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Billet de blog 28 janvier 2017

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Emile Combes et Aristide Briand, 1905 : le retour

Hélas on ne voit pas trop où sont les Aristides Briand contemporains, on ne les entend pas, la jaquette gallicane d’Emile Combes est devenue l’habit laïciste de la plupart de nos responsables politiques. Article publié dans le magazine Golias décembre 2016

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 L’horreur des attentats islamistes, plus de 200 personnes tuées en France en 2015 et 2016, la réponse nécessairement sécuritaire à court terme et la perspective des élections en 2017, créent un contexte désastreux pour aborder la question de l’islam en France. Pourtant le fait que la plupart des assassins soient Français et que plusieurs centaines de jeunes Français partent en Syrie au nom de leur lecture de l’islam en s’excluant de notre communauté nationale et pour certains d’entre eux se retournant parfois contre elle par le meurtre et le suicide, rendent nécessaires et urgentes les réponses sociales, institutionnelles et politiques. Cette situation dramatique n’aide pas à la hiérarchisation des problèmes et favorisent la confusion, donc la manipulation, comme le montre le lien de causalité idéologique et religieux fait à Nice entre une tenue de plage et un camion meurtrier.

En août dernier pendant l’hystérie de l’été sur le burkini, la laïcité a été revendiquée par chacun des camps, celui de la fermeté contre un symbole d’asservissement de la femme et celui de la liberté dans l’espace public. Avec une remarquable économie de mots, les deux premiers articles de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 11 décembre 1905 sont clairs : « La République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Le mot laïcité n’apparaît pas dans le texte de la loi portée par Aristide Briand[1] qui, après plusieurs années de débats difficiles, parfois dans la violence, venait clore une querelle commencée avec la révolution sur la place du catholicisme dans la République. Il faudra toutefois attendre 1924 pour que cette loi qui concerne aussi les cultes protestant et israélite, trouve son équilibre avec les décrets sur les associations diocésaines. La fraternité des tranchées avait, entre temps, apaisé ce vieux conflit politique français. L’archevêque de Paris, André Vingt-trois dit aujourd’hui de cette loi : « quand une loi est bien faite, il faut l’appliquer »[2]. Un siècle après cette grande loi de la République, nous nous retrouvons avec un débat similaire : quelle place pour l’islam, la deuxième religion de France, dans la République ? Comparaison n’est pas raison, l’histoire ne se répète pas, certes, mais la similarité des situations mérite qu’on s’arrête sur le contexte et les débats de 1905 pour éclairer ce qui nous arrive et que la réflexion reprenne la main dans les débats dans l’espace public.

 En 1900, dans le sillage de l’arrêté du maire anti clérical du Kremlin-Bicêtre, plusieurs arrêtés municipaux interdirent le port de la soutane dans la rue au motif que  « si le costume dont s'affublent les religieux peut favoriser leur autorité sur une certaine partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de tous les hommes raisonnables ». Le Conseil d’Etat annula tous ces arrêtés municipaux. Lors du débat sur la loi de séparation de l’église et de l’Etat en 1905, un député déposa un amendement pour que cette interdiction soit inscrite dans la loi. Aristide Briand le rapporteur de la commission rejeta l’amendement au motif que : « Il a paru à la commission que ce serait encourir (…) le ridicule, que de vouloir par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements ». Nous ne sommes pas très loin du débat qui nous préoccupe aujourd’hui. On pourra estimer que le côté vintage IIIe République et sépia de ces débats ne sont pas à la hauteur des défis d’aujourd’hui, mais à l’époque du Syllabus et du retour de flamme anti moderne de Pie X contre la démocratie et les sciences, l’église était un vrai danger pour la République. Si, dans le contexte des migrations et des attentats terroristes, l’islam aujourd’hui est perçu et vécu par les citoyens comme un réel danger pour la société française, comme en 1905, c’est à partir des principes de liberté et non à partir de la répression qu’il faut trouver une réponse de long terme sur la place de l’islam dans notre République.

 Le 22 mars 1905 lors de la présentation du projet de loi à la chambre des députés, Aristide Briand déclara : « Dans ce pays où des millions de Catholiques pratiquent leur religion – les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par traditions de famille -, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter.
Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable. 
[…]
Nous n’avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République. » Remplaçons le mot Catholiques par Musulmans. Beaucoup de républicains aujourd’hui pourraient légitimement s’émouvoir de voir une nouvelle loi acceptable par une religion qui sert de base juridique et théologique dans de nombreux pays pour justifier des pratiques qui sont attentatoires aux droits de l’homme, entre autres sur la place et le rôle de la femme dans la société. La République française a su le faire en 1905 sans être ébranlée, mais en se renforçant, il n’y a aucune raison sérieuse qu’elle ne sache le faire aujourd’hui.

