Golias
Votre dictionnaire sonne comme un réquisitoire contre l’aide au développement.
Christophe Courtin
Oui une sorte de réquisitoire, mais contre les développeurs, c’est à dire ceux qui vivent professionnellement de ce secteur économique. Et puis le style n’est pas celui d’un prétoire, il est pamphlétaire et ironique.
Golias
Vous mêmes vous êtes un de ces développeurs que vous critiquez férocement et qui vivent du développement des autres.
Christophe Courtin
C’est exact. Est il encore possible de faire changer les choses de l’intérieur ? Je le pense. Pour détourner un avion, il faut monter dedans. J’ai travaillé dans l’aide à l’enfance avec Terre des Hommes Lausanne, l’accompagnement des jeunes professionnels dans des projets de développement en Afrique avec les Volontaires du Progrès, la solidarité internationale et les processus altermondialistes avec le CCFD, la mise en œuvre de projets d’appui à la société civile en Afrique avec l’Union Européenne. Aujourd’hui pour l’Union Européenne, je travaille en Mauritanie à l’appui à l’Etat de droit et la justice. Ce que j’observe de l’intérieur chez beaucoup de mes congénères développeurs c’est une vraie pauvreté de la pensée pratique et une sorte d’arrogance de cléricature développementiste faite de paternalisme compassionnel et de certitude technocratique. Je croise aussi des gens formidables, mais ils ne font pas système, les contraintes politiques et bureaucratiques sont plus fortes. Il faut remettre du politique et donc du sens dans l’aide au développement.
Golias
Au delà de la charge et de l’ironie du dictionnaire quel diagnostic portez vous sur l’aide au développement ?
Christophe Courtin
En fait je crois que très peu de ceux qui vivent professionnellement de l’aide au développement sont dupes de l’inadéquation radicale entre d’une part la pensée et les moyens humains déployés dans l’aide au développement et d’autre part les enjeux du développement. Dans un contexte de mondialisation néo libérale, l’aide au développement n’est plus basée sur les principes de solidarité mais sur la correction des dysfonctionnements pour atteindre le fonctionnement optimum des marchés. Ce que je reproche aux professionnels du développement des autres, c’est de faire semblant de ne pas voir cette contradiction en maintenant un discours compassionnel pour sauver les apparences et leurs emplois : lutte contre la pauvreté, aide aux démunis, la résilience des pauvres, le life saving (sauver des vies). Les agences de l’aide au développement onusiennes ou étatiques, voire beaucoup d’ONG internationales, sont devenues les dames patronnesses de Jacques Brel qui tricotaient couleur caca d’oie pour reconnaître leurs pauvres, pendant que leurs maris luttaient pied à pied contre l’émergence des droits sociaux et du droit du travail. On en est revenu là, au XIXe siècle.
Golias
Pourquoi ce style pamphlétaire ?
Christophe Courtin
On a tout essayé. Le diagnostic que je porte, vous pouvez le trouver dans de nombreux travaux de recherche et même dans beaucoup de rapports internes des institutions de développement. Flaubert disait de l’ironie qu’elle n’enlevait rien au pathétique mais qu’au contraire elle l’outrait. Je pense que l’humour a toujours été une arme efficace contre les bureaucraties. Et puis, écrire et faire lire au fur et à mesure à ses proches, tout en s’amusant, a été un vrai plaisir. Au début ce dictionnaire était un jeu, il a pris de l’ampleur. Le travail étymologique a été une énorme source d’inspiration pamphlétaire tant elle confirmait des intuitions, ce que je n’envisageais pas au départ.
Golias
Qu’est que nous montre cette archéologie des mots du développement ?
Christophe Courtin
Beaucoup d’anglicismes, un peu plus du quart des mots recensés. C’est le signe que la langue de la mondialisation avec son efficacité gestionnaire imprègne complètement le secteur. Et, étonnement le vocabulaire religieux avec lequel le vocabulaire de l’aide partage beaucoup de racines communes. C’est un double signe à la fois compassionnel et idéologique du secteur. Pragmatisme gestionnaire et idéologie post religieuse (il n’y a pas d’alternative), deux caractéristiques du capitalisme contemporain.
Golias
Léon Bloy, Flaubert ?
Christophe Courtin
J’aime ces auteurs, leur style pamphlétaire. Le dictionnaire de Flaubert est bien connu. C’est un ami qui m’a fait lire l’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy, écrivain catholique, mystique, réactionnaire, marial. Le style m’a époustouflé et fait beaucoup rire. J’aime lire ces écrivains catholiques du début du XXe siècle comme Bernanos et Péguy, pleins de contradictions, de questionnements, de révoltes et d’emportements. Je m’y reconnais.