Les ambiguïtés du CCFD devant le régime togolais
Publié dans Golias Mai 2015
La complaisance des chancelleries et des institutions internationales concernerait-elle aussi le CCFD qui mène des partenariats depuis plusieurs années au Togo ? Trois semaines avant les élections, avec l’ACAT Togo[1] et d’autres associations togolaises dont la commission Justice et Paix, le CCFD a financé et a coordonné la publication d’une analyse très fouillée du bilan de Faure Gnassingbé depuis dix ans. Ce document de réflexion intitulé « ambivalences d’un pouvoir qui tergiverse » montre à partir de nombreuses sources les impasses politiques et économiques du régime togolais. Le document tente toutefois de montrer les quelques progrès accomplis en dix ans. La rédaction se veut équilibrée en donnant la parole à différents acteurs. Ce rapport documente la réalité du régime : des réalisations concrètes très maigres à l’inverse des nombreuses promesses, engagements internationaux, réformes inabouties et déclarations d’intention. L’évolution de l’IDH n’est pas présentée contrairement à d’autres indices économiques de la Banque Mondiale, plus favorables au régime. On ne comprend d’ailleurs pas à la lecture du document si les nombreuses précautions rédactionnelles, pesées au trébuchet, reflètent de la part des contributeurs togolais une prudence nécessaire ou bien sont le signe de divergences d’appréciation au sein de l’équipe de rédaction, entre un camp qui pense que le régime est finalement acceptable et un autre camp qui pense l’inverse. Curieusement le bilan conclusif du rapport débouche sur un bilan équilibré, très décalé avec les analyses critiques développées dans le rapport.
Le CCFD, avec une seule ONG togolaise, a publié l’avant veille des élections présidentielles une tribune chez notre confrère La Croix sur la situation au Togo.La lecture de cette tribune qui montre un président Faure modernisateur et démocrate manoeuvrant contre son entourage, est troublante."Si tu choisis la neutralité dans une situation d'injustice, tu choisis le camp de l’oppresseur », disait Desmond Tutu, prix Nobel de la paix. C’est exactement ce que fait le CCFD dans cet article qui se veut mesuré en proposant le bilan du président sortant Faure Gnassimbé et en renvoyant dos à dos le régime et le peuple togolais, en distribuant de manière équanime, distanciée, des bons et mauvais points aux pouvoirs publics togolais, à l’opposition politique et à la société civile qui « n’a pas réussi à faire basculer le peuple contre le régime, même après la révolution burkinabé d’octobre 2014 ».Entre un document d’analyse élaboré de manière collective et une tribune d’opinion, les objectifs ne sont pas les mêmes. La première apporte des éléments de réflexion, la seconde se positionne dans le débat politique. Le même jour que la publication dans La Croix, le collectif « Tournons la page » auquel appartient CCFD, publiait dans Le Monde Afrique une tribune incisive dénonçant les dix années perdues du Togo depuis 2005. Les ambivalences d’un CCFD au Togo qui tergiverse, serait-on tenté de dire. Plus prosaïquement on peut faire l’hypothèse que le CCFD au Togo, qui ne pense qu’à travers des partenaires qu’elle finance pour la plupart, ne décode simplement pas cette situation nouvelle d’une tyrannie dynastique prébendière qui se maintient au pouvoir en jouant le tamtam démocratique que les occidentaux veulent entendre.
On peut ne pas être d’accord avec le CCFD sur une analyse politique d’une situation donnée et s’étonner de le voir ainsi dans sa tribune en solo de La Croix, comme relayer un publi-reportage de Jeune Afrique sur la volonté modernisatrice du président Faure. Mais quand on connaît l’histoire du CCFD, il est choquant de lire dans cette tribune : « La peur a globalement disparu au quotidien. Par exemple, le paysan qui parlait à l’administrateur le dos courbé, en signe de soumission, lui parle aujourd’hui les yeux dans les yeux et peut contester, poliment, ses positions. » Que penserait Paolo Freire, qui justement voyait dans la politesse de l’opprimé le signe de l’incorporation de la domination par le paysan des latifundia d’Amérique Latine. Paolo Freire, alors soutenu par le CCFD, estimait que le travail de conscientisation était la clef de l’émancipation des paysans. La conscientisation était au cœur de la pensée de la théologie de la libération. Le paysan togolais n’aurait pas droit à la même sollicitude de la part du CCFD ? Le syndrome Seguin frapperait aussi le CCFD ?
[1] Togo : 2005-2010 Bilan des 10 ans de la situation socio-politique sous la présidence de Faure Gnassingbé démocratie à double vitesse, ambivalence d’un régime qui tergiverse. Rapport collectif : CCFD, CEJP, ACAT Togo, SADD, ATPDH, SYNPHOT, GRAD. Avril 2014