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Billet de blog 20 mai 2024

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Que nous dit aujourd’hui le silence de Pie XII ?

Le silence pontifical assourdissant pendant la seconde guerre mondiale nous dit, qu’aujourd’hui encore, avoir l’information sourcée des situations dramatiques liées aux désordres mondiaux n’empêche pas les politiques en charge des affaires de l’Etat se taire et de passer à côté de leur devoir moral à cause de leurs œillères idéologiques et politiques.

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Avant et pendant la seconde guerre mondiale, à cause de son antijudaïsme traditionnel et dans un souci de neutralité diplomatique pour préserver son influence et protéger l’Église dans les pays à majorité catholique, la Curie romaine s’est tue dans l’espace public sur les persécutions nazies et, à partir de 1941, sur l’élimination des Juifs dans les pays conquis par l’Allemagne ou dans les pays satellites du Reich. Les archives du Vatican sur cette période sombre sont ouvertes depuis 2020. Les travaux des historiens montrent que le Vatican, le Pape en tête, était parfaitement informé, dans les détails, de la situation des Juifs dans l’Europe dominée par l’Allemagne. Le réseau diplomatique du Vatican, les prêtres en paroisse, les religieux et religieuses dans les établissements catholiques, les centaines de lettres d’appels au secours adressées chaque mois au Pape et les informations sourcées des alliés, notamment du gouvernement polonais en exil, documentaient en continu la réalité des humiliations et des massacres de masse des Juifs. Si quelques évêques et de nombreux prêtres et religieuses qui ont pour certains payé de leur vie leur engagement humaniste, ont sauvé l’honneur de l’Église, l’institution et sa hiérarchie sont passées à côté de ce qui apparaît être aujourd’hui avec la distance de l’histoire comme leur devoir moral.

Il y a exactement trente ans de nombreux membres de l’Église du Rwanda furent impliqués dans les massacres planifiés à grande échelle du génocide rwandais qui fit huit-cent mille victimes en trois mois. Un tiers des prêtres rwandais et des évêques furent assassinés parce que Tutsi. Si le pape Jean Paul II ne s’est pas tu en dénonçant dès le mois de mai 1994 le génocide en cours, il fallut attendre 22 ans pour que l’Église catholique du Rwanda demande pardon. L’idéologie racialiste qui fut le terreau idéologique du génocide fut importée par les missionnaires belges. Comme pour le génocide des Juifs, le poids des représentations idéologiques de l’Église, sédimentées par l’histoire, explique ce que le journal Le Monde[1] appela le fardeau rwandais de Jean-Paul II.                                                                                                                                                                                                                                                                                               Le 23 septembre dernier à Marseille, le Pape François s’est exprimé sans équivoque sur les trente mille noyés en Méditerranée depuis dix ans : « les migrants n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité », alors que nos Etats européens et la Commission européenne, tétanisés par l’idéologie raciste du grand remplacement et au nom de la « protection du mode vie européen » (l’intitulé initial du commissaire chargé des questions migratoires) mettent en place des dispositifs anti-migratoires mortels avec pour effet de tuer. Nos dirigeants et une bonne partie de la représentation nationale se taisent sur ces tragédies, voire les encouragent.

Le mercredi 22 novembre, le pape François a reçu séparément des membres de délégations israélienne et palestinienne et a assuré à chacune qu’ils étaient victimes du terrorisme mis en œuvre par leurs ennemis. Pendant que le mot génocide chargé du poids de l’histoire, est à nouveau envisagé par la Cour Internationale de Justice pour qualifier la situation des Palestiniens de Gaza et les actes du gouvernement israélien, nos politiques et nos medias mainstream, qui nous enjoignaient à l’empathie pour Israël qualifiant de terrorisme les tueries et les crimes de guerre du 7 octobre, se taisent et ne trouvent toujours pas les mots pour dénoncer ce qui semble bien être une épuration ethnique en Cisjordanie et à Gaza où depuis six mois au moins trente-deux mille personnes ont trouvé la mort sous les bombardements israéliens.

En définitive, le silence pontifical assourdissant pendant la seconde guerre mondiale nous dit, qu’aujourd’hui encore, avoir l’information sourcée et documentée sur des situations dramatiques liées aux désordres mondiaux, où de nombreuses vies humaines, y compris des enfants, sont en jeu en permanence, n’empêche pas les politiques en charge des affaires de l’Etat ou des grandes institutions internationales de se taire et de passer à côté de leur devoir moral à cause de leurs œillères idéologiques et politiques. Comme pour Pie XII, la vérité de l’histoire permettra de les juger.

