Mark Fortier, Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion, Lux, 2025
Le sociologue québécois Mark Fortier n’a pas l’âme d’un guerrier. Alors, face à la montée de l’extrême-droite et à la « déroute de la démocratie sociale et libérale », il a fait son choix : il a décidé de se peindre en brun pour se « fondre dans le décor ». « Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion » est son dernier livre.
Normalement, lui, l’intellectuel de gauche, progressiste et démocrate, aurait dû résister à l’air nauséabond de notre temps, puisqu’il incarne tout ce que la droite radicale déteste. Mais comme beaucoup d’autres, et notamment les élites économiques jusqu’alors acquises au libéralisme, il a choisi, comme Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et tant d’autres, de s’adapter.

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L’hégémonie culturelle de la gauche : c’est donc fini ! L’endoctrinement des enfants à l’école, c’est terminé: il faut purger1 les bibliothèques des lectures indécentes, offensantes, voire culpabilisantes, de tout ce qui sent le « woke ». L’autodafé se passera de bûcher. Il faut maître au pas les universités. Il faut purger l’art également de ces accents frivoles, nihilistes, transgressifs qui polluèrent la cérémonie d’ouverture des derniers JO. Pourtant, qu’y a-t-il de plus transgressif que de confier des missions fondamentales à des hurluberlus, des sociopathes ou des abrutis ? La nouvelle équipe de Trump « a des airs de cabinet de curiosités » nous dit Fortier, où idiotie, insultes, fake news servent lieu de discours2. Il faut « noyer les médias dans la merde », soutient Steve Bannon pour en finir avec la démocratie et semer la confusion dans les esprits ; il faut avilir le langage, le réduire à quelques mots qu’on va répéter à satiété : les discours de Trump sont ainsi « faciles à comprendre mais pratiquement impossibles à traduire » ; quant au verbiage techno-bureaucratique, avec ses boursoufflures stylistiques et ses circonlocutions, son jargon peuplé de mots-valise, il participe également à rendre la réalité indéchiffrable.
Mark Fortier écrit : « Produit par des ploutocrates de droite, ce cirque offre une élite démocratique affaiblie en pâture à la colère du peuple ». Mais cette élite mérite-t-elle d’être défendue ? N’est-ce pas elle qui a transformé la politique « en une lutte non pour le changement de la société, mais pour le changement de soi-même » ? N’est-ce pas elle qui a mis au rencard la défense de l’égalité et fait parallèlement l’éloge de la diversité ? Que peut-on attendre d’eux ? Pour l’auteur, ces « patriciens du 21e siècle, prudents et modérés, feront ce qu’ils font de mieux : rien. »
Malgré tout cela, Mark Fortier n’est pas devenu fasciste. Sa thérapie de conversion fut un flop : la greffe n’a pas pris. Il a décidé d’être optimiste, confiant dans la capacité d’une majorité d’êtres humains à faire le choix de l’empathie, de la solidarité et de l’altruisme. Après tout, comme lui a enseigné sa mère, « la méchanceté des hommes n’a rien de définitif. »
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1Précisons que Mark Fortier « ne trouve pas les purges plus acceptables parce que ce sont (ses) semblables [les progressistes] qui tiennent le rôle de l’inquisiteur ». Il critique ici certaines actions de militants de gauche sur les campus américains dont la droite radicale a su faire son miel en son temps. Alain Deneault aborde également cette question dans Moeurs. De la gauche cannibale à la droite vandale (Lux, 2022).
2Francis Dupuis-Déri, Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Lux, 2022.