Emmanuel Macron a prononcé son premier grand discours africain le 28 novembre dernier à l’université de Ouagadougou au Burkina Faso. A-t-il été arrogant, impoli avec le président Kaboré, suffisant, maladroit, voire raciste ? Ces polémiques sur la forme n’ont que très peu d’intérêt et occultent le débat sur le fond de ce long discours. La forme informe-t-elle sur le fond, comme le disent les juristes, pas sûr. Si la jeunesse du président, l’effet générationnel, la décontraction, marquent une vraie rupture de style et de discours, on ne voit pas bien en analysant le fond où sont les innovations. Après une entrée en matière tonique où il cite Thomas Sankara et où il affirme qu’il n’y a pas de politique africaine de la France, Emmanuel Macron consacre le premier tiers de son discours aux sujets les plus politiques : son diagnostic sur l’Afrique, la colonisation, la lutte contre le terrorisme, les visas, l’aide au développement, la démographie, les religions, la démocratie, la question migratoire. Sur chacun des sujets, il est globalement pertinent, assez éloquent même, mais il passe vite et botte souvent en touche et il est parfois contradictoire. Il demande par exemple aux étudiants burkinabés présents d’oublier l’histoire, de passer à autre chose, de se réconcilier avec la France, tout en se référant à Mandela qui justement avait construit sa politique de réconciliation sur la mémoire. Le Président français aura mal lu Paul Ricœur. Un peu ficelle, il tente de réparer ses déclarations antérieures maladroites qui recyclent un discours colonialiste sur la démographie africaine en décalant le sujet sur le droit des femmes. Les droits de l’homme ne sont cités qu’une seule fois lorsqu’il aborde la question des réformes constitutionnelles, et encore, il explique qu’il n’a aucune leçon à donner. Dans cette première partie Il fait quelques propositions concrètes qui parlent à son auditoire : le ciblage des bourses sur les filles ou le visa de circulation. Sur la question migratoire, au-delà de sa belle formule « des routes de la nécessité », sa proposition d’équipes sur place chargées du tri entre les victimes politiques et les migrants économiques, sont largement en deçà de la nécessité à résoudre ce drame humain.
Mais le cœur du discours n’est pas dans cette première partie où il fait le minimum syndical d’un premier discours de président français en Afrique. Il s’en sort pas mal, finalement. Il est habile. C’est dans les deux derniers tiers de son intervention qu’il faut le trouver. Il y montre qu’il y a bien une politique africaine de la France : le business et les rapports de force économiques. Pour chaque thème abordé, la solution c’est l’entreprise, l’entreprenariat, l’innovation technologique et ses champions français. Cela concerne tous les domaines : le climat, l’éducation, la santé, les transports, l’urbanisme, le sport, les infrastructures. L’Agence Française de Développement sera l’instrument de la diplomatie économique de l’entreprise France, il le dit sans fard. L’organisation Business France qui appuie les initiatives économiques françaises dans le monde sera orientée vers l’Afrique. Il rend hommage à des chefs d’Etat africains en délicatesse avec la démocratie mais qui font le job côté business et sécurité : Ouattara, Kagamé, Condé, Déby. Les onze membres de son conseil pour l’Afrique qu’il a créé auprès de lui pour l’aider à penser la politique africaine de la France et qu’il cite dans son discours sont tous issus du monde économique ou culturel, à la façon du magazine économique Plus d’Afrique de Canal + du groupe Bolloré. Le lendemain à Abidjan le dossier du consortium Thales, Bouygues, Alstom sera le centre des vraies discussions pour le plus grand chantier français en Afrique (1,4 milliards d’euros pour le transport urbain à Abidjan). Le surlendemain, le groupe Décathlon organisera directement la visite du président Macron au Ghana. Moins de deux semaines après le discours de Ouagadougou, Kako Nubukpo, directeur de la francophonie économique à l’OIF qui estime que le franc CFA est une servitude volontaire des Etats africains et une survivance coloniale, est viré de son poste pour avoir critiqué dans une tribune la réponse du président à une étudiante sur la question monétaire qui soumet le pilotage des économies africaines à l’Euro et à la France.
Cette orientation diplomatique du président Macron a de la cohérence. On ne peut pas lui reprocher. Elle est en parfaite adéquation avec la route de la nécessité qu’il nous propose depuis son élection : la nécessité de la dérégulation sociale, la nécessité de la limitation des libertés publiques, la nécessité de la soumission à l’ordre économique mondial, pour améliorer les affaires. Tout comme la traite négrière était la route de la nécessité pour le développement économique des ports français au XVIIIe siècle, la colonisation pour les ressources et les débouchés de l’industrie française, les Etats africains croupions post coloniaux pour l’accès de la France aux ressources minières et pétrolières.