Sahel : les digues ont cédé
Janvier 2013, l’armée française dans mouvement hardi, à la hussarde, mettait en déroute des colonnes de combattants djihadistes juchés sur des pick-up. Ils menaçaient Bamako la capitale du Mali, un pays avec lequel nous avons des accords de coopération militaire. Un mois plus tard François Hollande, un peu comme De gaulle à Notre Dame en 44, s’offrait un bain de foule devant la mosquée de Tombouctou. Tout le monde saluait la capacité de nos armées à répondre à une menace militaire : connaissance du terrain sahélien, projection, doctrine d’intervention éprouvée, rapidité d’exécution, logistique adaptée. Un peu moins de neuf années plus tard la même armée française est accusée de cultiver l’insécurité au Burkina et au Niger où elle est empêchée par les habitants de se déployer. Nos militaires doivent faire des tirs de sommations pour forcer le passage de ses convois qui partent d’Abidjan vers Gao dans la zone dite des trois frontières où nos moyens sont maintenant concentrés. Nos objectifs politiques et nos capacités militaires sont remises en cause par les autorités du Mali qui envisagent de se tourner vers des mercenaires russes. Les informations sur des massacres de civils, de fonctionnaires et de gendarmes paraissent régulièrement et semblent s’accélérer. Représailles, milices d’auto-défense, contre représailles, ponctuent l’actualité de ces pays. Depuis 2013 la chronique de la guerre que mène la France au Sahel est celle d’une extension du chaos et d’une détérioration lente et continue de l’image de l’armée française et par là de la présence de la France en Afrique. 52 soldats français ont été tués au Sahel dans une guerre que nous sommes manifestement en train de perdre alors que les communiqués de victoires tactiques se sont égrenés depuis notre déploiement militaire. La coordination diplo-technocratique des dispositifs internationaux semble dépenser plus d’énergie que pour le déploiement opérationnel de terrain : G5 Sahel, MINUSMA (Nations Unies), l’EUTM (mission de formation militaire de l’UE) et la MISMA (CDEAO).
Le nom de nos opérations militaire a changé, Serval et Barkhane hier, Takuba aujourd’hui. Un petit félin de la savane, puis une dune en forme de croissant et maintenant l’épée touarègue. Un imaginaire militaire hors sol en guise de communication. Ce qui est certain c’est qu’une guerre est déjà perdue depuis un bon moment, celle de la communication. Nos concurrents sur le plan géostratégique dans la région (Russie, Chine, Turquie, pays du Golfe) en profitent, voire s’en réjouissent, on soupçonne certains de souffler sur les braises. La communauté internationale, dont la France, est dépassée par la réalité d’un terrain où la dissémination djihadiste radicale et militante se nourrit de toutes les anciennes frustrations accumulées depuis des décennies : indigence des services publics de base, conflits fonciers et communautaires, trafics et corruption endémiques, déni des droits fondamentaux, régimes et hommes politiques discrédités, soutenus par la France. On découvre stupéfait que cinquante années d’aide au développement n’ont pas empêché l’implosion sociétale. Le plus consternant est que cette guerre française contre les acteurs terroristes au Sahel est la première de toutes celles menées par notre pays depuis les indépendances africaines, qui a une certaine légitimité politique.
Notre ministre des affaires étrangères Jean Yves Le Drian, en mode Super Dupont, voit la main de l’Anti-France derrière les violentes manifestations de Ouagadougou du 27 novembre et le blocage des convois militaires français. Du fait du chaos Libyen, Il est probable que des armes et des équipements militaires français, dont il est le directeur des ventes depuis dix ans, contribuent à l’armement des groupes terroristes qui opèrent au Sahel. Les signes d’une impasse stratégique sont là et pourtant le débat national sur la situation et nos objectifs politiques dans cette guerre n’est toujours pas envisagé. Cinquante-cinq mille Français résident et ont construit leur vie dans les pays du Sahel et en Afrique côtière.
La ligne de front s’est décalée vers le sud et se trouve maintenant au nord des pays du golfe de Guinée : Côte d’Ivoire, Ghana, Togo et Bénin. La Côte d’Ivoire qui a déjà perdu seize militaires à Kafolo au nord du pays, quatre au Mali et trois au Burkina, annonce le recrutement de plusieurs milliers de militaires. Deux militaires Béninois ont été tués à Porga le 2 décembre. Des annonces publiques sur le succès d’opérations militaires et de gendarmerie conjointes aux frontières nord de ces pays ont démarré. Elles visent à la fois à communiquer sur ce qui se passe sur le terrain de la lutte contre le terrosisme mais surtout à vendre le fait que la situation est sous contrôle. On sait au Sahel ce que valent ces communiqués qui ne disent rien de la réalité. Les responsables de ces pays côtiers et leurs partenaires sauront-ils tirer les leçons des échecs sahéliens pour leur éviter d’être dans la même situations dans dix ans ? A côté de le lutte contre le djihadisme armé, parviendront-ils à reconstruire des services publics de proximité (santé, éducation), arrêter la haute et la petite corruption, proposer un avenir aux jeunes, promouvoir les droits, en un mot reconstruire les digues d’un Etat de droit ? Il faut l’espérer.