 Les âmes tièdes[2]

« Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes » écrivait Camus dans le journal Combat à la sortie de la guerre. C’est cette formule typiquement camusienne que l’historienne Nina Valbousquet a choisi pour le titre de son dernier ouvrage, où, sans juger, ce n’est pas le rôle d’une historienne, elle documente à partir des archives du Vatican du pontificat de Pie XII (1939-1958), la manière dont la Curie et le Pape qui avaient toutes les informations précises sur la réalité des persécutions contre les Juifs, se turent. Ces « âmes tièdes », c’est-à-dire la haute hiérarchie de l’Église, connaissaient parfaitement la réalité, qu’elles déploraient parfois et qui pouvait les déranger dans leur compassion humaniste, mais elles ne s’engagèrent pas officiellement aux côtés des Juifs persécutés, cela au nom du réalisme diplomatique, de la prudence et à surtout cause d’un antijudaïsme ancré dans une histoire millénaire. Quelques « âmes brûlantes » d’Église, toutefois, s’engagèrent sans équivoque dans la protection des Juifs persécutés et la dénonciation des lois anti juives et leurs conséquences. Le vieil antijudaïsme historique de l’Église s’était calcifié depuis la fin du XIXe siècle avec la lutte lancée par Pie X (1902-1914) contre le modernisme, assimilant laïcité, Francs-maçons, Juifs, et Bolchéviques à partir de la fin de la première guerre mondiale. Sans atteindre l’idéologie racialiste des lois nazies de 1933, italiennes de 1938 et dans les pays occupés comme en France dès 1940, les stéréotypes antisémites diffusaient dans la hiérarchie de l’Église, dans ses discours et ses écrits.

 Historiographie vaticane

L’historienne Nina Valbousquet, agrégée et docteure en histoire, est membre de l’école française de Rome. Elle s’est spécialisée depuis dix ans sur les croisements entre l’histoire de l’Église et l’histoire juive. Dans sa thèse de doctorat de 2016, elle décrivait comment quelques prélats influents à Rome diffusèrent dans des réseaux catholiques des années vingt un anti sémitisme virulent qui influença la hiérarchie catholique. En juin 2022 l’exposition au mémorial de la Shoah « Les Églises et la Shoah » dont elle était la commissaire, montrait les comportements très contrastés de l’Église : du silence public à la critique en sourdine euphémisante, jusqu’à à l’aide aux victimes et leur protection. Elle travaille également un projet de recherche sur les relations diplomatiques entre le Vatican et les organisations juives de 1914 à 1948. A partir des archives du pontificat de Pie XII ouvertes depuis 2020, elle nous plonge dans la correspondance reçue au Vatican pendant cette période : appels à l’aide, témoignages écrits poignants, échanges de notes au sein de l’administration de la Curie, lettres entre les responsables ecclésiastiques, demandes et réponses diplomatiques aux chancelleries, instructions envoyées aux nonciatures, avis et courriers officiels, informations secrètes sur la solution finale, commentaires annotés en marge de documents par le Pape ou des Cardinaux.

 Pie XI, le pape inquiet

Le prédécesseur de Pie XII, Pie XI (1922-1939) dont les archives sont ouvertes depuis 2001, dénonça le nazisme en 1937 dans l’’encyclique écrite en allemand « Mit brennender Sorge » (avec une brûlante inquiétude). Le racisme de l’Allemagne hitlérienne y est vivement attaqué, avec implicitement, en filigrane, l’anti sémitisme. En 1938 à un groupe de pèlerins belges, il déclare « Par le Christ, et dans le Christ, nous sommes de la descendance spirituelle d'Abraham. Non, il n'est pas possible aux chrétiens de participer à l'antisémitisme (…) l'antisémitisme est inadmissible. Nous, chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites ». Cette déclaration ne fut pourtant pas publiée dans les organes de presse du Vatican. En 1939, avant sa mort, il était très avancé dans l’écriture d’une encyclique dénonçant le racisme et explicitement l’antisémitisme. Le texte qui devait s’intituler Humani generis unitas, restait cependant entaché des préjugés sur les Juifs, notamment les « dangers spirituels auxquels le contact avec les Juifs peut exposer les âmes ». Le racisme au sens Nazi de la supériorité d’une race blanche caucasienne dite aryenne en haut d’une pyramide raciale de l’humanité avec à la base les Juifs, les « Nègres » ou les Slaves, était incompatible avec la vision catholique de l’unité de l’homme créé par Dieu, mais les dangers spirituels du « peuple déicide », qu’il fallait convertir, existaient bien. Beaucoup d’ecclésiastiques traversèrent allégrement cette frontière poreuse entre anti judaïsme et racisme anti sémite, comme le fit par nationalisme identitaire Monseigneur Tiso, chef de l’Etat slovaque, satellite de l’Allemagne ou beaucoup de prêtres croates et polonais.

