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Billet de blog 18 décembre 2021

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La responsabilité intellectuelle d’Emmanuel Macron

La stature d’intellectuel d’Emmanuel Macron que l'on a voulu nous vendre était un vernis mais pas un traitement en profondeur du bois de caisse dont il est fait.

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On reste sans voix devant la dégradation du débat public au commencement de cette année électorale. Coups, invectives, discours haineux, profanations néonazies, racisme sans retenue, passions tristes, boucs émissaires. Les campagnes électorales précédentes avaient eu leurs lots de dérapages et de violences verbales, mais cette fois ci on sent qu’un effet de seuil se produit sous nos yeux, au-delà duquel on se dit que la situation peut déraper et nous échapper.

Il n’est pas facile de faire le tri entre toutes les causes de ce moment politique où notre démocratie vacille. Retour de l’impensé identitaire, attentats islamistes, COVID, angoisses millénaristes devant le changement climatique, remontée des tensions militaires internationales jusque nos frontières européennes, creusement des inégalités : les temps sont mauvais. Dans ce contexte historique d’une nouvelle montée des périls, la responsabilité politique du président Macron sur les actions qu’il aura menées depuis cinq ans sera débattue en avril 2022 et sera sanctionnée, ou pas, par les urnes.

En juin 2017 après son élection, nous avions fait dans le numéro 484 de Golias un portrait intellectuel d’Emmanuel Macron qui l’avait d’ailleurs lu. Il avait remercié personnellement l’auteur de l’article qui n’était pourtant pas complaisant mais qui tentait de faire le tri entre une « macronmania » béate et un « macron basching » haineux. A l’époque le label Ricoeur était largement utilisé par ses thuriféraires, c’était de bonne guerre politique pour nous vendre un candidat jeune et sans profondeur historique, mais intellectuel et humaniste dans la tradition personnaliste d’Emanuel Mounier : la personne humaine support d’une attitude d’espérance et convergence de volonté. Un bel emballage en papier de soie qui séduisit beaucoup d’intellectuels. Alors, quelle est la part de la responsabilité intellectuelle d’Emmanuel Macron dans cette consternante dégradation du débat public à cinq mois des présidentielles ? Faisons-le à l’aide de la réflexion de deux intellectuels : Karl Popper[1]et Olivier Mongin[2].

En opposition au relativisme, le premier pensait que toutes les vérités ne se valent pas et que seules les théories fondées sur leur possibilité de réfutabilité, s’en approchent. C’est la base des sciences de la nature et des sciences humaines. Dans un célèbre texte de 1981 sur la tolérance et la responsabilité intellectuelle, il estimait que l’intellectuel cherche la vérité parce qu’il sait qu’elle existe même s’il ne la trouve pas. Popper ajoutait, citant Voltaire, que la supériorité morale de l’intellectuel sur les idéologues se trouve dans sa capacité à critiquer sa propre vérité et à tolérer humblement, pour les contredire rationnellement, les convictions des autres tant qu’elles n’empêchent pas la mise en œuvre pratique du principe même de tolérance.  

Qui se souvient encore de l’incroyable grand débat du 19 mars 2019 sous les plafonds en caissons dorés de la salle des fêtes de l’Élysée, tout juste rénovée ? Après plusieurs semaines d’émeutes en France, une centaine d’intellectuels furent invités à débattre par celui qui réside 55 rue du Faubourg Saint Honoré, presque à équidistance de l’Institut de France et de la Sorbonne. Accroché à son savoir, chaque invité y alla de sa courte analyse, l’intellectuel en chef répondit à chacun qu’il avait compris et qu’il avait déjà fait le nécessaire. Ce soir-là, il n’y eut pas de droit de réponse au propos présidentiel. Malgré tout, une heure avant la fin du grand débat élyséen, alors que les deux tiers des intellectuels étaient déjà partis se coucher, Olivier Mongin, un peu agacé, revint sur la figure de l’intellectuel qui était selon lui, notre marque de fabrique française : « c’est celui qui a la capacité au nom de l’universel et dans la profondeur historique d’articuler la science et les principes qui fondent nos valeurs collectives, c’est celui qui réinvente du récit ». Le même Olivier Mongin, le 22 novembre 2020 signa une tribune avec trente-trois autres intellectuels dénonçant le recul des libertés qu’orchestrait le président Macron avec les lois sécuritaires, sanitaires et sur l’immigration. Son changement de pied sur la laïcité lui était reproché dans les milieux chrétiens démocrates. Olivier Abel, le gardien du temple ricoeurien, qui avait expliqué en 2017 dans La Croix qu’il voterait Macron au nom de la pensée du philosophe, signa également la tribune. L’Express du 7 décembre dernier raconte qu’Emmanuel Macron, ulcéré, convoqua à dîner les frondeurs. Il aurait conclu : "Il serait préférable de laisser Ricoeur à l'écart de ça, il vaut mieux que cela et nous aussi."

