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Billet de blog 28 octobre 2022

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L’œuvre au noir de Soulages

La lumière dans les yeux de Pierre Soulages s’est finalement éteinte. Il avait 102 ans. C’était à croire que celle, secrète, venue du noir de ses œuvres était sa pierre philosophale qui lui aurait donné l’immortalité.

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La lumière dans les yeux de Pierre Soulages s’est finalement éteinte. Il avait 102 ans. C’était à croire que celle, secrète, venue du noir de ses œuvres était sa pierre philosophale qui lui aurait donné l’immortalité. Il pensait qu’une œuvre n’est qu’un prétexte à l’activation du regard et de la pensée : « L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire. ».Prenons cette proposition du peintre lui-même, comme une invitation au recueillement pour tenter de comprendre l’énigme d’une œuvre qui nous touche.

Il le disait, l’église abbatiale de Conques sur le chemin de Compostelle fut le lieu de ses premières émotions artistiques. Il disait aussi « les spectateurs s'arrêtent, la critique s'arrête : la poésie commence. Autrement dit, les mots s'arrêtent là où l'incommunicabilité est communiquée ». Etc’est ce qu’il fit en 1994 avec les 104 verrières de Conques en créant des vitraux qui transforment la lumière extérieure par la matière d’un épais verre incolore et translucide, quand, au rythme de la course du soleil, le grès rouge, le schiste noir et le calcaire blanc des voutes, des colonnes, des murs et des sols, sont animés subtilement par l’irisation délicate des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Là, l’outrenoir de Soulages ne diffuse pas la lumière, il la compartimente, l’organise, l’accompagne dans des lignes simples, rectilignes, ondulées ou courbes, verticales, horizontales ou en diagonales, pour juste capter notre regard en l’amenant doucement à l’introspection vers notre architecture intérieure en symétrie de la poésie du monde qu’offre le sanctuaire. « Le sacré n'est pas le religieux, tout le monde le porte en soi », disait-il encore.

Compostelle c’est l’étoile sur le compost de l’œuvre au noir des alchimistes, être allé à Compostelle signifiait avoir accompli l’Œuvre. Pierre Soulages expliquait que les cieux étoilés de Van Gogh le touchaient physiquement. Et si c’était parce que ces petites tâches lumineuses jaunes sur la toile couleur bleu-nuit de l’homme à l’oreille coupée, n’étaient que le reflet extérieur de ses propres profondeurs aperçues dans un miroir ? En définitive ses immenses toiles laquées noires, nacrées, moirées, suspendues au Louvre à l’occasion de ses cent ans, comme une liturgie des Leçons de ténèbres du Grand Siècle, nous invitaient à retourner notre œil en dedans, et cela même si aucun homme ne peut voir ce qui est en lui. « Si nous voyons la voie lactée, c’est qu’elle existe véritablement dans notre âme »disait Léon Bloy.

Le pèlerin arrive à Compostelle par le nord, par la rue de la Azabacheria, dont le nom évoque un minerai de couleur noire fait de bois minéralisé que des artisans sculptaient pour fabriquer des statuettes ou des objets pieux vendus aux pèlerins, en souvenir de leur long voyage qui les avait fait s’arrêter à Conques. « La réalité d’un tableau ne se réduit pas à sa matérialité : châssis, toile. Elle est composée de trois termes : le peintre qui l’a faite, l’objet qu’elle est et celui qui la regarde… ». La trinité selon Soulages.

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