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Billet de blog 6 décembre 2023

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La France au Sahel : une page qui se tourne

Le 14 novembre dernier, les forces armées maliennes, avec la force de frappe du groupe Wagner et l’appui logistique des armées burkinabée et nigérienne, ont repris sans difficulté Kidal la capitale touarègue du nord du Mali que ses défenseurs avaient déjà quitté devant les moyens déployés par les militaires maliens.

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Le 14 novembre dernier, les forces armées maliennes, avec la force de frappe du groupe Wagner et l’appui logistique des armées burkinabée et nigérienne, ont repris sans difficulté Kidal la capitale touarègue du nord du Mali que ses défenseurs avaient déjà quitté devant les moyens déployés par les militaires maliens. Cette réelle victoire politique plus que militaire du régime malien fait tomber le dernier volet de l’engagement français au Mali : l’appui à une forme très avancée d’autonomie politique de la région touarègue. Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger sont en train de former une alliance militaire et font passer un message fort : nous prenons en main notre souveraineté sur la totalité de nos territoires, Wagner nous est utile, l’emploi de la force est nécessaire pour lutter contre les jihadistes armés qui veulent établir un Califat au Sahel.

Persistance des crises

D’une certaine manière on souhaite aux militaires de réussir là où la France et les coalitions internationales (G5 Sahel et MINUSMA) ont échoué. Les armées nationales ont la légitimité pour le faire. Cependant, la prise du pouvoir politique par les militaires n’est jamais une bonne nouvelle et ces coups d’Etat déstabilisateurs favorisent les djihadistes. Les brutales méthodes wagnériennes questionnent. Ce succès politique ne doit pas cacher les crises qui se superposent au Sahel et qui sont pour une majeure partie à l’origine de la situation sécuritaire. L’anthropologue Franco-Nigérien Jean Pierre Olivier de Sardan[1] en voit huit qui sont enchevêtrées, ce qui rend leur lecture complexe : la crise agro-pastorale, la crise de l’emploi, la crise des services publics, la crise des élites politique, la crise de l’islam, la crise de l’occidentalo-centrisme, la crise sécuritaire et la crise des armées nationales. Un récent travail de l’AFD sur les sociétés civiles au Sahel[2] montre aussi cette complexité de lecture des sociétés sahéliennes qui obéissent à des dynamiques diverses parfois contradictoires et toujours ancrées dans l’histoire longue de cette zone géographique du nord du continent africain. C’est la méconnaissance ou le refus de voir les contextes sociaux-politiques qui nous a fait passer à côté du projet émancipateur que l’aide au développement portait en lui malgré ses profondes ambiguïtés.

Crises sociales et politiques

Les variations des cycles pluviaux agricoles dues au changement climatique alliées à la diminution de la disponibilité des terres (accaparement et démographie) ont des conséquences conflictuelles violentes qui vont en s’amplifiant entre les agriculteurs et les éleveurs nomades. Dans ce contexte c’est chez ces derniers qui connaissent bien le terrain, que les katibas djihadistes recrutent nombre de leurs combattants. De même en milieu urbain et péri urbain la quasi inexistence de l’emploi formel et les faiblesses des emplois informels laissent sur le carreau une jeunesse qui ne peut plus envisager son avenir en dehors de l’émigration, du repli religieux, de la délinquance urbaine, voire pour certains de l’engagement armé auprès des djihadistes qui y trouvent un terreau riche pour leurs entreprises de radicalisation. Si les chiffres globaux de mortalité, de scolarisation ou d’analphabétisme se sont améliorés entre les indépendances et aujourd’hui, les services publics sanitaires et d’éducation sont complètement délabrés ou privatisés au bénéfice des plus riches. Cette situation est essentiellement due aux politiques d’ajustement structurels des années 90 que les élites au pouvoir ont appliquées sans ménagement, en laissant aux projets de l’aide au développement et à la solidarité internationale le soin de prendre en charge la santé et l’éducation de base. Ces élites ont préféré se concentrer sur la reconduction de leurs pouvoirs et la gestion de la rente financière étatique et de l’aide au développement, en un mot la corruption. Il n’est d’ailleurs pas certain que les nouvelles élites militaires aujourd’hui au pouvoir aient la volonté ou la capacité de répondre à ces défis, d’autant qu’en majorité elles ont participé et bénéficié du système précédent.

