christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

219 Billets

3 Éditions

Billet de blog 25 avril 2020

christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

Masques africains contre l'épidémie

Pour l’instant c’est un peu le désert des Tartares en Afrique Subsaharienne : on attend l’ennemi, les signes de sa présence se multiplient, l’attaque frontale n’a pas encore eu lieu mais on sait que l’ennemi est là. On redoute un choc qui sera meurtrier. L’OMS l’annonce, nous n’en serions qu’à des prémices qui durent, comme une drôle de guerre.

christophe courtin (avatar)

christophe courtin

Praticien de la solidarité internationale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

l’institut Pasteur, créé en 1887, ouvrait dès 1891 à Saigon un établissement destiné aux maladies tropicales. Dans la magistrale histoire mondiale de la France[1], un chapitre lui est consacré : l’institut Pasteur est la seule institution coloniale restée en place après les indépendances et qui fonctionne encore aujourd’hui. Son modèle d’organisation est toujours une référence dans le domaine de la recherche et permet aujourd’hui à la France de compter parmi les pays les plus en pointe dans la lutte contre les maladies infectieuses. Dix prix Nobel de médecine sont issus de ses rangs. L’institut c’est aussi un réseau de centres de recherche dans 9 pays d’Afrique. Il est présent en Chine depuis 2004 et figure parmi les titulaires du brevet du vaccin contre le SARS-COV-1 de 2003. Ces deux derniers faits, ajoutés à la participation en 2017 de Yves Lévy directeur de l’INSERM et mari d’Agnès Buzyn à l’inauguration d’un centre de recherche médical à Wuhan premier foyer de l’épidémie actuelle, auront suffi à mettre la machine à complot en autoallumage à plusieurs reprises.

Pendant l’époque coloniale l’expérimentation des traitements contre les maladies tropicales était méthodologiquement moins encadrée qu’aujourd’hui, c’est une litote. Les essais cliniques sur des populations à large échelle, étaient courants. Dans les années trente, Eugène Jamot, célèbre médecin militaire, directeur de l’institut Pasteur de Brazzaville, combattit avec succès la maladie du sommeil à la tête de ses « colonnes Jamot ». Organisées comme des expéditions militaires, elles s’enfonçaient en brousse et soignaient tout sur leur passage parfois au mépris des malades. En 1931 un lieutenant du colonel Jamot expérimenta un dérivé de l’arsenic et rendit aveugles sept-cent habitants du centre Cameroun, ce qui stoppa la carrière de son supérieur. Comme dans une boîte de Petri, c’est une souche bactérienne résistante de ce vieux racisme vintage colonial que l’on a découvert dans le sidérant dialogue entre le professeur de Cochin et celui de l’institut Pasteur de Lille à propos de l’expérimentation du BCG contre le covid-19. Et si on essayait sur les nègres ? A entendu l’opinion africaine comme on aurait pu l’entendre en 1936 dans un reportage sur les colonies aux nouvelles de France-Actualité Pathé-Gaumont avant une projection de Pépé le Moko. Cette vidéo tronquée d’où avait été retranché le passage annonçant les essais en Australie et aux Pays-Bas a eu un effet viral immédiat sur les réseaux sociaux africains.

