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Billet de blog 9 avril 2018

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Évacuation de la ZAD à Notre-Dame des Landes : peur et haine du collectif

Quelle que soit la façon dont on essaie d'analyser le débarquement armé à Notre-Dame des Landes ce matin, il est impossible d'y trouver un intérêt, que celui-ci concerne le lieu, les citoyens, ou même la moralité.

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Aberration chronologique

L'annonce de l'abandon du projet d'aéroport à notre-Dame des Landes date du 17 janvier 2018. Avant cette date, il était évidemment impossible à quiconque de prévoir un projet d'installation légale et pérenne, qu'il soit agricole, artisanal ou autre : il était impossible de prévoir une date de début de cette installation. De façon tout aussi évidente, il était impossible de se lancer dans une activité agricole ou artisanale "à temps plein" : une large part du temps et de l'attention devait être consacrée à la lutte contre le projet d'aéroport. Ces choses-là sont comme les EPR : quand la pression citoyenne faiblit, leur construction avance, et notre planète se meurt.

Ainsi, ce sont moins de trois mois qui ont été laissés aux habitants de la ZAD pour passer d'une forme d'illégalité à une forme de légalité (on va y revenir). Pendant ce temps, des contraintes inutiles apparaissent. Le pouvoir comme les médias se crispent sur les abords d'une route départementale, qui dans tous les cas nécessite un bon mois de travaux pour être remise en état après douze années sans entretien. L'État exige que tous les projets soient individuels, alors même que les coopératives existent depuis longtemps (et que presque toutes ont été dévoyées) et que les GAEC comme les AMAP sont des formes d'organisations collectives de l'agriculture qui sont reconnues et efficaces. Par nature, les activités agricoles sont des activités de long terme (il faut labourer, semer, récolter, bien longtemps avant de vendre). Les trois mois exigés ne sont un délai tenable pour aucune installation d'un nouveau paysan, que ce soit par la légalisation d'une activité créée sur la ZAD ou l'arrivée d'un nouvel habitant. Ce délai n'est tenable que pour l'agrandissement d'une ferme proche de la ZAD : faire grossir des fermes déjà riches en hectares et pauvres en travail. C'est l'avenir dont rêve la FNSEA, mais le cauchemar de tous les autres.

Aberration environnementale

La ZAD est une terre pauvre, humide, et plate. C'est pour cela qu'elle était peu exploitée dans les années 60, et qu'il était donc possible d'y prévoir un grand chantier sans bouger trop d'habitants, ni payer trop cher les terres. Elle est toujours aussi peu productive, et on a découvert que ses attributs humide et plate avaient un autre effet que "plate : pratique pour faire une piste d'aviation" et "humide : il faudra plus de béton pour stabiliser la piste". Elle régule le système hydrique du nord de la Loire, et sert d'éponge pour lisser l'arrivée de l'eau dans la métropole nantaise. Ces 50 années de préservation ont conduit à en faire un refuge de la biodiversité ligérienne, et à limiter les inondations dans le nord de la ville de Nantes.

Pour le bien de toute la région, il faut préserver son rôle dans le cycle de l'eau et éviter tant son bétonnage que son passage à une agriculture intensive. Son avenir est donc d'être une zone écologique préservée. Comme pour Grandlieu, elle devrait devenir une zone Natura 2000. Le règlement de cette zone devrait pérenniser les quelques hectares "non-motorisés", laboratoire social et écologique.

Là, pour préparer les futurs "projets agricoles", l'État incendie des habitations et gorge le sol de lacrymo.

Aberration juridique

C'est le 9 février 2018 que s'est éteinte la déclaration d'utilité publique pour l'aéroport de Notre-Dame des Landes. Le consortium AGO est propriétaire des terres, mais n'en a aucun usage. Son rôle n'est ni d'être exploitant agricole, ni d'être loueur de terres agricoles. AGO est une composante de Vinci, lequel a tout à gagner (et à faire perdre à l'intérêt général) à garder ces terres sous sa coulpe :

  • la faille principale du dossier NDDL étaient les lois sur l'eau et la biodiversité : Vinci a été incapable de trouver des compensations à l'écosystème qu'il voulait détruire.
  • en laissant Vinci propriétaire des terres, il dispose de terrains agricoles modérément mécanisés en grand nombre, à proximité d'une zone humide riche en biodiversité. Convertir ces terrains en refuges est possible, et formerait un ensemble cohérent
  • Vinci pourra donc aisément se lancer dans des grands travaux de bétonnage dans en Loire-Atlantique, Morbihan et Ille-et-Vilaine en utilisant ses hectares des NDDL rendus à la nature comme compensations.

