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Billet de blog 7 février 2015

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L'auberge espagnole du co développement

Article paru dans la revue de l'IRIS octobre 2007

A partir d’une réflexion stratégique digne du bas empire romain qui voulait contenir à ses frontières les pressions démographiques venue de l’est, en confiant aux Germains le soin de repousser les barbares, l’Europe demande aux états du Maghreb de gérer à leur niveau le refoulement des migrants indésirables qui viennent du sud.Retranchée derrière le dispositif sécuritaire Frontex dont le nom sonne comme une marque de préservatifs pour nous protéger des miasmes dont sont porteurs les étrangers - le récent débat sur l’amendement ADN est ainsi le signe d’une dérive biologisante pour ne pas dire raciste - l’Europe a mis en place un dispositif à la vue courte qui n’est qu’un traitement symptomatique à usage de politique intérieure sur un phénomène ancien mais que la mondialisation et le développement inégalitaire des économies stimulent : la mobilité humaine. Comme pour cacher cette stratégie à l’odeur fétide, en France, tous les gouvernements depuis quinze ans et la plupart des politiques, de gauche comme de droite, ont trouvé le désodorisant miracle. Ils promeuvent une réponse qui donne une touche humanitaire à ces politiques régressives : le codéveloppement qui est devenu en quelques années le faux nez humaniste d’une politique de gestion des flux migratoires alors qu’à l’origine, dans les années 80, il était un concept novateur qui mettait en avant le rôle des diasporas dans les politiques de développement de leurs pays de départ.

 Les premiers résultats tangibles d’un ministère de circonstance qui regroupe à la fois l’identité nationale, l’immigration et le codéveloppement auront été d’une part de mettre bas les masques en assumant cyniquement l’indexation des récentes immigrations en France, celles du Maghreb et d’Afrique subsaharienne essentiellement, comme allogènes à l’identité française et, d’autre part, de montrer l’extrême faiblesse de la réflexion des nouvelles autorités françaises sur le codéveloppement.

Codéveloppement et gestion des flux migratoires : le débat est clos

S’il est certain que la démocratie et le développement économique, durable, humain, social, sont les meilleurs réponses pour éviter les flux de réfugiés liés à la famine, aux guerres, à la dégradation de l’environnement, aux atteintes aux droits de l’homme, il est vrai également que le développement économique favorise la mobilité humaine. En effet, dans un contexte de mondialisation des échanges et des capitaux, la mobilité individuelle est un atout pour réussir économiquement. De ce point de vue, on ne comprend pas pourquoi on veut favoriser d’une main le développement des pays du sud et d’une autre main empêcher la mobilité des personnes. Les accords ACP[1] de l’Union Européenne sont caractéristiques de cette schizophrénie des politiques publiques : d’un côté la quasi suppression des taxes douanières, sensée développer l’économie, va aggraver - c’est certain dans un premier temps - la fragile fiscalité des pays pauvres, dégradant la situation déjà dramatique des équipements publics et faisant ainsi basculer sous le seuil de pauvreté de nouveaux pans de populations dont les plus dynamiques tenteront d’émigrer. D’un autre côté on cadenasse les frontières. De même ne pas voir que le développement et la diminution des flux de personnes fuyant leur pays obéissent à des différences de temps et croire au lien mécanique entre les deux est une supercherie, du populisme en un mot.

 Le nouveau ministère a quand même compris ce paradoxe, la carte « compétences et talents » le montre, mais il est tellement pris dans son discours sécuritaire et le paquebot administratif des services de l’état chargés des étrangers et des consulats de France à l’étranger est tellement lourd à manœuvrer que ces mesures ne sont toujours pas opérationnelles. La reprise d’une politique d’immigration de main d’œuvre, fermée depuis 1974, est aussi le signe que les lignes bougent sur la question de la mondialisation des économies, mais là encore le modèle qui se dessine, la sélection des compétences, risque de se faire au détriment de la qualité du développement des pays du sud. Les vraies pistes de travail sont à chercher dans le droit à l’aller au retour, dans la facilitation des petits séjours successifs en Europe. Les difficultés, voire dans de nombreux cas les humiliations administratives pour obtenir un visa font que des visiteurs de court séjour n’hésitent plus à préférer la clandestinité. Il est faux de croire que l’immigration est une immigration d’installation, cette dernière est minoritaire.