 Une casuistique romaine

Toute la masse documentaire fouillée et mise à jour par Nina Valbousquet donne chair au drame qui s’est joué à Rome. Ni réquisitoire contre Pie XII, ni apologie d’un Pape qui secrètement aurait sauvé des vies, ce livre ancre les situations dans la réalité et les contradictions de l’Église à l’époque d’une théologie qui visait encore à la conversion des Juifs.  On y croise des responsables de la diplomatie vaticane, pour beaucoup troublés, voire meurtris, par la réalité des persécutions, comme Montini, futur Paul VI, ou Roncalli, futur Jean XXIII, mais qui restèrent dans le cadre de la diplomatie vaticane. Le premier dirigeait la Commission de secours qui traitait des aides matérielles et des interventions en aide aux prisonniers et aux victimes des violences de la guerre. Les lettres des persécutés arrivaient chez lui, notamment des catholiques polonais mais aussi de nombreux Juifs. La doctrine était qu’il fallait secourir en priorité les Catholiques et parmi ceux-ci les « non Aryens », notamment les Juifs convertis et les descendants catholiques des familles issues de mariages mixtes entre un homme catholique et une femme juive, considérés comme Juifs par les Nazis. L’énoncé « non Aryen » que l’on retrouve dans les correspondances vaticanes montre que l’Église catholique s’était appropriée les catégories racistes de l’Allemagne Nazie mais sans souscrire à sa vision racialiste. Une casuistique bancale et troublante que Montini tenta prudemment d’interpréter de manière ouverte devant l’incroyable diversité des situations concrètes et des histoires humaines singulières et tragiques que l’on découvre dans les lettres d’appel à l’aide. Roncalli, une personnalité plus compassionnelle, fut nonce apostolique à Constantinople de 1935 à 1944 avant d’être nommé à Paris. Il prit des risques pour favoriser l’émigration des Juifs qui fuyaient les persécutions en Europe pour la Palestine, même s’il craignait que les Juifs « ne retrouvent ainsi un espoir messianique », écrit-il.

Le concile de Trente (1545-1563) avait confirmé que l’Église était seule dépositaire de l’administration des sacrements définissant les états de la vie, le baptême et le mariage notamment. L’intervention de gouvernements civils sur ces questions a donc toujours été un point de conflit entre le Vatican et les Etats. Les lois raciales battaient en brèche cette prérogative cléricale. C’est sur cette ligne diplomatique traditionnelle du Vatican que le rôle central d’un personnage peu connu permet de comprendre la « tiédeur des âmes » du Vatican pendant cette période : Dell’Acqua. Né en 1903, prêtre italien, employé à la secrétairerie d’Etat (les affaires étrangères) à partir de 1938, proche du Pape, c’est finalement sur son bureau qu’aboutissaient, pour avis, les questions les plus délicates concernant les « catholiques non Aryens ». Diplômé de l’université grégorienne en droit canon, il n’avait pas de compétences particulières en matière de judaïsme et la lecture de ses correspondances montrent des préjugés anti sémites ancrés mais il avait un style direct, péremptoire et, avec autorité, ne s’embarrassait pas de nuances quand il s’agissait des Juifs. Les raisons de cette nomination ne sont pas connues, il avait l’oreille de Pie XII qui suivait ses recommandations, notamment celles sur le risque d’instrumentalisation et d’un procès en philosémitisme si le Vatican s’affichait à rencontrer les associations de secours juives qui alertaient le Pape et lui demandaient son appui. Le 29 août 1942, le métropolite catholique grec ukrainien de Lvov (Uniate, rattaché à Rome) envoya un rapport documenté au Vatican sur les massacres de Juifs au fur et à mesure que l’armée allemande avançait une année plus tôt, notamment à Kiev où 33 000 d’entre eux furent assassinés dans les ravins de Babi Yar. Dell’Acqua commenta le rapport en écrivant que ce qui est décrit est certainement grave, mais que les Juifs avaient tendance à l’exagération, de même que le Métropolite qui comme tout oriental « ne peut être un exemple en matière de sincérité ». Il craignait aussi une manœuvre politique des Américains qui corroboraient les informations venues d’Ukraine en espérant que le Vatican se range dans le camp allié. Cette ligne diplomatique se maintint jusqu’à la fin de la guerre. En 1946, après le procès de Nuremberg, à propos de la situation en Palestine mandataire, Dell’Acqua écrivait encore : « Il n’est pas dans les habitudes des Juifs de souffrir longtemps et patiemment, au contraire, ils aiment vivre et bien vivre ». Il sera promu cardinal et vicaire général de Rome en 1967 par Paul VI.