A la date de la rédaction de cet article le nombre officiel total de morts depuis le début de l’épidémie du covid-19 en Afrique (Maghreb compris) équivaut à 58% du nombre de personnes tuées par le virus pour la seule journée du 4 avril en France, le chiffre quotidien le plus élevé enregistré. Ce retard à l’allumage de l’épidémie sur le continent montre-t-il une spécificité africaine ? On commence à le croire. La première explication serait que l’Afrique est en bout de la chaîne de valeurs de la mondialisation : l’Europe élabore, achète et consomme les produits que la Chine produit et dont l’Afrique fournit les matières premières. Ce raisonnement macro-économique près de quatre mois après le démarrage d’une pandémie virale particulièrement contagieuse ne tient plus vraiment. L’effet chaleur ne vaut pas plus, les chiffres du Brésil ou de La Nouvelle Orléans le montrent. Une raison plus sinistre est que les comorbidités ont déjà fait leur travail : l’espérance de vie en bonne santé au Cameroun, le pays d’Afrique subsaharienne qui compte le plus grand nombre de décès (43) après l’Afrique du sud (79) est de 53 ans, 73 en France. En revanche la moyenne d’âge des décès officiels est inférieure à celle en Europe : le signe d’une moins bonne prise en charge des personnes malades. Même si la lutte contre le virus Ébola a amélioré les capacités de réaction sanitaire des pays africains, les dispositifs de lutte contre l’épidémie sont encore précaires, les tests manquent, les radars de santé publique restent rustiques et la consolidation des informations sanitaires est aléatoire. Il y aurait aussi le fameux effet quinine et ses dérivés. Didier Raoult a fait ses premières armes au Sénégal (7 décès), où l’institut Pasteur de Dakar utilise son protocole de traitement comme dans beaucoup d’autres pays africains, plus pragmatiques que chez nous : nécessité faisant loi, dans l’urgence, il faut soigner avec ce que l’on a sous la main, la recherche en épidémiologie n’est pas la priorité. Une sorte d’écosystème immunitaire existerait grâce au recours systématique jusque dans les années 90 à la chloroquine au moindre état grippal dont on se souciait peu de savoir s’il provenait d’une crise de palu chronique ou d’un méchant rhume. L’avenir dira la pertinence de ce facteur d’espoir. Après trois semaines, le Ghana (10 décès) a annoncé la fin du déconfinement, il est le pays africain qui a mené le plus de tests.

Alors, pour l’instant c’est un peu le désert des Tartares en Afrique Subsaharienne : on attend l’ennemi, les signes de sa présence se multiplient, l’attaque frontale n’a pas encore eu lieu mais on sait que l’ennemi est là. On redoute un choc qui sera meurtrier. L’OMS l’annonce, nous n’en serions qu’à des prémices qui durent, comme une drôle de guerre. Les consignes sanitaires se multiplient, les mesures préventives s’organisent et les anticipations ont été différentes selon les pays au fur et à mesure que le danger se précisait. Au Sénégal comme en Côte d’Ivoire (14 décès), au Bénin (1 décès) ou en Afrique du sud, dans des sociétés où l’espace démocratique est plus ouvert, les mesures ont été mises en place progressivement dès les premiers décès et elles sont globalement respectées. Un confinement à la française parait impossible et entrainerait des émeutes dans les immenses quartiers populaires des capitales où la sortie de chez soi est une question de survie quotidienne. On a vu les récalcitrants chicotés dans la plus pure tradition coloniale sécuritaire mais les services de l’Etat fonctionnent. Des structures de dépistage et de soins se mettent en place même s’il y a très peu de tests : les statistiques doivent être en deçà de la réalité. Il y a des manipulations politiques et des erreurs de communication, mais quel pays est à l’abri ? Certainement pas le nôtre. En revanche en Afrique centrale la situation est beaucoup plus préoccupante. Des crises politiques se profilent dans des pays profondément divisés et mis à genoux par des décennies d’impéritie gouvernementale. A Yaoundé au Cameroun où les équipements publics ne fonctionnent plus depuis longtemps, l’hôpital Jamot qui reçoit les malades atteints du COVID-19 est sous équipé. Faute de coordination, chaque ministre y va de ses consignes parfois contradictoires. Pour prouver qu’il n’est pas mort, Le président Biya qui ne s’est pas adressé à la nation depuis le début de la crise, s’est mis en scène, le visage découvert dans une audience accordée à un ambassadeur de France masqué. Il faut croire qu’à 87 ans, il n’a pas les mêmes préoccupations de santé que ses concitoyens âgés de 18 ans en moyenne et qui statistiquement vivront 35 ans de moins que lui. Peut-être négociait-il une place au Val de Grâce ? Au Cameroun, dans la litanie quotidienne officielle des personnes testées, positives, guéries ou décédées, s’ajoute celle des ressuscitées. Au Sahel, sur des structures États déjà fragiles et mises à terre par la guerre qui n’attend pas la fin de l’épidémie, s’ajoutent la crise financière et la désorganisation des circuits commerciaux qui annoncent une crise alimentaire dans les campagnes et dans les camps de réfugiés qui s’étendent sur tout le Sahel, de M’béra en Mauritanie aux confins du lac Tchad.

