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Billet de blog 13 décembre 2017

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Manu fait sa coopération

Deux jours plus tard, il est derrière son pupitre à Ouaga. Trop fier, le gars. Tout se passe comme sur des roulettes, même si la sono n’est pas terrible. A un moment donné, Christian Roch qui a atteint un âge où il doit s’absenter souvent pour une escale technique, sort discrètement...

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Manu est content. Brillant étudiant en master de coopération internationale à Paris, il a décroché un stage au Burkina. Il va partir à Ouaga faire de l’animation pour la jeunesse. Il est bien allé deux fois au Sahel quatre mois auparavant faire un stage militaire, mais là c’est différent, on va l’écouter. En master il a appris à rédiger des rapports, construire des budgets, animer des réunions participatives. Ses professeurs lui ont expliqué que la traite négrière, la colonisation, la faillite des Etats post coloniaux, tout ça, c’est peut-être vrai, d’ailleurs il n’y a pas eu que des choses mauvaises, mais il faut passer à autre chose, surtout regarder l’avenir : l’esprit d’entreprise, les nouvelles technologies, la responsabilité individuelle, C’est ça qui marche chez nous, là-bas aussi, il n’y a pas de raison. Il l’a vu à la télé dans le magazine Plus d’Afrique de Canal + de Bolloré, un ami de son papa. Il faut le dire à la jeunesse Africaine, les vieilles lunes panafricaines et tiers-mondistes, c’est fini. Manu sait que le tiers des richesses minières mondiales sont sur ce continent qui a la population la plus jeune de la planète. « D’ailleurs, il faudrait que sur ce dernier sujet, les Africains se calment un peu. Ils ne vont pas s’en sortir s’ils continuent comme ça, ça je vais le leur dire aussi », pense-t-il en préparant son petit mot d’arrivée. Bref, il est fin prêt. « Je pourrai me faire des dreadlocks ? » demande-t-il à ses onze potes blacks du Conseil pour l’Afrique qu’il a créé pour l’aider à décrocher son stage. Ils sont dans le petit business africain et le djembé à Montrouge. « Non, tu seras dans la coopération institutionnelle, pas en ONG ». « Une chemisette africaine alors ? Ma copine m’a ramené du super tissus wax ». « Non, Manu…t’arrêtes ». Dans sa grande chambre d’étudiant du 55 rue de Faubourg Saint Honoré, il a retiré le poster du Che pour le remplacer par celui de Thomas Sankara. Il avait hésité avec Mère Theresa, mais sa copine lui a dit qu’elle n’aimait pas les vieilles et que c’était un peu old fashion. Il réfléchit. Il prépare son discours. Ses potes de Montrouge sont là, ils le briefent. « Bon, Manu, tu la joues cool, genre je suis un jeune comme vous, tu commences par citer Sankara et tu dis que la France Afrique c’est ter-mi-né, tu feras un tabac, ils seront contents ». Manu prend des notes. « Je pourrai citer Paul Ricœur ? ». « Il est dans quel business ton Ricœur ? Connais pas ». « Je l’ai lu en DEA de philo, c’est un philosophe ». « Bon Manu, tu te calmes côté intello, tu vas causer à des blacks de Ouaga, pas à Normale Sup, ok, ok, parle de Mandela si ça te chante ». Manu est vexé, il a loupé Normale Sup. « J’connais une super citation africaine, un vieillard qui brûle c’est une bibliothèque qui meurt ». « C’est le contraire, mon Manu, non les proverbes africains c’est ringard, tu leur parles business, le reste ils s’en foutent. Et puis en Tunisie, celui qui a cramé c’était un jeune, pas un vieux, c’est tout le monde arabe qui a cramé ensuite, faut être touchy avec les jeunes, manu, business manu, business, capito ? ». Manu se dit qu’ils ont peut-être raison. « Tu cites nos potes avec qui ont fait du business là-bas, Alassane en Côte d’Ivoire, Alpha en Guinée. Tu verras Roch Christian qui t’accueille, il est nouveau dans la filière djembé, il est super cool mais il est un peu vieux. Parle d’Idriss du Tchad, si tu ne le fais pas, y va encore se vexer, il est vite bougon. Un pote dans la démarque des produits Décathlon t’a préparé un passage au Ghana, tu parles anglais ? ». « Oui, super bien ! » « Cool, ça va le faire ». Manu et ses potes se quittent après s’être embrassé, cogné les poings et porté la main au cœur. Deux jours plus tard, il est derrière son pupitre à Ouaga. Trop fier, le gars. Tout se passe comme sur des roulettes, même si la sono n’est pas terrible. A un moment donné, Christian Roch qui a atteint un âge où il doit s’absenter souvent pour une escale technique, sort discrètement. « Hop hop, Mamadou, tu restes là, ou alors, tu répares la clim » lui dit Manu en se marrant. Ses Potes de Montrouge au premier rang sont gênés « il est trop décontract le Manu, il a fumé un tarpé ? »

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