Le 25 septembre, le lendemain de la mort au combat du caporal-chef Maxime Blasco à Gossi dans la région de Tombouctou, portant à 56 le nombres de militaires français morts au Sahel depuis 2013 (dont 49 pour le seul Mali), le premier ministre Malien Kokalla Maïga confirmait et justifiait à la tribune de l’assemblée générale des Nations Unies le choix fait par son pays de se tourner vers d’autres partenaires militaires que la Minusma (Nations Unies), l’EUTM (mission de formation militaire de l’UE) la MISMA (CDEAO) et la France : « La nouvelle situation née de la fin de l’opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires ». Juste après, Sergueï Labrov, le ministre des affaires étrangères russe confirmait qu’il s’agissait bien de la Russie et du groupe militaire privé Wagner qui assure déjà la protection la plupart des postes diplomatiques russes sur le continent, dont Bamako. L’information était déjà connue depuis plusieurs semaines dans les chancelleries mais elle n’était pas officielle, laissant encore une marge de manœuvre aux pressions diplomatiques. Le 30 septembre Emmanuel Macron renvoyait dans ses cordes Kokalla Maïga en déclarant : « ces propos sont inacceptables (…) la légitimité actuelle du gouvernement malien est démocratiquement nulle (…) c’est une honte ce qu’a dit le premier ministre malien et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement à la tête du Mali ». Un point de non-retour est atteint avec ce qui devrait un allié sur le théâtre des opérations. Alors que 3500 soldats français resteront au Mali, cet « abandon en plein vol » montre aussi l’explosion en plein vol de l’honnêteté intellectuelle du premier ministre malien.
De retour au pays après son discours à New York, il a été accueilli à l’aéroport par les cris de joie de quelques centaines de Maliens dont beaucoup avaient été mobilisés pour la communication à l’endroit des médias. Ils le félicitaient pour son courage d’avoir défendu la souveraineté et l’indépendance du peuple malien retrouvées et contre ce qu’ils considèrent être une forme d’occupation française sur leur territoire. Ils oubliaient pour la circonstance que les 49 Français tués dans leur pays l’ont été dans le cadre d’une mission militaire menée à la demande de leurs gouvernements successifs, aux côtés de leurs militaires et contre un ennemi qui pratique la terreur et avait assassiné 50 de leurs concitoyens six semaines plus tôt dans les villages de Karou, Ouatagouna et Daoutegeft vers la frontière du Niger.
Cet épisode consternant pour notre diplomatie et notre présence militaire au Sahel, n’est pas anecdotique. Il montre plusieurs tournants concomitants de la guerre au Sahel, une nouvelle donne des cartes militaires et politiques que nos dirigeants n’ont pas anticipée faute de stratégie claire et débattue devant la représentation nationale pour sortir d’une guerre qui se chronicise pour ne pas dire qui s’enlise depuis bientôt neuf années. En janvier 2013 l’opération Serval avait cassé net une double offensive djihadiste qui menaçait la capitale. Depuis on compte plus de 3000 morts civils maliens et 1500 militaires maliens tués même si ces derniers ont contribué aux premiers, tout comme l’aviation française en a été accusée par l’ONU en mars dernier après une erreur de jugement sur la nature d’un regroupement d’hommes à l’occasion d’un mariage à Douentza. La communication sur des succès tactiques ne cache pas un échec stratégique patent sur fond de manipulations anti-françaises faciles à entretenir tant les buts de guerre de notre pays ne sont plus compris par beaucoup de Maliens. La junte militaire malienne veut changer de braquet et forcer la main à la France en faisant appel aux militaires Russes. Wagner annonce se concentrer dans un rôle logistique ou de formation, mais on connaît l’engrenage et les méthodes russes en Syrie, en Libye et en Centrafrique : la violence aveugle, les bombardements et le quadrillage de zones de combat, sans discernement pour les personnes qui y vivent. Une nouvelle escalade à venir. Un scénario syrien programmé ?
En juin dernier la même junte malienne, poussée par plusieurs secteurs de la société civile qui avaient contribué à sa prise de pouvoir et proches de l’idéologie salafiste, ne fermait pas la porte à des discussions avec certains groupes djihadistes. Ce fut un prétexte pour la France de suspendre sa coopération militaire qui sera finalement reprise trois mois plus tard. Sans objectif politique défini au Sahel, la France avait encore la main militaire. Elle est en train de la perdre au Mali, le ventre mou du dispositif Barkhane et du G5 Sahel. Que va faire notre chef des armées, le président de la République, qui est entraîné dans des évènements que la France ne contrôle plus dans ce que l’on appelait son pré carré ? L’assassinat d’Idriss Déby en avril, suivi du retrait partiel des soldats Tchadiens, puis le coup d’Etat en Guinée et le revirement malien montrent que des digues cèdent. Avec le Liban, la Libye et le Sahel le président Macron devra répondre de sa diplomatie illisible semblant courir après les évènements quand il ne les subits pas. Il en ira de même de sa stratégie militaro-industrielle qui vient d’exploser en plein vol en Australie.