Alors que l’incendie de la pandémie commence à donner des signes de ralentissement, le chef de la guerre contre le COVID a annoncé la date du départ du retour vers la situation qui prévalait avant la grande campagne sanitaire du printemps en France : ce sera le 11 mai, la route sera longue, la lutte contre la maladie n’est pas finie mais l’intendance suivra. En bon chef d’état-major, le premier ministre organise la délicate manœuvre et les 28 avril et 7 mai il présente à ses troupes le plan de marche pour un retour à la normale qui s’annonce difficile. Depuis trois ans, pour Emmanuel Macron, Édouard Philippe est un peu « l’irremplaçable Berthier », le chef d’état-major général des armées napoléoniennes qui accompagna l’Empereur pendant toutes ses campagnes militaires jusque la débâcle de Russie. Alors que Napoléon avait déjà quitté Moscou pour anticiper les prochaines batailles de la campagne de France qui l’amèneront à abdiquer moins de deux ans plus tard, le chef d’état-major, depuis un moment en désaccord avec la stratégie de son patron, tenta d’organiser la retraite avec les moyens dont il disposait et l’incurie d’une partie de ses généraux issus de la jeune garde qui avait porté au pouvoir l’homme de la cour du Louvres. Comme Berthier, le premier ministre a de la tenue, c’est un loyal, jusqu’à un certain point. Le monarque le sait. En lui laissant gérer le déconfinement hors de Moscou, il sait aussi que son fidèle Maréchal ne sera pas à ses côtés pour sauver son pouvoir. Finalement, affaibli, Berthier, prince de Wagram, alla dans le sens de sa pente idéologique et rejoignit les troupes de l’ancien régime revenues au pouvoir : des aristocrates légitimistes, des financiers affairistes et les nostalgiques du régime monarchique. La haute administration publique d’Empire suivit le mouvement. Tous ces gens espéraient revenir à l’ordre d’avant la Révolution. L’histoire a montré qu’ils n’y sont pas arrivés, c’est la Révolution qui était en marche.
Les premières batailles contre les gilets jaunes, contre les praticiens hospitaliers et contre les syndicats, la gestion des débuts de la pandémie, la démission de la ministre la santé pour une cantine électorale et les soignants morts faute de masques, ont épuisé les forces politiques du gouvernement comme le typhus et les victoires incertaines avaient réduit les capacités de la grande armée arrivée à Moscou en septembre 1812. Avec constance Édouard Philippe monte à la tribune du parlement et assure le service après-vente de la stratégie hasardeuse de déconfinement du Président de la République. C’est un pouvoir qui a tiré toutes ses cartouches idéologiques qu’il soutient devant les assemblées en dessinant la ligne de défense qu’il organisera quand la bataille politique reprendra ses droits :« nous avons suivi les conseils des experts scientifiques qui n’étaient pas toujours d’accord entre eux et dont les avis évoluaient ».Avec habileté il donne encore des coups. Au président du groupe parlementaire Les Républicains, il lance : “Hier vous avez indiqué, dans une intervention tout à fait remarquable, que gouverner, c’était décider, avant d’ailleurs que la majorité de votre groupe ne préfère s’abstenir”.Pour l’instant les partis politiques installent les cantonnements, affûtent leurs armes et préparent les plans d’attaque. Les oppositions tiennent des positions solides : la calamiteuse gestion des stocks de masque, le cirque des élections municipales et les errances de la communication gouvernementale sont autant de points en surplomb d’où les premières canonnades de tirs de barrage politiques partiront contre le régime macronien. Des procédures judiciaires sont déjà engagées contre le premier ministre.
Comme l’Empereur à Austerlitz, en bon artilleur politique, notre monarque républicain cherche son plateau de Prätzen d’où il pourra mener la bataille pour sauver son régime après la retraite du déconfinement quand les écoles ouvriront sérieusement, quand le pays ne sera plus une sorte d’immense damier vert et rouge, quand la vie reviendra et arrivera l’heure des responsabilités politiques. Ses troupes ne sont pas loin de la débandade, mais il a encore la puissance de feu des institutions. Sa garde rapprochée composée de députés peu aguerris au combat politique, de chroniqueurs de cour, d’officiers supérieurs arrogants et d’hommes d’affaires sans âme, semble bien fragile devant les armées de l’opposition qui ne se sont pas encore coalisées. A sa droite les régiments aguerris de l’ancien régime, qui ne l’ont toujours pas rallié, attendent ce moment d’affaiblissement depuis trois ans. Les vielles troupes nostalgiques de l’empire colonial, prêtes à en découdre avec les Mahométans et rangées sous la bannière d’une vilaine Jeanne d’Arc peroxydée poussent leurs cris de guerre comme elles le font depuis vingt ans. Sur sa gauche, les restes de l’armée morte d’un parti qu’il avait dépouillé de ses capitaines biberonnés aux prébendes d’Etat, se cherchent encore. Les gros bataillons des sans-culottes qui battent la campagne depuis trois ans, en embuscade sur tous les combats passés, veulent rejouer Valmy avec leurs Commissaires révolutionnaires emplumés, pendant que les escadrons verts réfléchissent encore aux plans de la bataille à livrer avec autant de tactiques manœuvrières qu’il y a de lieutenants. On dit leur chef prêt à rallier l’Empereur pour lui succéder dans deux ans.
La bataille politique à venir est encore incertaine mais le maire du Havre ne sera probablement plus là. La coordination des services de l’Etat qu’il assurait sera confiée à un (ou une) chef qui aura senti le vent du boulet et qui sera prêt à trahir si la situation du Président devenait intenable avant les prochaines élections présidentielles. Comme pour le terrible hiver russe de 1812, notre histoire nationale retiendra de ce terrible printemps viral de 2020 le dénuement et le courage des grognards, l’orgueil de Napoléon, le commencement de la fin de son régime et aussi l’amertume lucide de l’irremplaçable Berthier.