 Aristide Briand connaissait ses adversaires : les vieux bataillons d’élus monarchistes, catholiques ultramontains, boulangistes, anti dreyfusards, nationalistes, anti sémites, bonapartistes qui avaient perdu du terrain depuis les débuts de la IIIe république construite sur les décombres d’un second Empire qui avait pris parti pour la papauté dans la guerre de réunification italienne. Mais c’est dans son camp, au sein de la gauche que le débat politique fut le plus nourri. Président du conseil entre juin 1902 et janvier 1905, Emile Combes[3], Radical, ancien séminariste, Franc Maçon, anticlérical, avait mené une politique de fermeté contre l’église catholique en expulsant les congrégations enseignantes et en licenciant les prêtres qui prêchaient en langue régionale. Son objectif au départ n’était pas nécessairement la séparation de la religion et de l’Etat mais bien le contrôle par ce dernier des pratiques religieuses, du culte, de l’enseignement et de l’espace public. D’ailleurs, en 1892, Emile Combes dans son rapport sur l’instruction primaire en Algérie, avait proposé : « (…) de là pour nos instituteurs l’obligation étroite de témoigner le plus profond respect à la religion indigène, c’est-à-dire au livre qui en est l’expression ». En 1904,  à Auxerre dans un discours qui marqua finalement son ralliement à la loi de séparation, il déclara : « la réaction cléricale, la plus insidieuse et la plus redoutable de toutes, parce (…) qu'elle déguise sous un masque républicain son projet d'asservissement intellectuel et moral. »Son problème était politique et pas religieux, il se déclarait d’ailleurs déiste. Il estimait que les clercs et la hiérarchie catholique étaient inféodés à des puissances extérieures à la Nation et qu’il fallait donc les soumettre à l’ordre républicain. Jean Bauberot[4] explique qu’Emile Combes s’inscrivait ainsi dans la vielle tradition française du gallicanisme, du contrôle du religieux par l’Etat. Son obsession du contrôle amena la chute de son cabinet en janvier 1905 quant on découvrit qu’il faisait ficher tous les officiers catholiques pour contrôler leur loyauté à la République.

 Le rapport parlementaire présenté par Aristide Briand et qui ouvre les débats sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ainsi que la dénonciation du concordat de 1801, commence par une longue analyse historique des rapports entre la France et l’église catholique, de Clovis à Napoléon III, (90 pages sur 135). Le rapport conclut sur l’analyse que le dogme de l’infaillibilité pontificale étant la pente naturelle du Vatican qui en faisait un article de foi, la rupture du concordat était alors nécessaire. Les cultes protestants et israélites font également l’objet d’une analyse historique. En posant ainsi dans une sorte d’anamnèse le débat dans sa profondeur historique et la mémoire, le rapporteur inscrit cette grande loi dans un processus de liberté : « le projet que vous présente la commission (…) sauvegarde tous ensemble les légitimes et respectables préoccupations des consciences, les intérêts des personnes et les droits supérieurs de l’Etat. Ce n’est pas une œuvre de passion, de représailles, de haine, mais de raison, de justice et de prudence combinées (…) ». En mettant une sorte de cordon sanitaire entre l’Etat et la religion, la loi sanctuarise le service public mais laisse libre l’espace public où les citoyens peuvent s’exprimer librement pourvu qu’ils ne troublent pas l’ordre public. A charge au juge d’en évaluer le trouble à l’ordre public à la lumière de la liberté individuelle. Deux conceptions de la laïcité s’affrontèrent : d’une part une conception libérale, c’est l’Etat qui est laïque, neutre religieusement, de l’autre intégrale, c’est la société qui doit l’être dans l’espace public. La première l’emporta. Aujourd’hui dans le contexte de l’Etat d’urgence qui restreint les libertés individuelles et les pouvoirs du juge, la question du contrôle des comportements dans l’espace public est à nouveau posée. Le voile ou le burkini dans la rue et sur les plages en disent-ils plus que la kippa ou le crucifix ? Les épigones de Combes, de gauche comme de droite, répondent oui bien sûr et mènent la charge pour sortir l’islam de l’espace public, comme Combes voulait le faire du catholicisme.

 Avant l’affaire du voile des collégiennes de Creil en 1989, l’islam en France était peu visible, modeste. Depuis, les français fils et filles des travailleurs musulmans que nous sommes allés chercher en Afrique du nord et concentrés dans les périphéries, sont devenus des citoyens adultes intégrés pour leur immense majorité dans la société et pour beaucoup d’entre eux distanciés voire indifférents à la religion. Mais aussi pendant cette période un islam quasi hérétique et ultra minoritaire jusque dans les années 70, financé par le gaz et le pétrole de la péninsule arabique, qui tente d’imposer au monde musulman sa pensée régressive. Depuis 1989, les Etats Unis et plusieurs pays européens, dont la France, ont mené et mènent des guerres déstabilisatrices au Moyen Orient et en Libye, la bipolarité du monde est finie, la plupart des pays arabes sont en crise voire en guerre, la violence aveugle djihadiste nous a atteint au cœur de notre vie quotidienne. En vingt-cinq ans de religion pratiquée discrètement par des travailleurs immigrés, l’islam a acquis le statut de problème politique et sociétal prioritaire.