Il y a donc actuellement un propriétaire illégitime (Vinci) qui devrait régulariser sa situation : il doit revendre les terrains à un acteur légitime. Ce peut être le département, ou d'autres collectivités territoriales. Dans tous les cas, cette ou ces collectivités doivent budgéter ce rachat. Si tout se passe vite, cela peut se faire en juin... 2019. Il est aberrant de demander aux occupants de régulariser leur situation avant cela : ils n'ont pas de propriétaire pérenne et légitime avec qui procéder à cette régularisation. Les huissiers qui voudraient se rendre garants d'une expulsion dans un tel contexte ont tout intérêt à prévoir un grand budget en frais de justice : les recours risquent d'être nombreux et bien étayés.

En tenant compte de cette temporalité, il y a très largement le temps de créer une structure collective de gestion d'une partie des terres, d'organiser la reprise d'une partie des terres vendues par les rares anciens propriétaires qui voudraient revenir (pas forcément sur exactement les mêmes parcelles) et des nouveaux baux pour ceux qui ont exploité en toute légalité des parcelles louées à Vinci.

Aberration sociale

Actuellement, il y a quelques centaines d'habitants sur la ZAD. Une partie d'entre eux vit sur des terres propriétés de Vinci, d'autres sur des terres que les propriétaires n'ont pas voulu vendre. Tous, loin de là, ne sont donc pas expulsables en respectant la parole donnée par le gouvernement.

Partout, les occupants ont créé de l'habitat nouveau. Ces lieux de vie ne sont pas toujours aux normes... et c'est peut-être là que se retrouvent les zadistes et les macronistes : avec la loi ELAN, le gouvernement veut assouplir la définition de ce qui est habitable. Les travaux à mener pour rendre officielles les habitations construites ces dix dernières années seront plus légers. C'est en phase avec l'autorisation d'avoir une yourte ou une roulotte comme habitation principale, et le tourisme moderne qui se construit autour de ces habitats atypiques.

L'agglomération nantaise est-elle si pourvue de logements vides et salubres qu'elle veuille accueillir des centaines de jeunes désargentés ?

Les manifestations dans tout le pays sont-elles si calmes et vides que le gouvernement veuille y ajouter des milliers d'écologistes revendicatifs, en plus de radicaliser ceux qui y participaient déjà ?

Aberration morale

Nombre des occupants de la ZAD y ont construit des projets de vie, qui n'ont aucune raison de s'arrêter avec la fin du projet d'aéroport. En d'autres temps, des urbains utopistes sont devenus néo-ruraux. On se souvient fortement du Larzac, évidemment, puisqu'il a fallu une lutte pour faire vivre l'utopie. De telles installations font revivre l'ouest de l'Ariège depuis les années 1970. Ils sont nombreux en centre-Bretagne ou dans le Massif Central. Ce mouvement n'est pas nouveau : au début du XXème siècle, des communautés paysannes et artistiques néorurales et libertaires ont accueilli des centaines de personnes et des milliers de soutiens.

Certains ont consacré une partie de leur vie à défendre ces terres, par leur présence permanente. Ils n'ont sans doute pas l'envie de devenir de purs habitants de cette zone, et auront goût à construire d'autres choses, dans d'autres lieux, et à défendre des zones menacées plutôt qu'à faire vivre une zone sauvée. Ils partiront sûrement d'eux-mêmes, mais se sentiraient sûrement être des traîtres s'ils partaient avant que ne soit validée une convention de gestion collective des terres avec l'État.

Et en face ? Dans quelle situation morale sont les forces de l'ordre ? Depuis dix ans, l'État les utilise pour traquer les migrants et oppresser les manifestants. Depuis dix ans, ceux qui entrent dans ces forces savent quels sera leur rôle, et y entrent malgré tout. Les conséquences de cette évolution dans les missions confiées aux policiers et aux gendarmes n'avait qu'une issue possible : une dérive fascisante. Comme l'écrit fort bien Médiapart, les services de renseignement s’inquiètent de la proportion grandissante de membres des forces de sécurité ayant rejoint des groupuscules d’autodéfense. Parmi les « objectifs de la DGSI » suivis pour leurs liens avec « l’extrême droite violente », on recense une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires. Au lieu d'attiser les braises de cette violence d'extrême droite qui couve dans nos forces de sécurité, Gérard Collomb devrait se concentrer sur sa mission, qui est de garder la paix, et de réconcilier la population avec la police comme la police avec la population. Envoyer 2500 hommes armés et armurés accompagnés de blindés contre 200 jeunes militants écologistes ne peut qu'avoir l'effet inverse.

