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Billet de blog 17 juin 2016

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Eglise et Franc Maçonnerie

Un article publié en juin 2013 dans la revue Golias à l'occasion de la suspension du vicaire de mégève par son évêque en raison de son appartenance au Grand orient de France

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L’évêque d’Annecy a suspendu de son ministère le vicaire de Megève au motif que ce dernier refuse de choisir entre deux appartenances : l’Eglise catholique ou la franc-maçonnerie qu’il vit au Grand Orient de France. Monseigneur Boivineau savait, je suppose, que cette décision rendue publique serait l’occasion d’un nouveau déballage identitaire et idéologique comme on les aime en France. Du grand spectacle. D’un côté les bateleurs du progrès, de la raison et de la liberté qui seront trop contents de bouffer une fois de plus du curé, de crier à bas la calotte, ou de voir le retour de l’inquisition médiévale dans tout positionnement de l’Eglise fondé sur ses propres exigences. Les bûchers et les chevalets de torture seraient prêts à être montés. Ils n’auraient d’ailleurs jamais été démontés. De l’autre ces Catholiques ultramontains qui n’ont toujours pas digéré Vatican II et pour qui l’index, le syllabus et une obéissance aveugle à l’institution ecclésiale et à la doctrine servent de foi et de rempart contre une modernité qu’ils craignent. Les uns et les autres vont bientôt défiler dans les rues, les premiers arborant crânement leurs décors maçonniques et les seconds à genoux, les bras en croix, chapelet à la main. Tous en procession sous des bannières et en chantant. Effets de tréteaux garantis. Le tablier et la soutane. L’équerre et le goupillon. Devant les planches les milliers de catholiques qui gèrent sans difficulté cette double appartenance, les milliers d’hommes et de femmes qui ne se reconnaissent plus dans les institutions religieuses mais qui vivent leur appartenance religieuse en maintenant vivante leur propre spiritualité chrétienne, juive ou musulmane en loge, et ces milliers d’athées ou d’agnostiques qui ne sont en guerre contre personne mais qui cherchent tout simplement, dans la fraternité des loges, à trouver du sens devant l’absurdité du monde. Tous ces gens assistent à ce théâtre de boulevard bien rôdé, vintage IIIe République, avec ses rebondissements, les portes qui claquent et la vaisselle qui casse, mais ils se disent aussi… bon, là, l’Eglise catholique surjoue un peu. Elle brise la vie d’un homme.

Au delà de ces effets de manche, regardons honnêtement les arguments développés par le texte de la chancellerie du diocèse d’Annecy : « Chrétien et Franc-Maçon : les raisons d’une incompatibilité ». Pour respecter la grammaire, j’ai remis les deux dernières majuscules. Regardons pour mieux comprendre, voyons avant de juger. Avant d’aller sur le fond, j’évacue la seule référence maçonnique du texte : un dictionnaire franc-maçon international publié à Vienne en 1975. Je ne juge pas la valeur de ce document que je n’ai pas lu. La chancellerie s'adosse sur deux courts extraits de ce seul texte. D’un point de vue rhétorique, c’est un peu comme si je voulais démontrer que le Pape François favoriserait la torture en m’appuyant sur des instructions de 1975 des aumôniers militaires argentins qui bénissaient les prisonniers avant de les balancer depuis une carlingue d’avion, les mains liées dans le dos, dans le Rio de la Plata. Ca n’a aucun sens. Des Francs-Maçons plus érudits que moi pourraient conseiller utilement la chancellerie dans ses références.

Revenons aux arguments de la lettre de la chancellerie qui méritent d’être entendus. Essayons de les reformuler. Je ne suis pas théologien, encore moins spécialiste de dogmatique ou d’ecclésiologie, mais j’essaye de comprendre loyalement ce que me dit le magistère ou officient aussi des gens intelligents. La première question est celle du relativisme au fondement de la franc-maçonnerie, de l’impossibilité d’une connaissance objective de la vérité qui serait imposée au Franc-Maçon. Cette pensée relativiste, comme d’autres, existe bien sûr, chez les Francs Maçons, tout comme celle d’une vérité d’un créateur, celle de l’absurdité du monde, celle de l’Être transcendant, celle d’une immanence radicale. Ces idées se côtoient. La chancellerie fait cependant une grosse erreur d’appréciation en déduisant à l’aide d’un dictionnaire publié il y a 40 ans en Autriche que cette diversité de pensée des Francs-Maçons serait le dogme du relativisme de la Franc-Maçonnerie. Les seuls écrits où l’évêque d’Annecy pourrait légitimement chercher ce dogme sont les rites, il ne le trouvera pas. Les autres écrits produits en abondance et qui remplissent les étagères des nombreuses librairies spécialisées ou non, n’engagent que leurs auteurs, comme celui-ci. Il existe plusieurs rites, comme il y a plusieurs obédiences plus ou moins spiritualistes. Les textes de ces rites sont tout à fait accessibles si Monseigneur Boivineau veut documenter son analyse. C’est la construction spirituelle et historique de la maçonnerie depuis le XVIIIe siècle qui explique cette évolution. Dans aucun de ces rites on impose un quelconque relativisme et le mot dogme n’appartient pas au vocabulaire maçonnique. Dans tous ces rites, on demande simplement au Franc-Maçon d’être libre. Libre de ses choix spirituels, de sa foi. L’Eglise pense-t-elle autrement ? Sauf à penser que la maçonnerie est une secte. Si la chancellerie avait mieux creusé son dossier, elle aurait su qu’au sein même de l’Eglise on pense que cette question du relativisme dogmatique de la maçonnerie est dépassée.