 Les différentes commissions sur l’islam, depuis celles qui ont préparé les lois de 2004 et 2010[5] consécutives aux débats sur le port du voile simple à l’école ou intégral dans la rue jusqu’à la dernière commission sénatoriale[6], n’ont pas fait ce travail d’anamnèse sur les rapports entre l’islam et la France. Au contraire, en 2003, si la fameuse commission Stasi s’est sentie obligée de faire une histoire, c’est celle de la laïcité. La République ne « reconnaît aucun culte ». Elle est indifférente, neutre, pas intéressée sur les questions de religion, elle se fiche de savoir ce que symbolise ou pas le burkini, la cornette des sœurs de la Charité, le tilak des Hindoues, la sheitel des Juives ou les peintures faciales des femmes Nambikwara décrites par Claude Levy Straus. La loi de 2010 n’a pas été prise dans le cadre de la laïcité, mais celui de la sécurité. C’est le travail de mémoire sur les rapports entre la France, l’islam et le monde arabo-musulman qui n’est pas fait. Les laboratoires de recherche en histoire, en sciences politiques ou en anthropologie des religions dédiés au monde arabe ou à l’islam ne manquent pas en France, la recherche française dans ce domaine est reconnue internationalement et pourtant cette histoire n’est pas une mémoire collective partagée. Les experts abondent, les essais plus ou moins documentés sur le sujet prennent de plus en plus de place dans les librairies mais le travail politique d’appropriation historique par les représentants de la nation n’est pas fait. On découvrirait une histoire multi séculaire depuis Poitiers jusque Rakka, en passant par l’ambassade de Charlemagne auprès de Haroun Al Rachid, les razzias barbaresques, sept croisades, l’alliance de François 1er avec la sublime porte, l’expédition d’Egypte de Bonaparte, le soufflet du Bey d’Alger, la conquête algérienne, l’orientalisme, le voyage en Orient, Châteaubriant, Lamartine, Nerval, Flaubert, L’émir Abd El Kader dans sa prison à Pau, l’inauguration du canal de Suez, la colonisation, les Spahis, les Goumiers de Monte Cassino, Sétif, la Toussaint 54, l’expédition de Suez, la guillotine algérienne, les barricades d’Alger, les eaux baptismales de la Ve République, Charronnes, le rapatriement des Pieds Noirs, le lâchage des Harkis, les travailleurs immigrés dans l’automobile, le regroupement familial, les lois Stoleru, Neauphle le Château, Osirak, Sarajevo, la division Daguet, Tiberrine, Serval, Tombouctou, l’uranium iranien, la jungle de Calais, sans oublier le grotesque épisode de la tente bédouine dans le parc Marigny un an avant les bombardements sur Tripoli. Une mémoire méditerranéenne faite d’incompréhensions, de fascination réciproque, de violences, de haines, d’alliances, d’intérêts bien compris, d’intoxication, de manipulations et d’échanges, dont nous vivons une nouvelle séquence et dont nous devons faire l’anamnèse pour comprendre et expliquer, oui expliquer, ce qui nous arrive.

 Comme en 1905, ce travail d’histoire et de mémoire est nécessaire et préalable à une application des deux premiers articles de la loi de séparation à l’islam. Pour le Front National, ses cadres, ses épigones de droite comme de gauche et ses traine sabres intellectuels ou médiatiques, la messe est dite, ils veulent refaire à la fois Lépante, la prise de la smala et la bataille d’Alger. Avec les autres politiques qui respectent les fondamentaux de la République, il faut trancher ce débat service public-espace public. Hélas on ne voit pas trop où sont les Aristides Briand contemporains, on ne les entend pas et la jaquette gallicane d’Emile Combes est devenue l’habit laïciste de la plupart de nos responsables politiques.


[1] Aristide Briand, 1862-1932. Plusieurs fois Président du Conseil et ministre sous la IIIe République. Prix Nobel de la paix en1928 pour sa politique de rapprochement avec l’Allemagne de Weimar.

[2] Interview La Vie 2 février 2015

[3] Emile Combes, 1835-1921 Homme politique Plusieurs fois Président du Conseil et ministre sous la IIIe République

[4] Jean Baubérot. Universitaire, professeur de sociologie des religions. Auteur de nombreux ouvrages sur la laïcité. Dernier paru : Les sept laïcités françaises. Il a été membre de la commission Stasi.

[5] Loi du 10 février 2004 encadrant, en application du principe de la laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ».

[6] Mission d’information sénatoriale sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte. Juillet 2016. Rapporteur Nathalie Goulet.

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