 Même Mr Stéphanini, secrétaire général du CICI[2], conseiller spécial de Brice Hortefeux et tête pensante de l’architecture du nouveau ministère, n’ose plus en public assumer le lien entre le co-développement et l’immigration. En juin dernier, moins de deux mois après la création du ministère, il déclarait déjà au salon de la solidarité : « Nous ne voulons ni ne pouvons limiter ou éviter l’immigration par une politique volontariste de co-développement. Les sommes sont de toute manière modestes comparées aux flux financiers où à l’aide publique au développement (APD) ». Dans la pratique, derrière les déclarations publiques pour rassurer les ONG et les milieux associatifs de la solidarité internationale, la réalité est toutefois différente. Le propos doucereux de Mr Stéphanini n’a pas empêché le président de la République, le 9 juillet, dans sa lettre de mission, de charger Brice Hortefeux de reconstruire « la politique d’aide au développement dans les pays sources d’immigration à la lumière de la question des flux migratoire » Les postes diplomatiques reçoivent des consignes pour favoriser, je cite, « les programmes de développement qui fixent les populations ». Ajoutant à ses angoisses existentielles qui durent depuis dix ans, la DGCID[3]qui crut un moment passer avec armes et bagages sous la houlette du nouveau ministère, découvre les récents arbitrages budgétaires qui vont doter le ministère de l’immigration de moyens accrus pour monter des programmes de développement au détriment de ses propres moyens traditionnels de coopération. Dans les conditionnalités de l’APD française, le ministère tente toujours d’introduire la limitation des flux migratoires.

 On sent bien que le débat sur le codéveloppement concerne essentiellement les pays d’Afrique. Parlera-t-on de codéveloppement avec la Chine ? Non. Avec le Moyen-Orient ? Pas plus. Quoiqu’il dise, ce ministère dont on lui souhaite une vie courte, est marqué par ce défaut congénital qu’il est lié, et mal, à l’histoire récente de la France dans ses relations avec les ex pays colonisés.   

 L’avenir politique de ce ministère semble très aléatoire mais le mauvais et maladroit débat qu’il a introduit sur le co-développement comme politique de contrôle des flux, bien qu’il soit maintenant clos, a obligé les associations à préciser et renouveler leurs propres visions du co-développement face à celle des autorités. En effet Mr Stéphanini déclara un peu plus tard au salon de la solidarité : « Désormais il y a un ministère unique dédié à ces questions, les associations et les ONG ont un interlocuteur unique ». En clair il explique qu’il y aura un guichet unique et, en légère contradiction avec son propos liminaire sur le sujet, il estime que le rôle des OSIM[4] et des associations actives dans le domaine du co-développement doit être traité à part de la politique d’aide publique au développement. Avant même la création du ministère, un ambassadeur spécial au co-développement avait été nommé en 2003. Confiée au départ à un ancien ambassadeur de France au Mali, rattachée à la DGCID, cette structure avait pour mission de coordonner et d’impulser toutes les initiatives portées par des associations d’étrangers[5] pour promouvoir des projets de développement dans leur pays. Quelques années auparavant les OSIM avaient été encouragées et aidées par la DGCID à se fédérer dans une faîtière représentative unique : le FORIM[6]. Le nouveau ministère est ainsi une nouvelle étape d’une démarche ancienne des pouvoirs publics pour faire des diasporas et des associations de migrants des acteurs spécifiques qui méritent un traitement particulier et dont il convient d’assurer la traçabilité des activités et des moyens afin de camoufler les expulsions et la lutte contre l’immigration clandestine. Le codéveloppement, tel qu’il est porté en France, souffre de cette consanguinité avec la gestion des flux migratoires. Même si beaucoup d’ONG et d’associations, attirés par les financements, collaborent de fait à cette stratégie au long cours, la vision du co-développement portée par les acteurs associatifs n’est pas celle du ministère de l’immigration.

 Entre les deux tours de l’élection présidentielle, alors que les contours de la politique de migration du candidat Sarkozy étaient connus, lors d’un colloque sur le co-développement, financé par la DGCID, la Fondation de France et le CCFD[7] et organisé par une douzaine d’associations européennes, le concept de co-développement a été approfondi à la lumière des multiples expériences associatives et publiques en Europe. Une des conclusions du colloque a été de reconnaître que les migrants non seulement participaient au développement de leur pays d’origine mais aussi au développement de leur pays d’accueil. Ces analyses humanistes, refusant le discours xénophobe, en réfléchissant du point de vue du nord restent toutefois en deçà d’une critique plus radicale du concept qui répond au souci des pays d’accueil.

« Aujourd’hui qui définit le « co » de codéveloppement ? » Demande Assane Ba, chargé de mission du programme migrants du CCFD. Les migrants représentent-ils les pays du sud ? Sont-ils nécessairement les mieux placés, ou plus précisément doivent-ils être les seuls interlocuteurs du sud pour donner du contenu au préfixe du codéveloppement ? Certainement pas. Les acteurs des sociétés civiles du sud ne participent pas au débat. Les pouvoirs publics du sud signent des accords de réadmission dans un rapport de force déséquilibré avec les pays européens et avalent les couleuvres des conditionnalités économiques pour bénéficier des facilités financières des institutions financières internationales (FMI, BAD, Banque Mondiale)[8]. Aujourd’hui, le débat sur le contenu du codéveloppement est un débat à trois : associations de migrants, sociétés civiles et  pouvoirs publics du Nord, alors qu’il devrait intégrer les sociétés civiles et les pouvoirs publics du Sud. La coopération décentralisée, vécue de plus en plus comme politique de solidarité internationale entre collectivités territoriales a également beaucoup à apporter dans ce débat qui doit intégrer le fait que les priorités politiques du codéveloppement sont au Sud.

