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Billet de blog 13 avril 2025

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Laurent Wauquiez, le variant français viral du trumpisme

Wauquiez propose aujourd’hui une version atlantique nord du bagne calédonien en demandant que les personnes sous OQTF supposées dangereuses soient reléguées au large de Terre Neuve dans la collectivité d'outre-mer de la République française de Saint Pierre et Miquelon

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On connaissait l’engagement en politique par conviction ou par ambition, un mix des deux le plus souvent. Laurent Wauquiez s’approprie une catégorie d’engagement en politique jusque-là réservée à l’ultra droite et à Donald Trump : la transgression. Pour régler la question des OQTF[1], il réinvente la vieille réglementation pénitentiaire abrogée en 1938 : la relégation ultra marine.

En 1871 deux-mille Algériens furent exilés en Nouvelle Calédonie dans le pacifique sud après les grandes révoltes de Kabylie. Le statut particulier de relégation interdisait le retour en France. Wauquiez propose aujourd’hui une version atlantique nord, en demandant que les OQTF supposés dangereux soient relégués au large de Terre Neuve dans la collectivité d'outre-mer de la République française de Saint Pierre et Miquelon où vivent six-mille Français.

Comme les relégués de Nouvelle-Calédonie, le retour en France serait impossible puisque Saint Pierre et Miquelon est hors des accords de Schengen. Déjà dans les années trente l’inhumanité et l’inefficacité des bagnes d’outre-mer comme celui de Cayenne d’où les derniers forçats rentrèrent en 1953, avaient été démontrées.

OQTF et CRA

En 2024, cent-quarante-mille OQTF ont été prononcés en France par des décisions administratives préfectorales, trois fois plus qu’en Allemagne et cinq fois plus qu’en Italie. Sans surprise et de manière démagogique, Laurent Wauquiez amalgame les OQTF administratifs avec les infractions pénales jugées, commises par des étrangers et qui représentent 7% des personnes visées par un OQTF. Entre 2014 et 2024 le nombre d’OQTF a été multiplié par deux et le nombre de retours après OQTF est resté stable à environ vingt-mille par an depuis dix ans[2]. Les statistiques sur les retours réels et le « stock » total de personnes sous OQTF encore présentes en France sont difficiles à obtenir.

Dans sa réponse du 2 mai 2023 à la question écrite du député LR Eric Pauget, le ministère de l’intérieur indique qu’il ne suit que les statistiques des personnes accompagnées ou forcées et qu'une personne peut être visée par plusieurs mesures successives, dans ces conditions il est impossible de donner un chiffre total fiable. Ce député, ceux du RN ou CNews, afin d’affoler le landerneau identitaire, calculent au doigt mouillé le chiffre de sept-cent cinquante mille OQTF en liberté en France, soit plus de 1 % de la population française. C’est beaucoup moins mais on ne connait pas le chiffre.

Il y a un peu moins de deux-mille places dans les vingt-cinq centres de rétention administrative (CRA) où sont placées par les préfets les personnes en attente de leur éloignement. En 2023 quarante-sept mille personnes, dont trois mille quatre-cent mineurs (90% à Mayotte) sont passées par un CRA rattaché au ministère de l’intérieur et géré par la police. Le rapport 2023 de la CIMADE[3] dénonce la surpopulation, l’allongement régulier de la durée moyenne de rétention (28,5 jours contre 12,4 en 2017), les décisions de privation de liberté sans fondement judiciaire, les placements arbitraires sans perspective de placement. 55 % des étrangers en CRA sont des Maghrébins contre 10,5 % des Subsahariens.

L’histoire administrative et judiciaire de la rétention en France des étrangers commence avec les décrets lois de 1938 qui permirent au début de la seconde guerre mondiale l’arrestation et le regroupement dans des camps des Allemands et des Autrichiens dont beaucoup avaient fui les persécutions nazies. Ces centres de rétention ont permis au régime de Vichy de donner ses premiers gages de collaboration à l’occupant en livrant les « indésirables étrangers », opposants politiques et Juifs.

Depuis, l’enfermement des étrangers a donné lieu à de nombreux contentieux entre l’administration et le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel, au nom du vieux principe qui date de l’habeas Corpus anglais codifié en 1679 : « nul ne peut être arbitrairement détenu », l’un des fondements de droits de l’homme. Depuis les lois Pasqua, au rythme d’une loi par an visant à restreindre le droit d’asile et l’accueil des étrangers, ce principe se réduit à une peau de chagrin pour ces derniers. Avec Marine Le Pen et ses épigones de droite, la détention administrative des indésirables Français suivra cette pente descendante des libertés publiques.

L’indécence en politique

Après son interview du 8 avril dans le JDNews, Laurent Wauquiez a maintenu et développé sa proposition. Les élus de la petite collectivité de Saint Pierre et Miquelon, héritage de notre premier empire colonial sous l’Ancien régime, sont ulcérés. Même le très sécuritaire Manuel Vals en charge du dossier calédonien qui chasse sur les terres identitaires du Rassemblement National, y voit à juste titre la résurgence d’une pensée coloniale. Il s’y connait. Marine Le Pen en ligne avec sa jurisprudence constante estime que la place des personnes visées par un OQTF est dans leur pays d’origine et pas sur un territoire français. Bruno Retailleau trouve l’idée de son concurrent à la présidence du parti LR juste « déroutante », regrettant probablement de ne pas avoir lui-même avancé cette idée dans la course à l’échalote de la créativité réactionnaire et raciste qui imprègne nos débats publics.

De son côté, Laurent Wauquiez pense marquer un point après le revers du ministre de l’intérieur dans le bras de fer diplomatique avec l’Algérie toujours à propos des OQTF. Cette ignoble cuisine politique sur le dos de personnes qui cherchent une vie qu’ils pensent être meilleure chez nous, dans les désordres du monde montre une seule chose : à deux ans de la présidentielle, toutes les barrières éthiques tombent quand il s’agit des étrangers, surtout maghrébins.

Dès ses débuts en Politique dans les années 2000, Laurent Wauquiez a avancé en crabe, depuis une droite sociale bonapartiste gaullienne, puis libérale atlantiste, ensuite conservatrice réactionnaire ; il a parcouru en se droitisant les trois familles politiques de la droite française selon les célèbres catégories du politologue René Rémond[4]. Laurent Wauquiez a toujours été incapable de rassembler son camp et il continue sa longue marche vers l’extrême droite en surjouant un Trump cocardier, comme un petit coq sur son tas de fumier.

Son Groenland à lui, c’est Saint Pierre et Miquelon, son hubris anti environnement, c’est la ligne aérienne déficitaire entre Paris et le Puy en Velay que la Région Rhône Alpes subventionne ou ses attaques contre l’Office Français de la Biodiversité, et son Mar-a-Lago, ce sont ses frais de bouche payés par la même Région pour un montant de cent-vingt-trois-mille euros en 2022 et 2023. En 2020 Trump conseillait des injections de chlore pour soigner le coronavirus, cinq ans plus tard le traitement contre le virulent variant Wauquiez du trumpisme et l’indécence de cet homme politique serait un bon lavement électoral. 

[1] OQTF : Ordre de Quitter le Territoire Français

[2] Chiffres OFFI. Office Français de l’Immigration et de l’Intégration.

[3] Voir le rapport 2023 de la CIMADE sur les CRA https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2024/05/Rapport-retention-annee-2023.pdf

[4] René Rémond. Les droites en France. Aubier ,dernière édition 1982

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