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Billet de blog 15 avril 2023

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Emmanuel Macron en Charles X

Notre président aime se mettre en scène dans le décors de l’histoire de France.

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Les Anglais introniseront leur troisième Charles le 6 mai prochain. La monarchie française en a vu dix se succéder sur le trône de France, depuis Charlemagne jusqu’au deuxième frère de Louis XVI, Charles X, le dernier Bourbon qui régna de 1824 à 1830. Les Français aiment l’histoire ; ils en ont la passion, dit-on. Un sondage de la revue Histoire réalisé en 2022 montrait que 93% des Français sont intéressés ou passionnés par l’Histoire. Ils étaient 67 % en 1983. Les Français aiment l’Histoire de leur pays parce qu’elle est leur mémoire partagée, l’un des fondements de leur « désir de vivre ensemble » selon l’expression d’Ernest Renan prononcée lors de sa conférence de la Sorbonne du 11 mars 1882 avec sa célèbre formule, « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».Emmanuel Macron aime aussi l’Histoire. Faisons-lui le crédit que c’est pour la même raison que l’ensemble des Français. Mais chez lui, beaucoup plus que chez ses prédécesseurs de la Ve République, cette passion française imprègne son discours politique. Il est certain que son rôle entre 1999 et 2000 d’assistant éditorial auprès de Paul Ricoeur qui rédigeait son dernier maître livre sur la nature de l’Histoire comme discipline et sur le travail de l’historien , lui a apporté des éléments de langage très documentés pour sa rhétorique politique, à défaut d’une vision charpentée de l’histoire de France. Son travail de rédacteur des notes bibliographiques de bas de page du livre de Paul Ricoeur avait été mis en avant pendant sa campagne de 2017 pour communiquer habilement sur son statut de « disciple » du philosophe et donner ainsi une profondeur intellectuelle à un jeune financier ambitieux, devenu ministre de l’économie, qui en manquait. A l’époque ses thuriféraires n’étaient pas loin de le présenter comme le successeur intellectuel de Paul Ricoeur. Lors de ses interventions, De Gaulle n’avait pas besoin de recourir à l’Histoire, il l’incarnait. Le pragmatique banquier normalien Pompidou citait sobrement dans le texte Du Bellay, Shakespeare ou Éluard. Il disait de manière presque prémonitoire : « Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, je souhaiterais que les historiens n’aient pas trop de choses à dire sur mon mandat. ». Pompidou n’avait pas besoin de surjouer l’intellectuel comme le fit son successeur Giscard d’Estaing qui se prit un moment pour le roi de l’époque des Lumières, le libertin Louis XV. Avec ses délires aristocratiques et le protocole quasi monarchique qu’il imposa à l’Élysée, il se prit politiquement les pieds dans un tapis de la manufacture royale de la Savonnerie. L’érudit florentin Mitterrand que l’on compara à Louis XIV lors du sommet du G7 à Versailles en 1982, avait un sens aigu de l’Histoire de France. Il passa pourtant à côté de la réunification allemande et de l’intégration de la Russie dans le concert européen après l’implosion du régime soviétique. Chirac n’avait pas la prétention d’être un intellectuel mais il prononça au nom de la vérité de l’histoire le grand discours du Vel d’Hiv du 16 juillet 1995 reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans la déportation de 13 000 Français parce que Juifs. Quant au discours de l’ONU du 14 février 2003 contre l’intervention américaine en Irak, prononcé au nom de l’histoire sanglante du vieux continent, il participe de l’histoire de France. Nicolas Sarkozy fut cornaqué par l’essayiste réactionnaire Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire. Le lancement de la campagne de 2007 sur le mont Saint Michel, ses poses sur le plateau des Glières, la lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet à l’école, ses propos ironiques sur La princesse de Clèves, laissent l’image d’un président peu cultivé qui instrumentalisa grossièrement l’histoire de France. l’Histoire risque de ne retenir de lui que son rôle actif dans la guerre en Libye sous l’influence d’un archéo/nouveau philosophe égocentrique qui surjoue le Malraux de la guerre d’Espagne à chaque conflit