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Billet de blog 6 septembre 2025

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Gaza : les orgues de la barbarie

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Depuis le soutien inconditionnel des pays occidentaux à Israël à la suite des massacres terroristes du 7 octobre 2023, le régime de Benjamin Netanyahou porté par des religieux suprémacistes a eu carte blanche pour venger les victimes. L’effroi immédiat devant la soudaineté du drame et le désir de vengeance ont couvert de bruit et de fureur toutes les tonalités qui tentaient de comprendre l’évènement dans sa profondeur historique. Au diapason de la brutalité criminelle du Hamas, la partition du gouvernement israélien a encore augmenté le volume des effroyables dissonances humaines qui nous viennent de cette région du monde depuis tant d’années. En France la manivelle de la boîte à musique médiatique de l’antisémitisme a vite tourné à plein afin de taire les voix qui ne se mettaient pas immédiatement à l’unisson des chants guerriers ou d’une compassion rendue obligatoire vis-à-vis d’Israël. L’instrument forain s’est emballé, accompagnant le chœur des bateleurs des têtes de gondoles médiatiques mainstream qui ânonnaient à tue-tête la propagande de l’armée israélienne. Le contrepoint palestinien était rendu inaudible à côté de l’assourdissante basse continue d’un projet de conquête territoriale présenté comme un châtiment biblique. Le livret de cet opéra tragique est joué sur la scène internationale depuis bientôt trois ans. Les trompettes de Jéricho du Livre de Josué laissent entendre la ritournelle entêtante du rouleau de papier perforé du piano mécanique médiatique. Hélas cette métaphore musicale ne dit rien de toutes les vies arrachées depuis le 7 octobre.

Depuis cette date, au terrible décompte des personnes assassinées et enlevées ce jour-là, a succédé semaines après semaines celui des victimes civiles palestiniennes et des otages vivants ou morts encore aux mains du Hamas. Officiellement le rapport des personnes tuées est de un à soixante. Chaque semaine qui passe apporte son lot d’indignités en miroir de celles du 7 octobre : hôpitaux bombardés, famine organisée et déplacements forcés. Les dernières déclarations du gouvernement israélien ne font plus mystère du vrai scénario qui nous est joué, celui de la conquête territoriale du grand Israël au son du canon des crimes de guerre et contre l’humanité en harmonie avec une épuration ethnique, en un mot un génocide en cours selon les spécialistes du droit international et que de plus en plus de voies juives reconnaissent malgré la densité de ce mot[1] dans leurs mémoires. La conquête militaire de Gaza est annoncée et l’autorisation  a été donnée pour l’implantation d’une colonie juive sur le dernier verrou qui reliait les parties nord et sud de la Cisjordanie, aggravant l’impossibilité d’une continuité géographique d’un Etat Palestinien viable.

Rien ne semble pouvoir arrêter l’auto allumage de la dynamique criminelle qui s’est mise en marche avec l’assentiment des pays occidentaux et l’indifférence des pays arabes. Les Etats-Unis de Trump continuent de fournir le carburant de la guerre : les armes et le soutien politique sans réserve. L’initiative de la France avec 14 autres pays dont l’Angleterre, le Canada et l’Australie, portera de 148 à 163 (sur 193) le nombre de pays reconnaissant l’Etat de Palestine et n’enrayera pas à elle seule le mécanisme mortel dont Netanyahou et son cabinet criminel remontaient le ressort depuis longtemps et que l’acte meurtrier et volontaire du Hamas leur a donné l’occasion de libérer.   

Mais l’unisson médiatique de l’inconditionnalité du soutien à Israël au lendemain du 7 octobre semble diminuer en intensité. Le timbre de la boîte à musique se fêle, l’amalgame entre critique d’Israël, antisionisme, anticolonialisme et antisémitisme se joue en sourdine. On sent les politiques, les journalistes, les chroniqueurs et les intellectuels les plus engagés initialement derrière l’armée israélienne, à quelques derniers irréductibles près, gênés aux entournures. Leur dénonciation prudente et tardive des actes du gouvernement israélien leur sert de viatique contre le procès qui leur sera fait d’avoir trompé la vérité. La possibilité d’une complicité intellectuelle d’un génocide, voire son apologie, doit les tarauder : comment faire marche arrière sans assumer que leurs prises de positions ont contribué au massacre encore en cours ? Les images parlent, les Palestiniens et les Palestiniennes commencent à avoir des visages, les pratiques de l’armée israélienne et les assassinats ciblés des journalistes palestiniens, sont documentés. L’opinion publique se retourne contre celles et ceux qui l’ont empêché de penser la vérité de ce moment historique et qui continuent de tergiverser devant la terrible vérité dont ne voit pas encore les conséquences : le pays arraché par les victimes de la Shoah pour garantir leur protection, près de quatre-vingt années plus tard, commet un génocide contre les habitants des terres où ils se sont installés. C’est toute une classe politique, intellectuelle et médiatique qui s’est enfoncée dans le mensonge et l’erreur au nom du « plus jamais ça », édifié sur le déni de la Nakba. Leurs larmes de crocodiles ne seront pas suffisantes pour éteindre leur responsabilité intellectuelle et morale. Alors la propagande israélienne sort les grosses caisses et les glockenspiels de la musique militaire pour couvrir le chœur des pleureuses. La boîte à musique a muté en orgue de barbarie au sens propre du terme et le massacre continue.

[1] Lire David Grossman dans La Republica du 1er août 2025 :  A Gaza c’est un génocide même si cela me transperce le cœur de le dire ainsi et  Delphine Horvilleur dans Tenoua du 8 août : Les mots sont brisés.

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