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Billet de blog 11 mars 2018

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Les signes des temps: la régression des droits

Curieusement la formulation de la loi sur l’habeas corpus résonne comme un écho lointain et inversé de la loi sur l’asile, dite loi Collomb. Aujourd’hui en France la loi organise, sans réel jugement, la privation de liberté et le renvoi « outre-mer » de sujets de droit.

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La loi sur l’habeas corpus de 1679 en Angleterre était intitulée : « une loi pour mieux assurer la liberté du sujet et pour la prévention des emprisonnements outre-mer ». Cette loi est fondamentale dans l’histoire du droit des libertés individuelles. Dans un contexte de lutte politique féroce entre le Parlement anglais et le roi Charles II, elle avait pour but de limiter le pouvoir discrétionnaire des agents du roi qui pouvaient, sans jugement, envoyer quiconque en prison où outre-mer. La loi affirmait qu’une peine de privation de liberté ne pouvait être prononcée que par un juge. Elle est une des bornes sur la longue route de l’évolution de nos sociétés vers la protection de la personne humaine face à l’arbitraire de tout pouvoir, qu’il soit politique ou religieux. La pensée politique du XVIIIe siècle sur la séparation des pouvoirs, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la déclaration des droits, américaine, la même année, l’universelle de 1948, la convention de Genève sur le statut de réfugié de 1951 ou le pacte relatif aux droits économiques et sociaux de 1966, montrent cette progression d’une humanité qui fait de chaque personne un sujet de droit. On a le sentiment que l’apogée de cette marche a été atteint en 2002 avec la création de la Cour Pénale Internationale. Depuis, nous assistons à un recul organisé des droits. Ce que l’on appelle la crise migratoire en Europe est la parfaite illustration de cette réalité.

Curieusement la formulation de la loi sur l’habeas corpus résonne comme un écho lointain et inversé de la loi sur l’asile, dite loi Collomb. Aujourd’hui en France la loi organise, sans réel jugement, la privation de liberté et le renvoi « outre-mer » de sujets de droit. On parlera de réfugié politique, de demandeur d’asile, de migrant économique, de réfugié ou de déplacé. Quelle que soit la catégorie lexicale utilisée, derrière le mot se trouve toujours une personne détentrice de droits. L’opinion publique en Europe comprend encore qu’un opposant politique mérite d’être accueilli et protégé, qu’une personne réfugiée, ou déplacée, victime de situations de guerre, doit être secourue. Sur place ou à proximité, c’est mieux. C’est le migrant dit économique, celui qui vient des rives méridionales de la méditerranée, qui est indexé, surtout s’il est musulman ou noir, les deux à la fois, souvent. Ces migrants que l’on appelle économiques, sont des personnes qui n’ont pas accès dans leur pays aux droits fondamentaux reconnus par les institutions internationales : droit à l’éducation, droit à des conditions de travail décentes, droit à la santé, droit à un environnement sain. Dans ces pays les services publics de la santé ou de l’éducation sont délabrés pendant que les élites politiques et économiques privatisent ces secteurs, se soignent et envoient leurs enfants à l’étranger ; elles savent accéder à leurs droits. Une petite partie des « populations », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas « les élites », les plus motivés, les plus courageux, se mettent alors en route pour tenter la traversée de la mer méditerranée et accéder depuis chez nous à leurs droits fondamentaux. La crise climatique qui vient accentuera le phénomène. Les Bangladais qui arrivent chez nous ont perdu leurs droits d’accès à la terre. L’accès à l’eau entre dans l’équation djihadiste au Sahel.

 Il est certain que parmi les cent mille demandes d’asile déposées en France en 2017, une partie non négligeable ne correspond pas à l’un des cinq motifs ouvrant le droit d’asile selon le Code d’Entrée et du Séjour des Etrangers et du droit d’Asile (CESEDA) : persécutions liées à la race ou l’ethnie, à la religion, à l’opinion politique, à des catégories sociales ou à la nationalité. Mais comment répondons-nous à la demande d’accès aux droits fondamentaux économiques et sociaux ? Par une diminution des droits des demandeurs d’asile politique au nom de l’efficacité du traitement des situations. Dans les faits, dans le sillage de la loi de 2015 sur l’asile, mise en place pendant le quinquennat de François Hollande, la loi Collomb vient approfondir la régression des droits d’asile. Notamment le droit à un jugement et le droit à la défense. Dans une logique de rétrécissement des délais de saisine de la justice après un rejet administratif de demande d’asile, on rogne sur les droits à un procès équitable : juge unique dans la nouvelle procédure accélérée et délais ne permettant plus de monter un dossier solide auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile à Montreuil. Cette logique de rendement judiciaire abaisse la norme juridique en matière de liberté individuelle. Après la loi intégrant dans le droit commun l’état d’urgence, le reflux des libertés individuelles s’accélère en cette première année du mandat d’Emmanuel Macron.

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