dans le monde, Sarajevo, Benghazi ou Kyiv. Si Sarkozy devait être condamné à cause de la nature de ses relations avec Kadhafi, il entrerait dans l’Histoire par une très mauvaise porte. François Hollande qui avait été au cabinet de l’historien de Max Gallot en 1981, avait une vision lucide sur l’Histoire dont il disait qu’elle est à la fois permanence et surgissement de l’inattendu. Avec les attentats terroristes qui ont fait plus de 230 morts en France entre 2015 et 2016, plus que ses prédécesseurs, il dut naviguer en période de ce que Ricœur appelait, en citant Gaston Bachelard, de temps musclé. Il fit face à des évènements venus fragiliser notre « volonté́ de continuer à faire valoir notre héritage indivis » toujours selon une formule d’Ernest Renan. De ce point de vue la déchéance de nationalité pour les Français auteurs d’actes terroristes fut toutefois une erreur. Depuis 2017 Emmanuel Macron navigue aussi par gros temps historique : les Gilets jaunes que l’on assimila aux jacqueries du moyen-âge, la pandémie SRAS COVID comme une nouvelle grande peur de l’occident, le retour de la guerre en Europe, mais aussi de nouveaux attentats islamistes, moins massifs mais symboliquement très lourds : un enseignant décapité au couteau pour avoir fait son travail de professeur d’histoire, un gendarme qui se sacrifie pour sauver une victime. Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’Etat dans les assassinats de l’armée française en Algérie et, à Kigali, l’aveuglement des responsables français dans le processus qui déclencha le génocide rwandais. Mais ses références appuyées à l’histoire de France, comme le ferait un khâgneux besogneux, interrogent. On aurait dû avoir la puce à l’oreille quand, le jour de son élection le 7 mai 2017, on le vit sortir de l’ombre de la cour du Louvre pour se planter dos à la pyramide au son de l’hymne à la joie, comme s’il remontait l’histoire de France depuis la monarchie jusqu’à la République et l’Europe. Il semblait avoir plus lu Hegel que Ricoeur ce soir-là. Dès le début de son discours, il dit : « nous sommes les héritiers d'une grande Histoire et du grand message humaniste adressé au monde ». En novembre 2018, pour le centième anniversaire de l’armistice, il invite les Français à une « itinérance mémorielle » autour des sites de la première guerre mondiale. Il prononce des discours laborieux où il met en parallèle les situations contemporaines et la première guerre mondiale. A Morhange en Lorraine pour la seconde étape de son périple, il commémore cette défaite française où sous les coups de boutoir de l’armée allemande, l’acier des canons et des obus fabriqués par les hauts fourneaux lorrains tua 27 000 soldats français en une seule journée le 22 août 1914. A l’occasion il évoqua "la désindustrialisation et les coups de boutoir de la mondialisation". Personne ne comprit la métaphore. On se souvient du décors pompeux de son allocution du 21 octobre 2020 après l’assassinat de Samuel Paty, dos à la façade de la Sorbonne, le pupitre installé entre les monumentales statues de Pasteur et Victor Hugo, quand il n’hésita pas à modifier une citation de Jaurès pour la faire correspondre à son propos. Il n’hésita pas plus lors de son discours sous la coupole de l’Institut le 5 mai 2021 à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, à faire un portrait de l’Empereur où l’on lisait le sien en filigrane. Notre président aime se mettre en scène dans le décors de l’histoire de France. Dans sa fonction, il a essayé de jouer plusieurs grands rôles dans des adaptations contemporaines, avec plus ou moins de succès. Le 16 mars 2020 il a joué De Gaulle à l’annonce du confinement : « nous sommes en guerre ». Dans l’épisode des Gilets Jaunes, on se sut pas bien s’il jouait Clémenceau le briseur de grèves de 1908 ou Adolphe Thiers qui réprima de la Commune en 1871. Aujourd’hui, avec sa réforme des retraites. il nous joue Charles X en 1830 qui passa outre la nouvelle chambre élue et tenta de passer en force par ordonnances. Pour le XVIIIe siècle, Mitterrand a préempté Louis XIV et Giscard, Louis XV. Il lui reste le rôle de Louis XVI comme le lui ont rappelé les manifestants place de la Concorde le 17 mars dernier. On ne lui conseille pas de jouer ce rôle.

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