Réislamisation

L’islam sahélien était dominé par les grandes confréries soufies qui ne remettaient pas en cause les pouvoirs qui se sont succédés sur ces vastes territoires. Pour cette raison, dans les années 30 le colonisateur français a même favorisé le développement de la Tidjaniyya sénégalaise dans la colonie du Niger. A partir des années 80, l’arrivée en force des prédications salafistes appuyées par les moyens financiers des monarchies pétrolières et gazières du golfe persique et de la péninsule arabique, a bouleversé la situation. L’anti occidentalisme de ces idéologies politico-religieuses, notamment celle des Frères Musulmans, a imprégné les sociétés sahéliennes pendant que les vieilles aristocraties des confréries soufies étaient remises en cause par les subalternes (jeunes, femmes) de ces structures religieuses. Les djihadistes armés répondent à ces derniers et sont dans le sillage idéologique de cette réislamisation du Sahel. Il est probable que la majorité des jeunesses urbaines connectées au monde et facilement mobilisées pour faire la claque anti-France en soutien aux militaires putschistes, ne se retrouve pas dans l’idéologie salafistes ou frériste.

Crises sécuritaire et humanitaire

La prise de Kidal par l’armée malienne est une hirondelle qui ne fait pas le printemps sécuritaire. Les autorités maliennes tiennent les villes importantes mais les services de base ne sont plus fournis en dehors des centres urbains. Les groupes salafistes armés continuent de porter des coups. Les exactions de l’armée contre les civils en milieu rural perdurent. Au Burkina Faso, on compte 1,9 millions de déplacés selon l’ONU et la moitié du pays est en dehors du contrôle du pouvoir central. Une bonne saison pluvieuse a atténué la situation de crise alimentaire. Des villes sont littéralement assiégées, comme Djibo ou Bourzanga et des milices d’auto-défense (les volontaires pour la défense de la Patrie VDP) construites sur des bases communautaires, mal encadrées sont décimées ou commettent des représailles non ciblées sur les éleveurs notamment qui rendent les coups. A Ouagadougou, les enlèvements de leaders associatifs qui critiquent le régime militaire, se multiplient, comme dernièrement, le premier décembre, celui de Daouda Diallo, secrétaire général du collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC). Au Niger où l’Etat contrôle encore une grande partie de son territoire, les coups d’éclats militaires des katibas djihadistes se multiplient dans les zones frontalières du Mali et du Burkina.

Ouvrir une nouvelle page ?

Dans ce contexte, les perspectives de sortie crise sont incertaines. La France n’est pas en soi responsable de toutes ces réalités, elle porte bien sûr sa part de responsabilité mais c’est l’absence d’anticipation et la cécité des responsables en charge du Sahel qui interroge. Même s’il héritait d’une situation complexe et déjà bien dégradée à cause des conséquences de l’intervention militaire en Libye, le président Macron, avec son génie propre, a ajouté sa couche de confusion. Le deux poids deux mesures entre le Mali et le Tchad a bousillé la lecture diplomatique de la politique française au Sahel. Sa sur-réaction aux coups d’Etat au Mali et au Niger et les sanctions de l’Union Africaine ont été mal vécues. La suppression des visas pour les activité culturelles est incompréhensible. Déjà son premier discours africain à l’université de Ouagadougou en 2017, habile mais démagogique et paternaliste, portait les carences de sa diplomatie africaine indigente. 

Pour autant des liens forts persistent entre les citoyens de ces pays et le nôtre. 11 500 Français sont encore inscrits dans les consulats des trois pays. On peut compter le double vivant dans ces pays, dont la plupart binationaux. La langue française en partage est un lien essentiel. Près de 100 000 Maliens vivent en France. Nous avons des mémoires partagées, pour le meilleur et le pire. Les échanges économiques bien compris de part et d’autre font aussi partie de ce mortier qui rassemble nos peuples. Les pays d’Afrique côtière et d’Afrique Centrale ne sont pas encore emportés par le tourbillon sahélien, mais les mêmes ingrédients de crise sont à l’oeuvre. Alors comment entamer l’écriture d’une nouvelle page des relations entre nos pays pour regarder ensemble les défis contemporains : le changement climatique, la solidarité internationale, le développement économique vertueux, les migrations de travail, les droits de l’homme, la sécurité ? « C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle » dit un proverbe africain. C’est ce à quoi doivent s’appliquer les responsables de chaque pays, mais les tisserands de chacun des bouts ont-ils les capacités pour cela ? On en doute à regarder les treillis et les poses martiales des uns, la diplomatie sans tête et l’immodestie de l’autre. 

[1] Jean-Pierre Olivier de Sardan. L’enchevêtrement des crises au Sahel. Niger, Mali, Burkina Faso. Karthala 2023

[2] Etude IRD/AFD 2023 coordonnée par Christophe Courtin. Les société civiles au Sahel. https://pasas-minka.fr/fr/resources/download/468

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