Les tièdes Évêques de France

Le nonce apostolique en France en 1940, Monseigneur Valerio Valeri était représentatif de la ligne du Vatican : prudence diplomatique, défense des prérogatives de l’Église et anti judaïsme théologique affirmé, teinté d’un antisémitisme dans le mauvais air du temps. Quand Vichy promulgua la première loi sur le statut des Juifs dès le 3 octobre 1940, les excluant de nombreux métier et donnant aux préfets des pouvoirs administratifs privatifs de libertés, il l’approuva. Les évêques français oscillaient entre maréchalisme (vénération de la personne du maréchal) et pétainisme (adhésion aux valeurs de la révolution nationale. Leur assemblée, présidée par le Cardinal Gerlier, Primat des Gaules donna son blanc-seing : ce statut devait permettre de « sauvegarder les droits de la personne humaine tout en empêchant tout mode d’activité susceptible de nuire au bien commun du pays ». A la secrétairerie d’Etat s’inquiétant du statut des « catholiques non aryens » dans cette nouvelle législation sur les Juifs, Valerio répondit : « une mesure certes pas réjouissante, ne correspondant pas entièrement aux principes chrétiens, mais elle est prise avec certaines atténuations (…) Ils sont en revanche exclus de la direction de la chose publique, (…) sur ce point, il nous reste plus qu’à remercier le seigneur, lorsqu’on pense au mal qu’ils faisaient avec ces moyens ». Mais le régime de Vichy ne s’en tint pas là : par conviction et sous pression allemande, il prit ensuite de nombreux décrets et promulgua de nouvelles lois qui vinrent aggraver la situation des Juifs Français. Un deuxième statut fut adopté un an après le premier, jusqu’à la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942 qui par sa brutalité et son ampleur, choqua et réveilla quelques consciences. Pas celle du nonce apostolique qui, devant les évènements, recommanda la prudence diplomatique : ne pas faire de protestation publique tout en tentant d’atténuer les mesures prises, notamment envers les « Catholiques non Aryens » par des interventions « respectueuses » auprès des pouvoirs publics et du Maréchal. Deux évêques rompirent toutefois le silence qu’on leur demandait et firent lire en chaire une lettre pastorale dénonçant sans ambiguïté la déportation des Juifs depuis Drancy. Monseigneur Théas, évêque de Montauban écrivait dans sa lettre : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de familles. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier ». Ces lettres eurent un impact dans l’opinion publique et de nombreux catholiques s’engagèrent pour protéger des Juifs. Après ces initiatives qu’il n’approuvait pas Monseigneur Gerlier se sentit obligé de protester formellement et respectueusement, tout en affichant sa confiance envers le Maréchal Pétain. Beaucoup virent la main discrète du Pape dans ces prises de position courageuses, argument encore repris aujourd’hui par les apologètes de Pie XII. Nina Valbousquet démontre que ce ne fut pas le cas.

