Article publié dans la revue Golias n°502 9 au 15 novembre 2017
« Vous êtes…méchant ». A bout de nerf, n’ayant pas la répartie et la verve de Maître Dupond Moretti, le frère de la première victime de Mohamed Merah trouve ces trois mots simples, presque des mots d’enfant, pour interpeller l’avocat de la défense qui vient de déclarer qu’il ne fallait pas accabler la mère des frères Merah qui, elle aussi, avait perdu un fils. Les chroniqueurs présents au procès disent que le jeune homme a fait mouche, le ténor du barreau a été ébranlé. Cette interpellation, biblique, dira un interviewer de l’avocat, met en abîme le procès qui a atteint sa limite. Lucide, Dupond Moretti le sait. L’échange entre les deux hommes expose sans fard la béance qui existe entre l’agitation humaine dans le prétoire et notre incompréhension face à l’horreur des crimes de Toulouse en 2012. Est-il mauvais de défendre le frère de l’incarnation du mal ? On sent comme une gradation de signification entre le méchant, le mauvais et le mal. Lire ainsi ce procès, ce n’est pas faire de la subtilité linguistique ou sémantique, mais bien revenir au cœur de ce qu’est un grand procès criminel, ce moment où l’humanité se parle à elle-même, dans ce qu’il montre de l’absurdité du monde : Sidney Lumet et ses douze hommes en colère, Nuremberg, le procès Papon, celui de Klaus Barbie L’absurde à ce moment-là n’est pas dans le procès lui-même, au contraire, mais bien dans notre condition humaine. Citer Camus dans ces situations est toujours d’un bon rendement rhétorique, une mère algérienne en plus, jackpot.
Le bien et le mal existent-ils ? Oui, répondent les théologiens, des hommes de foi, des moralistes. Non répondent d’autres depuis Spinoza qui ajoute : ce sont nos actes qui sont bons ou mauvais. Une nouvelle fois, c’est aussi ce débat qui s’est joué aux Assises de Paris en octobre dernier. Pour les premiers, le mal doit être combattu sans concession avec toutes les armes disponibles, on ne peut le défendre. Pour les seconds un acte est bon s’il valorise notre humanité, mauvais s’il la dégrade ; croire à la lutte du bien contre le mal est une illusion finaliste qui nous aveugle. L’avocat général et les avocats des parties civiles étaient dans le premier camp, Dupond Moretti dans le second. Ceux-là faisaient le procès de la violence sauvage, de la barbarie, de l’anti sémitisme, du terrorisme, du mal incarné dans une famille toulousaine, en s’appuyant sur une rhétorique d’opinion et l’anonymat des policiers, pendant que celui-ci menait le procès des actes réels et concrets d’un homme dont il fallait déterminer la malignité sur la base de preuves pour aboutir à une qualification juridique et une peine. Les juges, professionnels du droit, l’ont suivi. La peine a été maximale pour l’infraction jugée.
Il ne s’agit pas de savoir qui a gagné. Dupond Moretti ? le droit, comme une figure du bien, contre l’opinion, comme une figure du mal ? Les apprentis terroristes qui verraient dans cette sanction pénale un signe de faiblesse de la justice française ? La seule question qui vaille est celle-ci : Dupond Moretti a-t-il bien agi en défendant Abd El Kader Merah et en le faisant juger sur la base du droit ? Oui, sans hésiter au moment où notre droit, sous la pression du terrorisme, insensiblement, évolue vers un droit qui cède la place aux policiers, à l’administration, aux accusateurs et diminue le rôle du juge. Un scénario anticipé par Kafka dans le Procès. Pendant que se déroulait le procès du frère de Mohamed Merah, le président Macron mettait en scène dans un bureau de l’Elysée en communiquant façon Trump, la signature de la loi qui intègre l’état d’urgence dans le droit commun. Quelques semaines auparavant il avait signé de la même manière les ordonnances sur le droit du travail. Acte I régression des droits économiques et sociaux, acte II régression des libertés publiques. Ces actes sont à coup sûr mauvais. On attend les premiers procès des erreurs administratives et judiciaires, conséquences de cette législation d’exception.