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Billet de blog 5 septembre 2021

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Le XXIe siècle a commencé le 11 septembre 2001

Il y avait là le témoignage de notre effroi collectif, un corps qui tombe, la métaphore du XXIe siècle à venir, la chute de notre modèle de société.

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Il y a vingt ans, 2976 personnes mouraient dans l’écroulement des Twins Towers de Manhattan. Ce jour-là des gens hébétés erraient dans les décombres et la poussière, les sauveteurs sauvaient, les autorités étaient sidérées. Pour tous ces gens le passé avait été aboli, il n’y avait plus de futur, seul le présent comptait. Le monde était derrière son écran de télévision et, avant que chacune des deux tours ne s’affaisse l’une après l’autre, on regardait, épouvanté, ces hommes et ces femmes qui chutaient la tête en avant, les bras le long du corps et dont on entendait dans les quelques vidéos tournées dans le hall d’entrée, le bruit mat et atroce quand ils s’écrasaient sur le sol. Quelques mois après les attentats un funambule se suspendit de longues heures pendant plusieurs jours sur le pont Brooklyn, la tête en bas, mimant une de ces victimes. Il y avait là le témoignage de notre effroi collectif, un corps qui tombe, la métaphore du XXIe siècle à venir, la chute de notre modèle de société.

Il y a vingt ans, en représailles, l’armée américaine chassait les Talibans du pouvoir en Afghanistan pour y installer par la force la démocratie. Un an après, ils récidivaient en Irak. Notre pays a participé à la première aventure, pas à la seconde. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, presque jour pour jour, les américains quittent l’Afghanistan envoyant les images d’une débandade qui rappelle la chute de Saigon en 1975. Leur grande illusion impériale est morte là, comme celle des Britanniques et des Russes avant eux. Dans une sorte de gradation dans la désignation de l’ennemi sous le vocable de terrorisme, on découvre que les Talibans coupeurs de mains pour les voleurs sont plus fréquentables qu’Al Qaïda qui se concentre sur des cibles politiques et qui serait par là même plus présentable que l’Etat islamique qui sème la terreur sauvage d’attentats massacrant aveuglément.

Notre siècle a vingt et un ans et notre effroi collectif continue. Ce n’est pas encore la chute dans le vide mais la pente parait de plus en plus raide. Les coups de boutoir du djihadisme terroriste continuent de remplir les cimetières. L’idéologie salafiste s’étend de l’Indonésie à la côte atlantique du Sahel et au golfe de Guinée. Des régimes autoritaires, violents, mercantiles et corrompus, dominent le monde ; ne parlons pas à leur sujet de régimes économiques illibéraux, ce serait leur rendre hommage par la racine du mot. L’incroyable épisode trumpien nous a stupéfié. La traite négrière revient sur les côtes libyennes. Il y a dix-neuf ans au sommet de Johannesburg, Jacques Chirac disait « notre planète brule »,c’était encore en partie une métaphore, aujourd’hui elle brûle réellement du Canada à l’Australie, des côtes méditerranéennes à la Sibérie, de la Californie à la Suède.

Douze ans avant la chute des deux tours, un mur s’écroulait, symbole de l’échec de la lutte finale du contre-modèle soviétique. Exactement quatre mois avant, nous avions fêté le bicentenaire de la prise de la Bastille qui annonçait la chute de la monarchie. Un million de Français avaient assisté sur les Champs-Élysées à la « Grande parade de la Marseillaise »du publicitaire Jean Paul Goude. Douze tableaux vivants de la « tribu planétaire »qui présentaient non pas des nations qui devenaient souveraines mais des clichés sur les peuples : les Africains défilaient à demi-nus, les Anglais marchaient sous une pluie artificielle. Des rescapés Chinois de la place Tienanmen étaient invités d’honneur au défilé militaire. Il y a trois mois, en guise de bicentenaire on nous a servi sous la coupole de l’Institut un discours présidentiel laborieux et pompier célébrant la mort de Napoléon 1erqui rétablit l’esclavage. La dernière décennie du XXe siècle, c’était l’euphorie, la fin de l’histoire, la victoire inéluctable de « nos valeurs ». L’horizontalité de la Culture remplaçait la verticalité du Politique. L’avenir était définitivement écrit dans la démocratie et le marché.

Pour la première, la messe de requiem semble aujourd’hui dite mais pour le second, la procession avance bon train derrière les avancées technologiques dans la communication. Elles accélèrent la création de bulles spéculatives, des applications mobiles tracent nos déplacements, la vitesse d’interconnexion des marchés boursiers participe de la financiarisation artificielle de l’économie et ll’humanité n’a jamais été aussi proche d’elle-même dans les réseaux sociaux. De leur côté le thermomètre du climat s’affole et la biodiversité disparait. 1989-2001, douze années d’illusions et de rêve éveillé, notre gueule-de-bois dure maintenant depuis vingt-ans dans un monde digitalisé d’indignations et de vérités alternatives. Les yeux fixés sur les écrans de nos portables nous cherchons encore notre avenir dans les décombres de l’effondrement des tours de Manhattan.

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