo Belge avec ses millions de morts dans la récolte du caoutchouc pour l’industrie automobile naissante[1].

On ne va pas reprocher à Jean Louis Borloo de s’investir dans un tel défi qui correspond effectivement à une réalité contemporaine. Il aurait été autrement plus convainquant s’il s’était contenté des arguments économiques, environnementaux et techniques qui sont tous pertinents, qui méritent débat, mais que l’habillage moralisateur affaiblissent.  Il aime citer un ami africain : « l’absence de lumière, c’est l’obscurantisme ». C’est Beau comme l’antique. On est pas loin de l’escroquerie intellectuelle quand on sait que cet ami est François Bozizé, ancien président de la République de Centrafrique, dignitaire d’une secte particulièrement obscurantiste, les Chrétiens célestes, qu’il fut responsable des massacres d’étudiants et d’élèves à Bangui sous l’empereur Bokassa et qu’il est un des principaux protagonistes de la descente aux enfers de la Centrafrique.

La réalité de l’état de déliquescence des institutions politiques et étatiques d’un grand nombre de pays africains est l’angle mort de son projet. Jean Louis Borloo n’est pas aveugle, il connaît certainement cette réalité mais il n’en parle jamais. Le Monde Afrique en partenariat avec l’Agence Française de Développement a beau chanter les louanges d’une Afrique en devenir qui se développe à un rythme soutenu, la réalité ce sont des Etats prébendiers qui vivent sur la bête en pillant les ressources naturelles et l’aide au développement et en manipulant pour leur propre compte les investissements internationaux. En dehors de toute rationalité économique, le président du Congo a fait construire dans son village natal la première usine photovoltaïque chinoise sur le contient. Jean Louis Borloo développe son projet en s’appuyant sur les chefs d’Etat africain. On peut le comprendre d’un point de vue politique mais il ne nous explique pas comment son projet sortira de cette impasse. Son seul argument « il ne faut pas donner une double peine aux peuples africains » est un effet de prétoire, il ne donne pas de vision.

On comprend également qu’EDF, Schneider électrique, Bouygues, Bolloré, AREVA et toutes leurs entreprises partenaires ou sous traitantes françaises soutiennent à juste titre, de leur point de vue, le projet de Jean Louis Borloo, mais comment en l’absence de pouvoirs publics responsables dans beaucoup des pays africains ces entreprises travailleront sur les difficiles questions de tarification de l’électricité, de transition énergétique, de mixte énergétique, de rééquilibrage villes/campagnes, d’électrification locale, de respect de l’environnement, d’alternative au nucléaire ?

Il faut espérer que lorsqu’on abordera sérieusement ces questions, Jean Louis Borloo sera passé à autre chose. C’est d’ailleurs probable, le site de sa fondation lancée à grands frais n’existe pas encore. Son ancien client Bernard Tapie semble avoir besoin d’un avocat d’affaires. Les salariés licenciés des balances Testut, de Terraillon, Manufrance ou des piles Wonder s’en souviennent plus que ne le fait François Hollande avec sa nouvelle diplomatie économique.


[1] Adam Hochschild. Les fantômes du roi Léopold, l’holocauste oublié. Belfond 1998.

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