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Billet de blog 21 février 2018

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La fin du monde est proche, vivons à crédit

La Banque Mondiale a publié son rapport 2017. On peut le télécharger sur son site. De l’agitprop néolibérale classique : la fin de l’extrême pauvreté et la promotion d’une prospérité partagée

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Des photos d’enfants heureux, studieux, espiègles, malades mais soignés, réparties entre des photos d’infrastructures routières, portuaires et de containers, ajoutées à des tableaux et des graphiques : la Banque Mondiale a publié son rapport 2017. On peut le télécharger sur son site. De l’agitprop néolibérale classique : la fin de l’extrême pauvreté et la promotion d’une prospérité partagée, déclinées en trois domaines prioritaires : la promotion de la résilience, l’accroissement du capital humain et l’accélération de la croissance économique. Chacun des termes de ce marketing institutionnel financier mériterait d’être déconstruit non pas à coups de marteau, mais joyeusement à coups de dynamite, l’explosif inventé par Alfred Nobel, le créateur du prix éponyme en économie.

 La BM et le Fond Monétaire International ont été créés en 1945 pour réguler au niveau mondial les aléas économiques et éviter que ne se reproduise la grande crise de 1929, une des causes de la catastrophe mondiale dix années plus tard. La France a été en 1947 le premier pays à bénéficier d’un prêt de la BM qui reste toujours, en valeur actualisée, le plus important prêt jamais consenti par l’institution. Pensée comme instrument financier pour la reconstruction au lendemain de la seconde guerre mondiale, la BM a accompagné les investissements des nouveaux Etats indépendants issus de la décolonisation. Aujourd’hui elle finance les infrastructures matérielles et immatérielles qui permettent une meilleure intégration commerciale de notre planète mondialisée. Soixante-deux milliards de dollars en 2017.

 Sur le même site, on peut trouver un article qui synthétise en quelques graphiques commentés le bilan de l’année : « Certes, l’économie mondiale a repris des couleurs, mais l’année qui s’achève a été marquée par des évolutions préoccupantes ». Quelles sont ces évolutions préoccupantes que l’article expose ? A vrai dire, elles sont franchement effrayantes. Quatre-vingt-trois millions de personnes ont bénéficié d’une aide alimentaire. Ce chiffre augmentera dans le futur. Les émissions de CO2 sont reparties à la hausse après trois ans de stagnation. Le nombre catastrophes naturelles a été multiplié par quatre en cinquante ans. Dans les pays pauvres, quatre enfants sur cinq n’ont pas les connaissances de base en entrant dans la vie adulte. Le nombre d’enfants ayant un retard de croissance en Afrique, entre 1990 et aujourd’hui est passé de quarante-cinq à cinquante-sept millions, cinq pour cent de la population totale africaine. Soixante pour cent des jeunes dans le monde sont au chômage. Un quart des mammifères sont menacés d’extinction et la moitié des élections dans le monde sont jugées inéquitables. Deux bonnes nouvelles émergent de ce sombre bilan : le climat des affaires s’améliore dans le monde et, sur les quinze dernières années, le temps nécessaire pour créer une entreprise est passé de cinquante-deux à vingt jours. Ouf, on respire. Mais pourquoi les auteurs de l’article ne se posent ils pas la question d’un possible lien de causalité entre ces deux derniers constats et les huit premiers ? 

 Parce que nos technocrates de la BM sont comme les médecins de Molière, Diafoirus et Purgon. Ils dressent un tableau clinique dramatique de leur client et sont incapables de poser un diagnostic ou de prescrire un remède sinon la saignée et la purge. Ils veulent surtout impressionner le malade et s’écouter entre eux dans leur jargon d’experts autistes. Des selles putrides ? C’est l’intestin qui est paresseux, purgeons. Des usines émettrices de CO2 ? C’est le marché carbone qui n’est pas adapté, promouvons l’entrepreneuriat. Le teint jaune ? C’est la mélancolie du malade, saignons. Les inégalités qui se creusent ? C’est le marché qui n’est pas libre, dérégulons. Un mal de tête ? C’est le poumon. Pas assez d’écoles ? C’est trop d’Etat, privatisons. Une douleur au genou ? Le poumon, vous dis-je. Pas assez de soins de base ? Trop d’Etat, j’insiste. Une digestion difficile ? Le poumon, encore. La biodiversité qui disparaît ? Trop d’Etat, bien sûr, améliorons les affaires. Saignons ! Purgeons ! Saignons toujours ! Privatisons, augmentons les PIB, dérégulons, ubérisons, chassons l’assistanat, ricanons de la solidarité, investissons, empruntons, spéculons. Une bonne nouvelle toutefois pour le malade : les veines pour la saignée sont toujours bien visibles et les politiques, en chœur avec les chroniqueurs économiques, les experts et les technocrates mondialisés, nous expliquent qu’il n’y a pas d’alternative. L’humanité meurt de ses remèdes et non pas de ses maladies dirait aujourd’hui Toinette la servante d’Argan, le Malade imaginaire.

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