“Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi (…) la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne[1].”
Le lendemain de la journée internationale des migrations, sensée mieux faire comprendre les phénomènes migratoires, et à peine deux années après avoir été élu une deuxième fois pour faire barrage au Rassemblement National, le président Macron a fait adopter avec l’aide des idées et des votes parlementaires de l’extrême droite une loi qui aborde l’immigration sous des aspects sécuritaires, identitaires et utilitaristes. Cette loi attaque de front nos principes d’égalité et de fraternité. Ce que beaucoup n’avaient pas compris en avril 2022, c’est que le barrage ne concernait que les personnalités du parti de Marine Lepen, pas son idéologie.
Être méchant avec tous les étrangers ?
Cette loi[2] est dans le sillage des vingt-neuf qui la précèdent depuis 1984 organisant la diminution permanente des droits des étrangers sur notre sol pour leur faire passer l’envie de venir et de s’y installer, quelles que soient leurs situations et leurs raisons. Les lois précédentes s’attaquaient d’abord aux dispositifs du droit d’asile pour le restreindre. Avec celle-ci, à travers une centaine d’articles qui se lisent comme un concours Lépine pour rendre la vie difficile à tous les étrangers, même ceux en situation régulière et qui travaillent, tous les compartiments de la vie sont touchés : quotas migratoires, déchéance de nationalité élargie, droit du sol écorné, regroupement familial une fois de plus corseté, nouveaux cas de criminalisation de défense des droits des personnes migrantes, ouvrant la voie à la criminalisation du sauvetage en mer, extension des possibilités d’expulsion, aide médicale limitée aux urgences, modalités d’accès aux prestations sociales non contributives conditionnées à la nationalité (la préférence nationale), hébergement d’urgence réduit, accueil des étudiants conditionné au versement d’une caution, obtention d’une carte de séjour au titre du travail liée au pouvoir discrétionnaire des préfets, désarticulation territoriale des procédures de la demande d’asile. Pour être complet, la loi crée un dispositif de carte de séjour spécifique au profit des médecins formés en dehors de l’union européenne et interdit de placer en rétention administrative les mineurs étrangers, répondant ainsi à une condamnation de la France par la Cour européenne de justice. « Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils » avait dit en novembre 2022 Gérald Darmanin à propos de la loi qu’il préparait. Finalement cette loi pour « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » est méchante avec (presque) tous les étrangers qui vivent et arrivent sur notre sol. On serait admiratif devant une telle créativité législative régressive, si ces mesures n’avaient pour conséquence l’aggravation de la situation de milliers de personnes déjà en difficulté et cela sans atteindre l’objectif de la loi : la limitation de l’immigration en France. Aucune évaluation de l’effet des lois précédentes sur le nombre d’étranger vivant sur notre sol, a été menée.
La peur de l’étranger : une obsession de l’extrême droite
La lecture des mesures montre d’abord une obsession idéologique contre les étrangers. Cette obsession est celle de l’extrême droite depuis toujours, les Juifs avant la guerre, les Africains et les Arabo-musulmans aujourd’hui. Grâce au vote de 349 députés, cette obsession qui habitait les chroniqueurs et les politiques étalant depuis plusieurs années leurs passions tristes sur les plateaux télé d’extrême droite, est passée le 19 décembre dans une loi de la République au seul prétexte que ce serait une demande majoritaire des Français. C’est le dernier mantra du gouvernement. « C’est ce que veulent les Français », répètent en boucle les députés qui ont voté la loi. Sur la base de quelques sondages biaisés publiés par des médias mainstream favorable à la loi, les politiques, Gérard Darmanin en tête, ont décidé de mettre prioritairement l’immigration à l’agenda parlementaire. Un fait divers bouleversant (l’assassinat de Dominique Bernard le14 octobre à Arras par Mohamed Mogouchkov) et une atmosphère générale anxiogène sur le monde arabo-musulman (les massacres du 7 octobre en Israël et les crises au Sahel), ont favorisé l’hystérie parlementaire à droite. On aurait aimé que le gouvernement fut plus sensible sur les sondages d’opinion au moment de la réforme des retraites, pendant que les études d’opinion de long terme montrent que l’immigration n’est pas prioritaire dans l’esprit des Français. Simplement cette loi obéit à un agenda politique d’anticipation des présidentielles de 2027. D’ici là la crise sociale en France, les crises internationales et le changement climatique feront probablement voler en éclat cette manœuvre de basse politique payée au prix fort de notre cohésion nationale.