Le « ça » et le « cela » en question, c’est la remise en cause intellectuelle de sa politique : Emmanuel Macron croit que sa pensée vaut mieux que la réfutabilité de son action, il a trouvé la vérité, elle n’est pas critiquable. Paul Ricoeur disait que la politique c’est la parole en acte, il n’est donc pas étonnant que le président défende les idées qui fondent les politiques qu’il met en œuvre, c’est le lot de tous les responsables aux affaires de l’Etat. L’humilité est rarement une qualité qui fait le caractère d’un homme ou d’une femme politique. En revanche même si De Gaulle et Mitterrand avaient la stature d’intellectuels, aucun des prédécesseurs d’Emmanuel Macron n’a instrumentalisé à son profit une supposée capacité d’intellectuel qui le préserverait de sa responsabilité politique. Giscard d’Estaing peut-être. Une seule fois, alors que son régime vacillait sous les violences des Gilets jaunes, il esquissa un doute, vite refoulé par la répression policière et deux nouvelles lois sécuritaires. Cette posture intouchable, de discours télévisés en conférences de presse, de petites phrases assassines en bons mots d’aristocratie d’ancien régime, autorise le défoulement sans frein dans l’espace public de la parole et des idées inacceptables jusqu’alors : le racisme et la xénophobie. Emmanuel macron n’est pas responsable des discours de haine des autres mais sa personne présidentielle, support d’une attitude d’arrogance, les permet.

Dans le numéro de Golias de juin 2017, nous écrivions : « Au regard de l’histoire, un quinquennat c’est court, mais il est certain que pendant la durée de son mandat il aura à naviguer en période de temps musclé. Comme ses prédécesseurs, il devra faire face à des événements qui viendront fragiliser notre volonté de continuer à faire valoir notre héritage indivis ». Le soir de son élection, marchant depuis les ténèbres du fond de la cour du Louvre et se plantant dos à la pyramide lumineuse, résumant et incarnant l’histoire de France, pour prononcer son premier grand discours, Emmanuel Macron semblait persuadé qu’il serait seul en charge du vouloir vivre ensemble des Français à partir de ce qu’appelait Ricoeur l’auto compréhension de leurs grands récits nationaux fondateurs. Notre nouveau président n’avait aucun doute sur sa capacité à le faire, à ses yeux son statut d’intellectuel et l’onction sacrée présidentielle le lui permettaient. Lors du centenaire de l’armistice de 1918, dans une série de discours qu’il prononça dans le cadre de ce qu’il appelait alors une « itinérance mémorielle », il voulut le faire de manière tellement laborieuse, qu’on en sourit encore aujourd’hui. La crise des Gilets jaunes et la COVID sont passées par là, renvoyant le début du quinquennat à de l’histoire ancienne, à la nostalgie de l’affaire Benalla, vintage années 60, personnages à la Michel Audiard. On vit Emmanuel Macron tout aussi compassé, l’attitude martiale en plus, à Besançon au début de la pandémie, tout comme sur le parvis de la Sorbonne après l’assassinat de Samuel Paty. C’est sous le dôme de l’Institut dans un discours aux accents hugolien à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon 1erqu’il donna toute la mesure de sa volonté de s’approprier le récit de notre histoire pour le réinventer. Sur l’histoire coloniale ses tentatives de contre-pied sans effaroucher son électorat droitier sonnent creux. Contre toute tradition humaniste, il assume sa diplomatie de trafiquant d’armes et il laisse son ministre de l’intérieur donner libre cours à son hubris contre les étrangers. En contradiction avec sa campagne, il souffle sur les braises identitaires. En revanche Il fut convainquant à propos de l’assassinat de Maurice Audin par les militaires français en Algérie et la responsabilité de l’Élysée et de l’état-major des armées dans la possibilité d’un génocide au Rwanda. La stature d’intellectuel au-dessus de la mêlée politique qu’il tente d’adopter, n’a pas de sens. Comme les autres, son mandat participera du récit de notre histoire, il n’est pas certain qu’il contribuera à en écrire les pages les plus exemplaires.

Alors qu’en période de gros temps, nous aurions besoin de bon bois de carénage pour tenir un cap humaniste et démocratique, l’histoire récente confirme que la supposée stature d’intellectuel d’Emmanuel Macron était un vernis mais pas un traitement en profondeur du bois de caisse dont il est fait.

[1]Karl Popper (1902-1994) philosophe des sciences.

[2]Olivier Mongin, né en 1951, directeur de la revue Esprit de 1988 à 2012

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