La communication vaticane à la sortie de la guerre

A la chute de Mussolini en 1943, l’armée allemande occupa Rome. Le Vatican était maintenant au cœur de la tempête et craignait les représailles nazies si ses prises de position diplomatiques étaient mal interprétées par l’occupant. Les violences contre les Juifs redoublèrent et beaucoup d’entre eux trouvèrent refuge dans des institutions catholiques. Le Vatican n’encouragea pas, mais devant le fait accompli n’empêcha pas. 160 Juifs furent cachés dans l’enceinte même du Vatican par du personnel religieux subalterne, ce qui déclencha de vives réactions de la hiérarchie contre cette présence. Une enquête interne fut menée. Les réfugiés ne furent pas expulsés, on connaissait leur sort s’ils l’étaient. Les armées alliées approchant, cette protection accordée à des Juifs pouvait finalement être utile pour l’image du Pape alors qu’il semblait bien en mai 44 que la victoire des alliés était probable : « tous attribuent cette charité au Saint Père » nota cyniquement Dell’Acqua. Les bombardements américains firent de nombreuses victimes, Pie XII sortit hors des murs de la cité papale à plusieurs reprises pour exprimer sa compassion envers les victimes pendant que des aides étaient distribuées. La communication vaticane pouvait alors développer l’image d’un pape proche du peuple, compatissant et solidaire venant compenser celle plus traditionnelle d’un pape distant et austère. Sentant le vent tourner en faveur des alliés, la libération de Rome en juin 44 poussa le Vatican à intervenir plus fermement via les nonces apostoliques contre les déportations de Juifs dans les pays catholiques encore occupés, notamment en Hongrie où à cette époque elles étaient massives. Sans l’aval du Vatican, le nonce apostolique à Budapest, participa au sauvetage des Juifs en distribuant des milliers de certificats de baptême, il fut déclaré « Juste parmi les nations » en 1997. Tout en craignant une manipulation politique des américains et des britanniques sur la question juive, la secrétairerie d’Etat changea de pied diplomatique en élargissant ses interventions de protection et d’aide des « catholiques non Aryens » aux familles juives en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie. Pour autant la méfiance contre les organisations juives américaines et de Palestine persistait.

La découverte par l’opinion publique de l’ampleur de la catastrophe humaine au travers de témoignages des rescapés et des images terribles des camps libérés, n’empêcha pas la faible prise de conscience de la Shoah par le Vatican, qui perdurera plusieurs années. La secrétairerie d’Etat profita des quelques manifestations de gratitude de Juifs secourus pour communiquer sur la compassion constante du Pape mais ne tenait pas qu’il apparaisse comme protecteur des Juifs, ce qui dans le contexte conflictuel du mandat britannique en Palestine était inflammable. Le Patriarche latin de Jérusalem s’inquiéta que le Pape ait reçu en audience une délégation de réfugiés Juifs en Italie, audience que le journal juif Haaretz relaya pour montrer que le Vatican soutenait l’émigration juive en Palestine, ce qui suscita la colère des Musulmans et l’incompréhension des Chrétiens arabes. Plus tard, le fait que le Vatican se bloque sur la question du retour auprès de leurs familles des enfants juifs baptisés pour les protéger des persécutions nazies, envenima les relations entre le Vatican et les organisations juives.

Un antijudaïsme tenace

Le Vatican ira jusqu’à déplorer l’ingratitude des Juifs alors que le Pape aurait toujours montré sa sollicitude pendant les terribles années. Plusieurs prélats au Vatican et l’Église Allemande virent dans la justice alliée, notamment à Nuremberg, une forme de vengeance juive, reprenant les clichés antisémites en s’appuyant sur le mythe du judéo-bolchévisme. Nina Valbousquet montre que les préjugés antijuifs furent tenaces même après la guerre. Ainsi la Shoah ne marqua pas une rupture dans la perception des Juifs par le Vatican et par une partie du monde catholique. En France en 1946 un livre encouragé par le Vatican, Histoire sainte, Jésus en son temps, suggérait que le génocide avait une justification divine équilibrant « l’insoutenable horreur de la crucifixion ». Les fondements de l’antijudaïsme chrétien mirent du temps pour être ébranlés. Les initiatives de rapprochement judéo-chrétien portées par des religieux se multiplièrent mais ne reçurent pas l’appui du Vatican. Les appels chrétiens à la révision de l’antijudaïsme furent le fait d’une minorité ouverte au dialogue interreligieux. Le processus de révision de la théologie à l’égard des Juifs ne progressa qu’avec l’accession au trône de Pierre de Jean XXIII. Il omit en 1959 le terme perfidis lors de la prière du vendredi saint « pro perfidis Judaeis ». Après l’annonce le 25 janvier 1959 de la convocation du concile Vatican II, Il confia au Secrétariat pour l’unité des Chrétiens la rédaction d’un texte conciliaire sur les Juifs. Nostra Aetate sera adopté le 28 octobre 1965 qui récuse officiellement l’antijudaïsme chrétien.

En 1951 dans la préface du livre, Le IIIe Reich et les Juifs ou Léon Poliakov s’interroge sur le silence de Pie XII, François Mauriac le dénonça sans ambiguïté : « une crime d’une telle ampleur retombe sur tous les témoins qui se sont tus, quelles que soient les raisons de leur silence »

[1] Le fardeau rwandais de Jean-Paul II. Le Monde du 23 mars 1996.

[2] Nina Valbousquet. Les âmes tiède. Le Vatican face à la Shoah. La découverte 2024

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