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Billet de blog 25 août 2021

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Entre ici Josephine Baker avec ta joyeuse revue nègre.

Nous attendions une grande avocate courageuse, militante des droits de l’homme et des femmes, ce sera une grande artiste courageuse, militante des droits civiques.

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De la discrimination positive au Panthéon ? Non. Josephine Baker entre au Panthéon parce qu’elle avait du talent, parce qu’elle s’était engagée pour des causes justes et parce qu’elle avait risqué sa vie dans la lutte contre le nazisme. Même si d’autres considérations moins nobles, plus opportunistes sont entrées en ligne de compte dans ce choix, pour une fois ne perdons pas notre temps dans une nouvelle exégèse de la complexe pensée du prince. Apprécions simplement cette sorte de « pour rappel » de la République. Nous attendions une grande avocate courageuse, militante des droits de l’homme et des femmes, ce sera une grande artiste courageuse, militante des droits civiques. La mémoire de la première patientera un peu, son tour viendra. Ne les mettons pas en concurrence, ne boudons pas notre plaisir et cela même si une ancienne église au clacissisme dominateur n’est pas l’endroit le plus adapté pour accueillir la mémoire de la sirène des tropiques, de la princesse tam-tam…. Au risque d’un blasphème républicain, on peut s’imaginer que plusieurs bourgeois locataires des lieux se sentent plus empressés à faire une petite place dans la crypte à l’animatrice des coins où ils s’encanaillaient, plutôt qu’à l’avocate des femmes qui avortaient à cause de cet encanaillement. Ses seins découverts faisaient venir de coupables pensées à quelques Tartuffes de la IIIe République, des pensées comme une métaphore du déclin des institutions de la Ve. « Une nouvelle fève dans le gâteau de Savoie » raillaient les chansonniers lors de l’entrée au Panthéon de Victor Hugo en 1885. Une petite notre dame des Folies Bergères en faïence noire cette fois ci. D’ailleurs les cendres de la résistante n’y seront pas transférées, elles resteront à Monaco où son amie Grace Kelly l’avait accueillie. Elle avait deux amours, son pays et Paris, alors à quoi bon le nier, on se recueillera sur sa mémoire à deux endroits différents, devant deux cabanes bambou mémorielles : un cénotaphe monumental, en pierres de Paris sous le ciel clair de la montagne Sainte Geneviève dans le Ve arrondissement et un caveau bourgeois en granit noir, enchâssé entres les dernières demeures cossues du cimetière du rêve joli de Monte-Carlo. Son cœur est ravi. Tout cela doit faire sourire la gamine pauvre du Missouri qui devait danser dans la rue pour nourrir ses frères et sœurs. Elle continua à le faire toute sa vie, jusqu’à la ruine, pour élever ses douze enfants adoptés. 

« C'est toujours le présent qui se célèbre lui-même en consacrant tel ou tel fantôme tutélaire »écrivait Régis Debray dans une tribune du Monde en 2013 pour soutenir la candidature de Josephine Baker au Panthéon. Il l’avait croisée à Cuba en janvier 1966 pendant la conférence tricontinentale au moment des espoirs nés de la décolonisation. Quel présent célèbre-t-on aujourd’hui en la panthéonisant ? Ne serait-ce pas plutôt un passé révolu ? un passé récent avant l’effondrement des tours de Manhattan, avant que la crise climatique et la COVID ne viennent obscurcir notre futur ? Un passé qui pensait encore progrès, émancipation, libération, grand large. Un passé souriant comme un joli mois de mai, même si Josephine Baker participa à la manifestation du 30 mai 68 qui mit fin au grand rêve éveillé des Français. C’est bien parce qu’elle n’est pas un fantôme tutélaire, une statue républicaine qui nous regarderait du haut de sa conscience, que nous la consacrons en célébrant l’image vintage et nostalgique d’une époque en noir et blanc. Celle du temps des postes radio à galène de la résistance, du contrespionnage, du gaullisme, de l’ORTF, de la rumba cubaine, des music-halls, des grands boulevards, de la haute couture française, de Martin Luther King, de Fidel Castro à qui elle présenta ses condoléances à la mort du Che. Elle est la figure toujours vivante d’une femme, libre, noire et bisexuelle, il y a juste à espérer qu’au lourd costume d’une panthéonisation qui vient couvrir la semi-nudité de ses premières scènes parisiennes ne s’ajoute une tout aussi pesante canonisation en intersectionnalité. On ne statufie pas, même symboliquement, le mouvement, la danse et le charleston. Surtout, ça la ferait rire, du rire jaune de l’intersectionnelle petite tonkinoise.

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