En septembre 2017, les CRS s'étaient placés en arrêt maladie pour protester contre la baisse d'une de leurs primes. Les forces de l'ordre impliquées dans l'opération immorale actuelle à Notre-Dame des Landes n'ont pas ressenti le besoin d'user du même procédé contre leur utilisation dans une opération aberrante. C'est - malheureusement - un indicateur de leur état d'esprit. La rencontre entre les blindés et la bibliothèque du Taslu risque d'être pleine de sens...

Si le fait d'être en cours de régularisation dans une situation juridique complexe suffit à subir l'invasion des blindés de la gendarmerie au milieu de la nuit, ce n'est pas à Notre-Dame des Landes qu'il faut frapper. Un acteur économique célèbre a procédé à un montage juridico-financier opaque et illégal pour détourner 13 milliards des impôts qu'il aurait dû payé. Cela fait bien plus de trois mois qu'Apple n'a pas payé son amende : dix-neuf mois depuis la décision de la commission européenne. Pourquoi nos agents des forces de l'ordre n'ont-ils pas passé la dernière année à occuper les Apple Store ? Pourquoi ne peuvent-ils pas attendre seize mois de plus pour agir à Notre-Dame ?

Aberration économique

La zone de l'aéroport fait certes 1600ha. C'est grand. Mais sur ces hectares, certains sont exploités par des métayers de Vinci, et leurs terres ne sont guère vouées à rejoindre un projet collectif. Certains sont boisés, et n'ont pas besoin d'un autre exploitant qu'une commune. Certains sont occupés par des paysans déjà installés avant 2008, et qui ont vocation à y rester ; c'est même reconnu par le gouvernement.

Les autres terrains occupés n'occupent qu'une faible partie de la zone, sans doute entre 100 et 300ha. Certains ont une utilisation agricole, surtout du maraîchage, et un peu de céréales ou de pâturage. D'autres sont artisanaux - boulangerie, brasserie - ou culturels, comme la bibliothèque. Ceux-là ne prennent pas de place.

Les terrains agricoles au nord de Nantes sont si pauvres que l'Agreste reconnaît qu'ils sont parmi les moins chers de la région. Environ 2000€ l'hectare. S'il faut racheter 200ha actuellement squattés, cela coûterait 400.000€. Quand il y a une manifestation de 40.000 personnes sur la ZAD, chacun a contribué à payer bien plus que cela en transport et pique-nique ! Et s'il fallait y ajouter les 500ha de terrain utilisés par leurs propriétaires historiques, cela resterait une souscription facile à mettre en œuvre !

L'autre valeur qu'il convient d'observer, c'est le coût des expulsions, bien plus élevé que celui de la régularisation. 2500 policiers et gendarmes, leur matériel blindé, et une quantité impressionnante de munitions pendant une semaine, ça va facilement faire 5 millions d'euros... (une grosse journée de l'opération César a coûté 500.000€ ; elle comportait moins d'hommes, mais César a duré 11 jours plutôt que 7).

De plus, au lieu de faire payer le coût par les militants qui soutiennent la ZAD un peu partout en France, c'est l'État qui paye, donc l'ensemble des contribuables.

Éloge de l'égoïsme et de la violence

Il n'y a pas de raison prononçable à vouloir expulser les occupants actuels au profit des gros exploitants agricoles locaux et des projets de Vinci en général. L'État de droit, dans cette affaire, n'est qu'un rideau de fumée. Il n'y a aucune raison d'agir sur les personnes physiques alors que la situation des personnes morales impliquées est tout sauf claire, et tout sauf stable.

Il y a un motif idéologique : les occupants à Notre-Dame des Landes construisent un projet collectif durable, et seuls les actions individuelles de court-terme sont les bienvenues dans la start-up nation.

Il y a un projet de société : faire peur aux contestataires, à tous ceux qui voudraient construire des éléments d'un monde meilleur. Le message du gouvernement est : "Quoi que vous bâtissiez, nous tenons une armée prête à agir contre les citoyens, et nous n'hésiterons pas à l'utiliser pour détruire ce que vous construisez, même, et surtout, si cela ne nuit à personne". Le violence crée plus de peur dans la population quand elle est utilisée contre des innocents désarmés que contre d'authentiques dangers pour la collectivité.

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