Une loi qui ne dit plus le droit
Au-delà des contenus techniques souvent problématiques dans leur mise en œuvre concrète, l’adoption de cette loi a introduit une nouveauté dans la pratique de nos institutions : le gouvernement assume en toute connaissance de cause une loi qui ne respecte pas le droit, laissant au Conseil Constitutionnel le soin de faire le tri dans la loi entre ce qui respecte la Constitution et ce qui ne la respecte pas. Entendre le chef de l’Etat et la première ministre expliquer que certaines dispositions du texte sont anticonstitutionnelles mais que ce n’est pas au politique de le dire, c’est qu’ils acceptent sans problème des violations de droits fondamentaux simplement parce que c’est la souveraineté populaire, telle qu’ils l’entendent, qui le demande. Il s’agit d’une régression démocratique majeure alors que l’on sait depuis la Révolution qu’il n’y a pas de souveraineté sans limites, ce que le droit et la jurisprudence encadrent. Quand on entend les appels de l’extrême droite et de certains leaders de droite à s’exonérer de la convention européenne des droits de l’homme pour pouvoir expulser des étrangers vers des pays qui pratiquent la torture et les arrestations arbitraires, on se demande si ce n’est pas la prochaine étape que le gouvernement est prêt à franchir. Le droit ce n’est pas un empilement de règlementations techniques que l’on pourrait ajuster pour traiter de flux ou de stock migratoires comme on l’a fait sans résultats depuis 30 ans et comme si cela n’impliquait pas des vies de personnes humaines. L’État de droit garantit le fonctionnement démocratique de notre République, il est à la fois politique et juridique. Le Président Macron semble avoir oublié que sa fonction est la clé de voute de cette garantie.
Les vérités alternatives de la loi
La recherche en sciences sociales infirme les présupposés de la loi[3] et pourtant le gouvernement n’en a cure. La France n’est pas « submergée » par une immigration « hors contrôle ». La réalité est que l’on observe une progression des demandes d’asile et de séjour en correspondance avec une réalité internationale mais à un rythme plus modéré que ce que l’on observe dans d’autres pays européens. Sur nos engagements européens nous sommes loin d’avoir fait notre part dans l’accueil des demandeurs d’asiles venus d’Ukraine, du Proche et du Moyen Orient (Syrie, Afghanistan) et la « générosité » de la protection sociale n’est pas le critère de choix ou de répartition des migrants, la nôtre est dans la moyenne des pays européens. Notre problème obsessionnel ce sont les migrations issues de nos anciennes colonies frappées par un chômage de masse malgré soixante années d’aide au développement, avec les problématiques attachées à cette histoire partagée. « L’appel d’air » est une « vérité alternative » comme dirait Trump, jamais démontrée. La surenchère de la fermeté n’a jamais réduit les entrées qui répondent à des réalités démographiques, sinon empêcher les allers retours et créer ainsi une fabrique de personnes sans papiers. L’immigration par regroupement familial augmente le PIB et, en proportion les immigrés contribuent plus aux équilibres des comptes sociaux que la moyenne des Français dont ils ne prennent pas le travail. Ils accomplissent des tâches indispensables au fonctionnement de l’économie et de la vie sociale, comme on l’a vu pendant la pandémie. Enfin, les Français sont moins hostiles aujourd’hui à l’immigration qu’il y a quarante ans.
Une fêlure dans notre pacte social
Des présidents de conseils généraux ont annoncé qu’ils ne mettraient pas en œuvre les dispositions de la loi dont ils ont la charge, notamment le délai de cinq ans pour que les étrangers non européens obtiennent l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) versée aux personnes âgées en perte d’autonomie. Cette mesure est la quintessence de l’esprit de la loi : nuire. Comment s’imaginer qu’elle incitera des personnes âgées étrangères en perte d’autonomie à quitter le pays et qu’elle aura un impact sur les migrants clandestins dont l’âge moyen est de 29 ans ? La plupart des présidents d’université et des grandes écoles ont dénoncé l’indignité de l’instauration d’une caution de retour pour les étudiants étrangers extra-européens. La première ministre fait déjà machine arrière. La CGT qui nomme la loi « le texte de la honte » appèle à la désobéissance civile. Cette loi n’empêchera pas les infiltrations des pensées identitaires qui dégradent peu à peu notre mortier social depuis les années 1980. Au contraire elle accélèrera le délitement de notre vouloir vivre ensemble, l’un des fondement de notre nation. Elle avance un marchepied au Rassemblement National qui crie à la victoire idéologique avant la victoire politique en 2027.
Au-delà des 2500 noyés en Méditerranée recensés en 2023, pour qui cette loi sonne-t-elle le glas en définitive ? La vérité en politique, la cohésion sociale et la démocratie parlementaire. Liberté, inégalité, identité, la nouvelle devise républicaine qu’Emmanuel Macron inscrit au fronton de nos bâtiments publics.
[1] Méditation du poète anglais métaphysique anglais du XVIIe siècle John Done
[2] https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023
[3] Voir le site de l’Institut Migration Convergences présidée par François Héran professeur au Collège de France. https://www.icmigrations.cnrs.fr/2023/12/20/loi-immigration-tribune-ic-migrations/
Voir aussi le site de Désinfox Migrations https://www.desinfoxmigrations.fr/