Dans l’une de ses rares[1] interview Mahmoud Zahar, cofondateur du Hamas, déclare à la chaine britannique Sky News qu’Israël n’a pas le droit à l’existence et que la stratégie du groupe terroriste était de cibler les centres de population israéliens ». Tel est le résumé produit par la communication israélienne[2]. En fait le contenu de l’interview va bien au-delà. Un autre titre aurait pu être : Mahmoud Zahar : « La paix c’est la justice. Nous sommes prêts à discuter avec Mr Biden ».
Voix off : « Mahmoud Zahar est de retour à sa maison de Gaza après deux semaines. Le membre fondateur du Hamas est une cible[3] pour Israël ».
Journaliste : D’abord pouvez-vous nous dire l’état du cessez-le-feu. Au bout de deux jours, il a l’air de tenir?
MZ : Le point le plus important est le degré d’impact des deux côtés. Je pense que personne et des deux côtés, ne recherche davantage l’escalade. Et je pense donc que le cessez-le-feu va continuer.
Voix off : 11 jours de conflit entre Israël et le Hamas ont causé la mort de 260 personnes, la plupart à Gaza. Et le Dr Zahar dit que le Hamas a remporté une victoire stratégique et symbolique.
MZ : Le fait nouveau ici est la capacité de la résistance, particulièrement à Gaza, à atteindre les cibles israéliennes incluant les zones les plus peuplées dans la société civile. Donc combien de temps les Israéliens vont-ils accepter cela, je pense que c’est le principal enjeu.[4]
J : Vous envoyez des roquettes et des missiles depuis des zones civiles de Gaza vers des zones civiles israéliennes. Ce n’est pas acceptable. Ce sont des crimes de guerre. [5]
MZ : Aucune roquette n’est partie d’une maison habitée par des civils, et la plupart sont parties de la frontière.
J : Ce n’est pas vrai. Nous avons vu des vidéos de roquettes tirées depuis des zones construites de la ville de Gaza en direction de la communauté israélienne.[6]
MZ : Ce n’est pas une guerre contre la communauté israélienne mais contre l’occupation israélienne, contre l’agression israélienne.
J : Vous êtes responsable en partie des conditions de vie ici, par ce que vous, Hamas, dépensez votre argent en armes, en tunnels, en combattants. Vous ne dépensez pas votre argent ici en faveur de la population civile[7].
MZ : Donnez-moi un seul exemple de pays dans le monde qui n’a pas de ministère des armées pour se défendre ? Nous nous protégeons ici nous mêmes contre une agression, contre l’agression israélienne.
J : Israël a-t-il le droit d’exister ?
MZ : Non, pourquoi[8] ? Vous venez d’Amérique et vous prenez possession de ma maison, vous venez de Grande Bretagne et vous prenez celle de mon frère. Ce que vous prenez est une colonie, vous n’êtes pas citoyen. Nous sommes les propriétaires reconnus de cette terre arabe, reconnue comme une terre d’islam.
J : Vous me dites maintenant que la solution à deux Etats n’est pas possible ?
MZ : En pratique la preuve en a été établie. Ce n’est pas une constatation personnelle.
J : C’est le point crucial, c’est très important. Si dans le futur le gouvernement israélien accepte...
Interrompu :
MZ : Je ne réponds pas aux « si », je ne réponds pas à « si ». Je réponds en pratique. En pratique, l’Autorité Palestinienne, le groupe du Fatah, a accepté la « solution à deux Etats » ; allez alors voir Mahmoud Abbas : « Pensez-vous aujourd’hui que la solution à deux Etats est viable ou pas » ? Il vous dira non. Si cette question a déjà une réponse, pourquoi me la posez-vous ?
J : Vous êtes membre fondateur du Hamas. Si le Hamas est capable de venir à la table de négociations avec Israël dans le futur, le bain de sang s’arrêtera ?
MZ : Nous tournons en rond. Des gens sont allés et se sont assis à une table, ils ont signé un accord, etc. et ce fut un échec. Et aujourd’hui vous me demandez d’entamer un processus qui a échoué ?
J : Je veux seulement comprendre si vous, en tant que Palestinien souhaitez partager la terre avec les juifs israéliens ? Deux Etats, une terre.
MZ : Nous ne sommes pas contre les juifs, parce que les juifs vivaient ici depuis longtemps. Je parle de l’occupation.
J : Si le président Biden souhaite s’entretenir avec vous, avec le Hamas, lui parlerez-vous ?
MZ : Pourquoi pas ? Mr Biden soutient Israël, mais je pense que nous avons une mission en tant que Palestiniens qui est de lui parler avec franchise.
J : Comment définissez-vous le mot « paix » ?
MZ : Paix signifie Justice
[1] En réalité MZ ne refuse aucune interview, et certainement pas provenant de l’autre camp. Sa maison est ouverte à tous les journalistes quels qu’ils soient, et quelque soient les risques de coupures au montage.
[2] https://www.timesofisrael.com/hamas-co-founder-to-uk-tv-israel-has-no-right-to-exist/
[3] MZ a passé des années en prison, a été déporté un an au Sud Liban en 1992, a fait l’objet de multiples tentatives d’assassinat au cours desquels sa femme a été blessée, deux de ses fils et un gendre ont été tués.
[4] MZ fait bien sûr allusion à l’effet psychologique sur la population israélienne.
[5] Le Hamas est à l’origine de la plupart des plaintes pour crimes de guerre déposées auprès de la Cour pénale internationale depuis 2009. Il est conscient d’avoir perpétré dans certaines circonstances des actes pouvant être qualifiés de crimes de guerre. Il est toutefois confiant envers le Statut de Rome qui fait une claire distinction entre l’agresseur et l’agressé, la proportionnalité des moyens militaires utilisés, et prévoit même des conditions d’exonération (article 31 du Statut de Rome).
[6] La densité humaine de la Bande Gaza est de 50 000 personnes par km2. L’urbanisation est celle d’une ville quasiment continue. De toute façon si des tirs ont eu lieu à partir de maisons d’habitation ce sera à l’enquête ouverte à La CPI de l’établir.
[7] Cureuse affirmation. Le Hamas gère depuis 14 ans, entre autres, la santé, l’éducation de 2 millions d’habitants sous siège. Et il réclame à cor et à cri des élections, quitte à les perdre. L’occasion pour la population, inscrite à 93% sur les listes électorales, de donner son avis.
[8] Depuis sa fondation en 1987, le Hamas ne reconnait pas un Etat israélien. Dans sa charte réécrite en 2017, il déclare qu’il accepterait un Etat regroupant la Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza, assorti d’une trêve de longue durée (10 ans voire davantage). Certains y ont vu, à tort, une « reconnaissance implicite d’Israël ». La position de MZ aujourd’hui n’est pas différente. Le Hamas est partisan d’une démocratie libérale à référence musulmane analogue à celle existe dans certains pays comme… le Sénégal.