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Billet de blog 21 mars 2020

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L’expert et le politique, le scientifique et le démocrate

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Dans la crise sanitaire qui surgit, qui sera le baudet de la célèbre fable, le bouc émissaire de toutes les fautes antérieures de ses contemporains ?

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Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Dans la crise sanitaire qui surgit, qui sera le baudet de la célèbre fable, le bouc émissaire de toutes les fautes antérieures de ses contemporains ?  Face au pic de l’épidémie qui s’annonçait, sur la chaîne d’information nationale, le lion fit son mea culpa devant tous ses sujets : « mes chers concitoyens, il faudra revoir nos certitudes. »On connait la suite de l’histoire : les animaux de cour flattèrent le roi, se défilèrent et puis punirent le seul qui reconnut avoir commis une erreur de comportement. Cette fable du XVIIe siècle est l’allégorie de ce qui est arrivé après la crise économique de 2008 quand le lion de l’époque déclara :« L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. ». Douze années plus tard, avant que le coronavirus n’explose, d’un côté les marchés qui caracolent, la dérégulation mondiale à son apogée, les fonds de pension heureux, prêts à mettre la main sur le pactole des retraites et de l’autre côté la régression des libertés publiques et des protections sociales, l’affaiblissement des services publics sociaux et des dispositifs publics de solidarité. Prenons la fable cette fois ci comme un avertissement : un bon averti en vaut deux disait-on aussi à l’époque de Jean de la Fontaine, signifiant que toute personne prévenue restait sur ses gardes en devenant redoutable pour ses ennemis. 

Les experts économiques et les politiques libéraux ont vite repris la main dans l’espace public après la crise financière consécutive à l’éclatement de la bulle américaine de la titrisation des subprimes à l’été 2007. Les premiers expliquèrent que l’accident technique de parcours n’invalidait pas la théorie économique de la liberté des marchés financiers et que de toute façon il n’y avait pas d’alternative. Les seconds prirent quelques mesures cosmétiques pour rassurer le bon peuple mais ne remirent pas en cause fondamentalement les paradis fiscaux et la confusion des activités d’épargne et de marché des banques. On frôla le collapsus économique à cause de l’impéritie des banques privées, elles furent renflouées avec l’argent public. La montagne du fabuliste accoucha d’une souris et le renard resta libre dans le poulailler libre de la poule aux œufs d’or. Le baudet grec fut pendu haut et court cinq ans plus tard.

Cette fois-ci le vent a tourné, les experts en expertise se font plus discrets sur les plateaux télé, les chroniqueurs thuriféraires de l’absence d’alternative appellent à l’aide la puissance de l’Etat tout en encensant les agents publics hospitaliers que six mois plus tôt ils considéraient comme des freins irresponsables et coûteux à la rationalisation gestionnaire de l’hôpital public. Trop d’expertise tuant l’expertise, la parole de l’expert a été disqualifiée si bien que chaque internaute derrière son écran peut s’autoproclamer en être un et, sans autre légitimité que lui-même, expliquer doctement sur le forum des réseaux sociaux, au choix, l’innocuité d’une banale grippe saisonnière, le péril jaune, la répétition générale avant l’Armageddon, le machiavélisme mortifère des occidentaux ou encore le complot des grands laboratoires pharmaceutiques. Les coïncidences deviennent des liens de causalité, le complotisme tourne à plein régime. Les politiques, anciens et nouveaux convertis au libéralisme économique qui suivaient sans états d’âme l’expertise des monétaristes anti keynésiens, avalent aujourd’hui leur chapeau et réalisent que leurs décisions budgétaires ont tellement affaibli les services publics de santé et la recherche universitaire, que notre pays a du mal à faire face à la crise sanitaire. Les morts illégitimes, c’est-à-dire les personnes qui décèderont à cause de l’absence d’une réponse médicale faute de lits disponibles qui les aurait sauvées, se multiplieront. On a vu un ministre de l’économie, prince des privatisations, au bord de l’évanouissement quand il n’arrivait pas à dire que la nationalisation complète d’Air France était une option probable. On l’imagine la mort dans l’âme signer le report de la privatisation des ADP, ce n’est pas un référendum qui en sera venu à bout mais un minuscule virus pathogène. On a vu un ministre du budget, salafiste des coupes budgétaires, abattu, l’œil terne devant la caméra, expliquer que la question n’était plus celle du déficit budgétaire à 3% et que nous étions passés dans une 4edimension.    

