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Billet de blog 13 septembre 2025

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Européens si vous saviez !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Munich, Rethondes et Montoire, le livret en trois actes de la France humiliée expliquait il y a quatre-vingt années Georges Bernanos dans un article d’août 1945 pour le journal issu de la Résistance Combat[1]. Ce mois-là, le procès du Maréchal Pétain suscitait chez lui non pas de l’indignation devant la collaboration ou du dégoût face à toutes les erreurs militaires et les trahisons politiques de la débâcle, mais la honte. Pas celle du spectacle des élites qui venaient à la barre soit pour accabler ou défendre un vieillard traitre et jouisseur, sans jamais admettre qu’elles avaient à quelques exceptions près vendu l’honneur de leur pays, mais la honte du mépris ricaneur des Français devant ce procès qu’ils voulaient voir finir vite parce qu’il était le défilé gênant des témoins de leur propres démissions collectives et de leur lâche soulagement munichois. 

Le 27 juillet dernier et trois semaines plus tard le 19 août, en pleine torpeur estivale, les Européens ont vu leurs dirigeants à Washington rejouer en un acte une adaptation contemporaine de la tragédie française du printemps 1940. Dans un premier temps la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen signait à la Maison Blanche l’accord sur les tarifs douaniers imposés par Trump, suivi du spectacle des principaux dirigeants européens venus ensemble se faire humilier en  quémandant une garantie américaine pour protéger l’Ukraine contre la Russie. Pas une parole publique sur le génocide à Gaza n'a été prononcée. A la sortie, aucun des engagements du président américain ne se révèlera fiable. En deux scènes, ils ont repris dans cette unité de temps et de lieu, l’abandon de Munich, la capitulation de Rethondes et la poignée de main de Montoire.  

Georges Bernanos avait la passion de la vérité. Sa vérité était catholique et monarchiste, mais derrière sa vérité, il défendait la vérité de quelques principes fondamentaux, ceux du sens de l’honneur et de la justice auxquels il avait juré fidélité au temps de sa jeunesse. Il disait « Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste fidèle à l’enfant que je fus[2], il engageait chacun d’entre nous à cette loyauté. Son univers romanesque et ses écrits politiques doivent être lus à travers ce prisme. Il venait au secours de la vérité non pas en combattant ce qu’il pensait être les erreurs des autres ou simplement l’ignorance de beaucoup, son combat n’était pas contre le socialisme ou le marxisme, mais il bataillait avec ses mots contre les simulacres de la vérité venus de son camp : le haut clergé, les capitaines d’industrie et les nationalistes de la droite maurassienne qui la plupart s’étaient vautrées dans le franquisme puis le pétainisme. Tous eurent la défaite et le déshonneur.

Pour les Européens éreintés par la seconde guerre mondiale et la responsabilité de la Shoah, leur vérité de l’Europe dès sa fondation était la possibilité d’un espace de libertés individuelles, de solidarité et de sécurité collective. Cette utopie s’appuyait pourtant sur une pensée coloniale, elle était construite sur le remboursement d’une immense dette morale payée par les Palestiniens et elle était protégée par le parapluie américain. L’Europe ne sera pas une nation avant longtemps, mais des deux ou trois grandes configurations politiques dans le monde qui sont aujourd’hui ses rivales, y compris les Etats-Unis, elle est encore la plus solide, la plus historiquement ancrée dans un processus d’émancipation humaine. Dans ce dernier énoncé, il ne faut pas lire un nouvel avatar d’une supériorité civilisationnelle européenne, mais la vérité d’une promesse humaniste que le vieux continent « qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes[3] », n’a cessé de faire vivre depuis sa jeunesse antique, l’humanisme de la renaissance, les philosophies des Lumières, le Conseil National de la Résistance pour la France, et les grandes conventions internationales issues de la seconde guerre mondiale.

Au nom d’un réalisme économique et stratégique voire « civilisationnel », les dirigeants européens trahissent à nouveau cette vérité de la promesse européenne. Cette trahison était déjà en germe dans l’orientation strictement procédurale et économique de la construction européenne, elle éclate aujourd’hui devant nos yeux. Leur doxa libérale n’est qu’un simulacre de la liberté. Les immenses constructions économiques, politiques et digitales « dont la menace  pèse sur nous, ne sont pas, ne sont plus ou ne seront plus des nations»[4]. Hier Bernanos, à la sortie de la guerre, visait les Etats Unis et la Russie soviétique auxquels s’ajoute aujourd’hui la Chine et les géants multinationaux du numérique. Comme hier nous les redoutons, leur puissance nous accable, mais leur puissance se développe comme un champignon sur un terreau civilisationnel autoritaire, extractiviste, technologique, militariste et mercantiliste qui met en péril notre humanité et dont nous renforçons le substrat par nos soumissions successives. Européens, des millions de femmes et d’hommes « à travers le monde ne croient déjà plus à cette civilisation (…) Qu’elle soit seulement ébranlée, vous verriez les monstres disparaître rapidement d’eux-mêmes comme ceux d’une époque géologique à son déclin, libérant ainsi la terre ». Européens « si vous saviez ce que le monde attend de vous ![5] »

[1] Georges Bernanos « Français si vous saviez »  Ecrits 1945-1948. Gallimard 1961, p 33

[2] Georges Bernanos « Les grands cimetières sous la lune ». Grasset. 1931

[3] Discours de Dominique de Villepin le 14 février 2003 devant le Conseil de sécurité des Nations unies

[4] Op.cit., p 31

[5] Op.cit., p 31

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