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Billet de blog 29 février 2024

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Est-ce donc ainsi que le président commémore ?

Trois discours commémoratifs présidentiels se sont égrainés tout au long du mois de février. On en peut plus du verbe d’Emmanuel Macron, s’en rend-t-il seulement compte ?

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Trois discours commémoratifs présidentiels se sont égrainés tout au long du mois de février, le 7, aux Invalides, en mémoire des quarante-deux Français assassinés le 7 octobre 2023 lors du meurtre de masse perpétré par le Hamas ; le 14, place Vendôme, en mémoire de Robert Badinter ; le 21 au Panthéon en mémoire de Missak Manouchian et des Résistants de l’Affiche rouge. Mêmes poses apprêtées, mêmes formules travaillées, mêmes intonations rythmées, mêmes pompes compassionnelles au nom de la République, qui effacent les réalités et les spécificités humaines de chaque situation derrière le verbe jupitérien de notre président de la République. On en peut plus du verbe d’Emmanuel Macron, s’en rend-t-il seulement compte ?

A propos de Robert Badinter, Il a eu cette formule paresseuse : « À la barre, lui qui aimait le théâtre ne jouait pas un rôle ». En fait c’est lui, dont on nous a rebattu les oreilles sur son amour du théâtre, qui, en ce pluvieux mois d’hiver, planté raide derrière ses pupitres mémoriels, a joué un rôle. Et s’il semble aimer ça, c’est parce qu’il prétend incarner la France alors qu’il a simplement oublié qu’il représente la Nation et qu’il tient d’abord une fonction, celle de chef de l’Etat qui assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Cette prétention à incarner la France, il la tient de sa lecture de notre Constitution dont Maurice Duverger disait qu’elle était une « monarchie républicaine[1] », mais elle vient aussi de son appétence pour notre roman national dont il reprend sans gêne les clichés les plus usés : Orléans, le Mont-Saint-Michel, le Puy du Fou et Notre-Dame de Paris qui circonscrivent son territoire mental historique. En mai 1981, une fois élu, Mitterrand, avait pris la pose devant les caveaux de Jean Jaurès, Jean Moulin et Victor Schœlcher au Panthéon et avait descendu la rue Soufflot vers le boulevard Saint Michel. Malgré ses propres ambiguïtés, il voulait incarner une certaine continuité historique de la France, celle du projet libérateur porté par le peuple français, de la Révolution à mai 68. Le soir du 7 mai 2017, Emmanuel Macron sortant du noir de la cour du Louvre pour se planter dos à la pyramide aux sons de l’hymne à la joie, traversant symboliquement la Monarchie, l’Empire, la République et le projet européen, voulait montrer qu’il incarnerait la France ; rien que ça. Il nous a servi cette obsession à plusieurs reprises : en novembre 2018 à l’occasion de la commémoration de l’armistice de 1918 avec son itinérance mémorielle et à Besançon, le 26 mars 2020, devant une tente couleur kaki d’un hôpital militaire de campagne, quand « nous sommes entrés en guerre » contre la COVID. A force de surjouer l’incarnation de la France, d’acteur amateur qui veut opiniâtrement s’approprier son rôle, il est devenu un cabotin.

« C'est toujours le présent qui se célèbre lui-même en consacrant tel ou tel fantôme tutélaire » écrivait Régis Debray dans une tribune du Monde en 2013 pour soutenir la candidature de Josephine Baker au Panthéon. Quel présent a été célébré le 21 février avec la panthéonisation de Missak Manouchian et de ses vingt-deux compagnons ? Ce n’est certainement pas l’horizon internationaliste de leur République sociale émancipatrice, fille de 1789, 1793, 1848 et de la Commune. Le décret-loi du 12 novembre 1938 du gouvernement Daladier, mêlant police des étrangers et restriction sur la nationalité, tout comme la loi du 26 janvier 2024 contre l’immigration, empêcha à deux reprises le poète Manouchian d’obtenir la nationalité française, lui qui a finalement a versé son sang étranger sur le sol français. Le 21 février, ce n’est donc pas la France chantée par le communiste Jean Ferrat, qui avait « cet air de liberté au-delà des frontières et qui donnait aux peuples étrangers le vertige, celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille », qui a été commémorée. Ce soir-là, Emmanuel Macron en a usurpé le prestige.

Le 21 février, pour scander son texte en mémoire de Manouchian, Emmanuel Macron s’est servi en anaphore d’un vers d’Aragon « Est-ce donc ainsi que les hommes vivent ? » chanté par Léo Ferré et tiré du poème « Bierstube[2] Magie allemande » dans le recueil Le Roman inachevé, de 1956. Ce poème évoque les bordels en Allemagne que le poète fréquentait régulièrement en attendant sa démobilisation en 1919. Il y dit : « Tout est affaire de décor, changer de lit changer de corps, à quoi bon puisque c’est encore moi qui moi-même me trahis. ». Avec Emmanuel Macron, tout est affaire de décor de théâtre, il se sert d’un texte comme Aragon se servait des corps des prostituées, il change de registre, il change de discours, à quoi bon puisque c’est encore lui qui lui-même trahit les textes qu’il déclame. Pour finir, donnons la parole au poète Manouchian. Dans le poème « Le miroir et moi », titre qui nous interpelle tous, le président Macron en tête, il écrit : « Le temps ? Qu'importe ce blanc qu'il pose sur les cheveux, mon âme comme un fleuve est riche de nouveaux courants. ». Le puissant courant internationaliste émancipateur porté par ces étrangers qui rejoignirent la France, garde toujours cet air de nouveauté, puisse-t-il participer du renouveau des « Jours heureux » du programme du Conseil National de la Résistance du 15 mars 1944, annonçant la sécurité sociale, le contrôle collectif sur les biens communs et le renouveau syndical contre nos passions tristes actuelles faites de xénophobie, de repli identitaire, de déni climatique, de régression sociale et de course aux profits.

[1] Maurice Duverger. La monarchie républicaine. Robert Laffont. 1974. 

[2] Brasserie

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