Il ne faut jamais se démoraliser de la haine des diaristes d’extrême droite. Ce qu’il faut, c’est la laisser décanter dans une fosse septique morale. Après plusieurs semaines les fermentations s’évacueront en un gaz fétide mais connu et inoffensif si l’on sait se boucher le nez. Ces émanations sont aussi vieilles que le journalisme pamphlétaire et la littérature de caniveau. Mais voilà, la pestilence se répand comme l’ypérite des tranchées et beaucoup, la truffe au sol, la hument avec délectation. Les médias mainstream, de droite et d’extrême-droite la répandent pendant que 7,2% des suffrages exprimés ont été intoxiqués par l’haleine haineuse de Zemmour en avril 2022.
Pendant la Grande guerre l’écrivain pacifiste Romain Rolland avait surnommé Maurice Barrès, l’écrivain chantre du nationalisme, « le rossignol des carnages ». Ce dernier pendant la durée du conflit tint des chroniques pour glorifier les sacrifices des Poilus en passant sous silence les hécatombes que l’impéritie des états-majors multipliait. A Morhange le 26 août 1914, en une journée 27 000 soldats français furent tués à cause de la désobéissance de Foch. L’obstination de Nivelle au Chemin des dames en avril 2017 fit 180 000 morts côté français pour quelques kilomètres de territoires gagnés. La comparaison avec Eric Zemmour s’arrête au titre de l’article, choisi pour le plaisir du bon mot. Barrès au grand style était inspiré par une colline lorraine, Zemmour ce qui l’inspire ce sont les mornes plaines caillouteuses de ses passions tristes : le ressentiment, la xénophobie, le racisme et la haine de l’autre, c’est à dire le Musulman, l’Arabe et le Noir qui viennent du sud dans des embarcations de fortune. Ils arrivent en bateau, ivres d’un rêve héroïque et banal : vivre décemment.
Un masque à gaz efficace contre ce nouveau gaz moutarde, c’est celui de l’humour qui déconstruit à coup de marteau. Patrice Leconte portait ce masque le 6 février 2010 sur le plateau télé de l’émission On n’est pas couché. Après avoir été étrillé par Zemmour, impassible, droit dans les yeux du chroniqueur, le réalisateur des Bronzés raconta une petite fable anodine, celle d’un rossignol qui pleurait d’avoir été jugé par un porc. Le public applaudit. Le rossignol qui annonce le printemps en chantant au petit matin et à la tombée de la nuit, qui pleure aussi, c’est nous.
Avec son Roman Petit frère[1] Zemmour pensait écrire un texte côtoyant Louis-Ferdinand Céline, celui du Voyage au bout de la nuit, mais l’encre de la haine de son stylo lui fit produire une boule puante littéraire. Le roman de notre petit Céline des décharges se base sur un meurtre. Le 19 novembre 2003 un jeune Français, Sébastien Selam, est poignardé et mutilé par son ami d’enfance le Français Adel Amstaibou. Le premier est Juif, le second Musulman qui bénéficiera d’un non-lieu parce qu’il délirait au moment des faits. Le caractère antisémite ne fut pas retenu. Zemmour s’empara de ce drame et des polémiques qui suivirent pour sublimer, au sens d’un solide qui se transforme en gaz, les faits réels et le jugement du tribunal en un roman voyeur et indécent au fumet raciste qui s’enroule avec les effluves des bas-fonds marécageux de Bagatelle pour un massacre et de L’école des cadavres, libelles écrits par Céline juste avant la seconde guerre mondiale. Ces pamphlets participèrent de l’antisémitisme culturel et d’Etat qui envoya en juillet 1942 13 000 Français, parce que Juifs, au Vel d’Hiv puis aux chambres à gaz d’Auschwitz via Drancy. L’haleine fétide du ressentiment annonce le Zyklon B. L’ellipse, l’argot des banlieues, celui des milieux juifs sépharades, les dialogues serrés, ne font pas un grand roman. Le venin dans la plume[2] de Zemmour est plutôt celui d’Edouard Drumont[3] pamphlétaire antisémite à la rhétorique outrancière qui disait « Le Juif voilà l’ennemi !». Zemmour, depuis Petit frère, annone en boucle, de livre en livre : le Musulman, voilà l’ennemi !
On demanda à Louis-Ferdinand Céline ce que Shakespeare avait de plus que Racine ou Corneille, il répondit « on passe de la clownerie au tragique, avec vraiment de la vérité, en même temps… C’est plus complet, ça tient mieux… quand vous avez à la fois le tragique et le rire, vous avez gagné ». Zemmour, c’est le clown psychopathe Joker du Cirque d’hiver le 30 septembre dernier, l’ennemi juré de Batman, qui chute dans la cuve de déchets toxiques qui lui blanchissent la peau, teintent ses cheveux en vert et ses lèvres en rouge sang. Avec Zemmour, plusieurs fois condamné pour haine raciale, multirécidiviste, on a à la fois le mensonge, le tragique et la haine.
le samedi 13 novembre 2021, devant le Bataclan, le jour de la commémoration des attentats de 2015 où quatre-vingt-dix personnes furent assassinées, Eric Zemmour fit une déclaration. Ses propos furent ignobles. Le plus que probable futur candidat déclara : « L’ancien président de la République a dit lui-même qu’il savait que des terroristes seraient infiltrés parmi les migrants et il n’a pas arrêté le flot des migrants (…). Donc François Hollande (…) n’a pas protégé les Français et a pris une décision criminelle de laisser les frontières ouvertes ». Eric Zemmour, profanateur, rossignol des outrages.
[1] Eric Zemmour. Petit frère. Denoël 2007
[2] Gérard Noiriel. Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République. La Découverte. 2019.
[3] Edouard Drumont, 1844 – 1917. Journaliste antisémite compulsif qui écrivit sept livres contre les Juifs, autant qu’Éric Zemmour contre les Musulmans.