Les scientifiques du GIEC qui documentent le changement climatique et ses conséquences humaines ont bien du mal à obtenir un peu d’écoute de la part des politiques dont les grandes oreilles d’âne frémissaient de plaisir à chaque conseil idéologique des économistes libéraux, un sucre et une caresse sur l’encolure en plus. Depuis le 11 mars avec la création du conseil scientifique ad hoc, changement d’horizon, quelques scientifiques en médecine et en épidémiologie semblent devenus la boussole des décideurs publics et c’est plutôt rassurant…a priori. On a quand même vu lors de la soirée des municipales un journaliste de tréteaux, médecin médiatique, qui refusait il y a deux mois de commenter la crise hospitalière, faire la leçon à une politique connue pour sa sottise. Après la sanction des urnes, nous avons assisté, atterrés, au reniement indécent d’une ex ministre de la santé, médecin elle-même. Restons lucides, le virus de la démagogie atteint aussi les médecins et la vieille bactérie chinoise du mandarinat s’est chronicisée depuis longtemps en milieu hospitalier et dans les grandes facultés de médecine. Bien que la légitimité technique du conseil scientifique soit questionnée et qu’il serve à l’occasion de masque, justifiant des manœuvres politiciennes, les Français qui se documentent découvrent à la télé et sur les réseaux sociaux des visages plus rassurants qui expliquent la réalité sans fard, sans effet de manche en assumant pour beaucoup les limites de leurs connaissances. Ces scientifiques ne relativisent pas les effets de l’épidémie mais la mettent en perspective et les politiques paraissent les écouter pour asseoir les décisions prises au nom de la collectivité. Ils se contredisent parfois, on est loin de l’assurance des experts en économie et des chroniqueurs organiques spécialistes en « sociétologie ». Les modèles d’expansion de l’épidémie sont accessibles en ligne et on s’interroge sur la différence du profil des courbes de décès dans des pays aux systèmes de santé analogues : exponentielles en Italie, en Espagne et en France, linéaires en Belgique ou en Allemagne. Le choix de contrôler à grande échelle fait par la Chine et la Corée, n’a pas été le nôtre, faute de capacité à produire les tests en faisant d’une nécessité une vertu comme le renard qui lorgnait les raisins qu’il ne pouvait atteindre. Dans quelques semaines, les responsables politiques et techniques en charge de la santé publique devront expliquer leurs choix et rendre des comptes devant la nation. Le fonctionnement de notre démocratie ne sera plus le même après.

Des scientifiques et des praticiens expérimentés ont maintenant la main sur cette situation d’urgence et c’est mieux. N’en doutons pas, ils ne sont pas tous vaccinés contre les conflits d’intérêts financiers ou académiques. C’est au nom de la science que l’eugénisme racial a existé. Les démocraties doivent aussi les contrôler. Une fois la crise passée, les vieilles habitudes politiques reviendront. C’est alors qu’il faudra être vigilant. On cherchera le baudet. En attendant, la crise climatique est déjà là et ira en s’intensifiant, l’ancien monde politique voudra reprendre ses droits et le court terme financier sera à nouveau son horizon politique. Les scientifiques sérieux devront être entendus. Les citoyens auront été immunisés contre le déni de réalité de certains de leurs représentants. Le changement climatique c’est la tortue de la fable qui avance inexorablement. Le lièvre politique qui ne voit pas plus loin que le bout de son museau financier devra être empêché, il n’est pas toujours un démocrate soucieux de l’intérêt public

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