 Le véritable enjeu du codéveloppement : le contrôle de la gestion des flux financiers

 Le rapport de Charles Milhaud en 2006 sur l’intégration des migrants et la valorisation de leur épargne estime à 8 milliards d’euros le montant des transferts financiers des migrants en France vers leur pays d’origine. A l’échelle européenne on peut multiplier ces sommes par 15. Ces flux croissent rapidement chaque année.90 % de ces sommes sont consacrées à la consommation ou l’habitat. Le reste est consacré à des projets de développement économique. Le rapport Milhaud sous évalue les montants transférés par les réseaux informels et traditionnels. Cette réalité pose plusieurs problèmes, elle suscite des convoitises aussi. Les premiers problèmes sont ceux liés à la mobilisation de l’épargne des migrants et au marché des services de transfert. Les vocations pour les prendre en charge sont nombreuses, on s’en doute. Le second est celui de l’orientation des fonds vers des programmes de développement bénéficiant collectivement aux populations.

Les coûts pratiqués par les opérateurs de transferts d’argent sont prohibitifs, mais le service est efficace, rapide et simple. Sur la route des migrations subsahariennes à Agadez, Arlit, Tamanrasset, dans des villes sous équipées, les agences de transfert d’argent ont ouvert des succursales modernes. Des candidats au voyage, traités comme des animaux par les passeurs et les policiers corrompus y reçoivent un accueil commercial irréprochable. De loin en loin, au cours de leur périple les migrants peuvent ainsi sécuriser leurs économies et recevoir, pour les plus organisés, l’argent au fur et à mesure de leurs besoins. Les affaires marchent pour les opérateurs financiers. Les diasporas sont des cibles marketing intéressantes pour les banques commerciales. La Société Générale vient d’ouvrir des agences bancaires dans le nord de Paris afin de permettre aux ressortissants de pays africains de gérer leurs comptes au pays. Des banques sénégalaises ou marocaines ouvrent des agences en France.

 Le compte épargne codéveloppement, créé en 2006 pour drainer l’épargne des étrangers sur des comptes bloqués, destinée au financement de projets dans les pays du sud et déductible à 25% du revenu imposable a surtout un effet d’aubaine pour les étrangers déjà imposables qui n’ont probablement pas attendu ces offres pour épargner ou arbitrer dans leurs revenus la part qu’ils renvoient à leurs proches au pays. L’Agence Française de Développement chargée de mettre en œuvre la stratégie de l’Aide Publique au Développement de la France a clairement, voire uniquement centrée sa stratégie de codéveloppement sur la mobilisation de l’épargne des migrants vers des projets de développement collectif, tâche rude quand on sait que les transferts des migrants répondent d’abord au souci d’améliorer le quotidien, voire d’assurer la survie, des proches restés aux pays. 

L’épargne solidaire est probablement une voie à explorer. Le principe est simple : les revenus de fonds de communs de placement éthiques, gérés par des banques commerciales, sont placés dans des institutions financières de solidarité comme la SIDI[9] en France qui prennent des participations dans des institutions de micro finance au sud, leur proposent des crédits à long terme et à bas coût ou leur financent des garanties bancaires. Le micro crédit n’est pas la solution unique au besoin de développement des pays du sud, comme on est souvent tenté de le faire croire, il finance encore à court terme essentiellement des petits projets économiques, mais c’est encore un outil de solidarité de proximité qui donne de vrais résultats. Il reste à transformer chez les migrants installés en France et qui en ont les moyens financiers, leur motivation d’aide à ceux qu’ils connaissent et qui restent au pays en une motivation de solidarité vers les plus pauvres de leur pays. Voilà un beau et vrai débat sur le codéveloppement.


[1] Accords ACP : les accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays d’Afrique Caraïbes Pacifique.

[2] CICI : Comité Interministériel de Contrôle de l’Immigration

[3] DGCID : Délégation Générale à la Coopération Internationale et au Développement : les services de l’ex ministère de la coopération.

[4] OSIM : Organisation de Solidarité Internationales issues de l’IMmigration

[5] Le droit d’association des étrangers est reconnu depuis 1982

[6] FORIM : Fédération des Organisations Représentatives de l’IMmigration

[7] CCFD : Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement

[8] BAD : Banque Africaine de Développement.

[9] SIDI : Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement.  SA spécialisée dans la finance solidaire au sud. 

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