En Afrique francophone l’épidémie est venue « d’en haut » par ceux qui voyagent en Europe : les hauts fonctionnaires, les membres des cabinets. Les premiers cas coïncident avec les retours des vacances scolaires de février. Plusieurs ministres du Burkina (41 décès) ont contracté le virus. S’il y a une distanciation sociale qui fonctionne, c’est la distanciation des classes sociales : les quartiers populaires et les campagnes semblent moins touchés. C’est le rythme de l’expansion de l’épidémie en Europe qui a donné le tempo des mesures sanitaires en Afrique. A Abidjan, c’est le lendemain du second discours de Macron que sont apparus les masques dans les rues et que l’on a vu quelques bousculades dans les magasins d’alimentation. Les gens craignent qu’«on» leur cache la gravité de la situation,  c’est à cause des Blancs » commence-t-on à entendre dans la rue. Au moment même où la séquence virale des deux chercheurs français enflammait les réseaux sociaux, une note de prospective du ministère des affaires étrangères français était largement diffusée. Annonçant, comme toujours, le pire en Afrique, sans discernement sur la nature des régimes politiques, elle anticipait des crises et identifiait des nouvelles élites politiques avec lesquelles il faudra travailler. Jean Yves Le Drian a dû s’expliquer sur cette note de son ministère : elle n’était qu’un travail de réflexion interne qui n’engageait pas la France. Le mal était fait. La concomitance sur les réseau sociaux de ces deux documents ont alimenté à plein régime la théorie d’un complot français. L’annonce d’un moratoire de la dette africaine par le président Macron sur RFI s’inscrit dans le déminage de cette séquence calamiteuse pour l’image de la France dans l’opinion publique africaine. « C’est à cause des occidentaux » entend-on maintenant dans les milieux intellectuels. A l’occasion du coronavirus les Chinois ont compris qu’ils ne sont pas nécessairement les bienvenus. Leurs investissements et leurs coopérations, malgré des conditionnalités peu regardantes sur les questions environnementales et de corruption, ne sont plus perçus comme désintéressés. Réciproquement les Africains en Chine font peur comme propagateurs potentiels d’une deuxième vague de l’épidémie.

La résilience africaine interroge. Est-elle en passe de nous donner une leçon ? Sur le continent africain la destruction des services publics de santé a déjà eu lieu avec l’aide des plans d’ajustement structurel, de leurs experts et des dirigeants corrompus. Des cliniques privées pour ceux qui peuvent payer, des lazarets publics et des maladreries caritatives religieuses pour la grande masse et des soins à l’international pour la classe dirigeante et ses affidés. Des systèmes de fortune basés sur l’entraide, la surveillance communautaire et la médicamentation naturelle ou au rabais pour ne pas dire mafieuse, se sont mis en place. Les anciens finissent au village éloignés des structures de santé mais entourés des leurs. Les pénuries de masques, de tests et d’équipements en France montrent que nous nous acheminons vers la situation africaine. Si nous ne changeons pas de voie, nous nous organiserons comme en Afrique aux prix d’une espérance de vie en bonne santé diminuée de vingt ans. Le secteur économique des EPHAD mettra la clef sous la porte.

Mais s’il y a un choc qui semble certain, il est économique. Comme ailleurs, des tensions sociales et politiques s’annoncent. Une tribune de vingt-cinq intellectuels africains explique que le modèle d’insertion primaire des économies africaines dans la mondialisation libérale ne peut plus tenir et appelle à ressusciter la promesse du soleil des indépendances : le panafricanisme internationaliste de solidarité et de mutualisation que la bêtise prébendière des dirigeants africains avait enterré à peine né. Il faut espérer et se battre pour que de la crise sanitaire que nous vivons amène un changement de paradigme des relations nord/sud. Le chemin est semé d’embûches : les vieilles racines du mal africain sont profondes et la tentation nativiste anti étranger travaille beaucoup d’intellectuels africains dont plusieurs des signataires de la tribune.

[1]Patrick Boucheron. Histoire mondiale de la France.Seuil 2017. Chapitre 9, entrée 10.Guillaume Lachenal la création du premier Institut Pasteur Outre Mer par Albert Calmette

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.