Le deuxième argument est plus sérieux. Il ne serait pas possible de vivre sa relation personnelle avec la vérité du Créateur sous une double appartenance, la catholique et la maçonnique. L’expression de la foi reçue des apôtres et de leurs successeurs ne peut être reçue qu’exclusivement dans l’Eglise. L’argument est solide, il peut porter. Le Maçon n’adhère pas à une confession religieuse quand il s’engage en maçonnerie, il pratique en homme libre une méthode initiatique à partir de symboles que la maçonnerie va chercher dans les corpus spirituel, historique et littéraire de l’humanité, essentiellement judéo-chrétiens. Jérusalem, Athènes et Rome. Comme les Pères de l’Eglise. Ces symboles ont pour la plupart été construits dans la grande aventure humaine des bâtisseurs de cathédrales. L’humanisme de la Renaissance irrigue la maçonnerie qui s’est développée dans le vaste mouvement intellectuel des lumières. La connaissance de soi est la clef de voute de l’édifice humain. Voilà tout. Connais toi toi même et du connaîtras les dieux, disait Socrate. Socrate…pas de quoi fouetter un chat. On « appartient » pas à la Franc-Maçonnerie, c’est un contresens, on y applique librement une méthode de connaissance et de construction de soi et du monde. La symbolique christique irradie la franc-maçonnerie. La puissance du verbe est au cœur de la symbolique maçonnique. Cette proximité des images et des symboles pourrait laisser supposer une concurrence religieuse sauf que le travail qui est glorifié en maçonnerie n’est pas religieux. Les catholiques qui font ce choix de travailler en loge savent que c’est dans l’Eglise qu’ils vivront en définitive leur relation avec la vérité du Créateur. La maçonnerie n’est pas une religion de substitution mais s’ils le souhaitent, elle leur met à disposition des outils qui peuvent mieux baliser leur foi, comme le font les dogmes de l’Eglise. Si il y a aux yeux de l’Eglise une double appartenance, il n’y a pas de double modalité.

Un troisième argument, juste évoqué à la fin de la lettre, me semble en définitive le plus central. Ce qui pose et a toujours posé réellement problème à l’Eglise, ce sont d’une part les rites, les symboles occultistes, le secret des loges et d’autre part les positions sociétales des obédiences qui sont régulièrement en opposition avec la doctrine élaborée au Vatican.

C’est vrai qu’un certain bric-à-brac symbolique New-Age, néo-templier, crypto-égyptien, proto-biblique, évangiloïde, orientalisant ou ésotérique des loges peut prêter à sourire. Le fameux secret maçonnique a été depuis longtemps éventé, il n’existe pas. Ou, plutôt, il relève de l’intimité de chacun. La discrétion maçonnique relève de la sphère privée protégée par les lois de la République. Quant aux rituels, aux degrés, aux grades, aux décors, aux formes symboliques, des historiens et des anthropologues sérieux pourront donner toutes les analyses nécessaires sur ces pratiques décrites dans de nombreux travaux de qualité. Ces mêmes anthropologues ou historiens - il y en a de qualité dans l’Eglise ou qui sont Francs-Maçons - pourraient travailler avec les mêmes outils scientifiques sur les ornements, les fastes, les titres, les formes symboliques et les pratiques populaires de l’Eglise dont certaines prêtent également à sourire. C’est vrai aussi qu’une partie de la maçonnerie continentale européenne et plus spécifiquement en France, s’est construite en combat contre l’Eglise catholique quand cette dernière était encore une puissance temporelle redoutable qui pesait en tant que telle dans la vie politique et les institutions. Les choses ont évoluées depuis. Des grandes évolutions sociétales ont été appuyés et le sont encore par une partie de la maçonnerie : le droit à la contraception et à l’avortement, le droit à mourir dans la dignité, l’abolition de la peine de mort, le mariage pour tous. L’opposition sur ces sujets est souvent frontale avec l’Eglise mais elle appartient au débat démocratique et républicain dans la conscience et la responsabilité de chacun. La maçonnerie n’impose rien sur ces sujets à ses membres.

L’Eglise et la Franc-Maçonnerie, comme toute communauté humaine, ont leurs brebis galeuses et la pensée produite en loge n’est pas toujours à la hauteur se ses symboles, n’idéalisons pas l’une ou l’autre. La curie romaine profite probablement du flottement doctrinal à l’arrivée d’un nouveau pape pour accélérer son détricotage patient de Vatican II. Mais loin de poser un acte de transgression ou de défiance, le Père Vesin revient aux origines de la Franc-Maçonnerie contemporaine fondée par deux pasteurs anglais au début du XVIIIe siècle quand des prêtres allaient en loge, comme l’abbé Grégoire. Connaîtra-t-il dans sa posture loyale d’une Eglise ouverte sur une pensée moderne, le même sort ecclésial que Teilhard de Chardin ou Alfred Loisy ? On ne le lui souhaite pas.  

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