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Billet de blog 5 novembre 2025

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"Un bon Indien est un Indien mort"

« Un bon Indien est un Indien mort » ; « Tuer l’Indien pour sauver l’homme ». Ces deux sentences parcourent le livre de Joëlle Rostkowsk. Encore faut-il que l’on s’entende : la mort peut être tout autant physique que culturelle et spirituelle. Un bon Indien est donc un Indien mort ou un Indien qui a cessé culturellement de l’être.

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Joëlle Rostkowski, Vainqueurs et invaincus. La « question indienne » de Washington à Trump, CNRS Editions, 2025

« Un bon Indien est un Indien mort » ; « Tuer l’Indien pour sauver l’homme ». Ces deux sentences parcourent le livre de Joëlle Rostkowski, Vainqueurs et invaincus. La « Question indienne » de Washington à Trump. Encore faut-il que l’on s’entende : la mort peut être tout autant physique que culturelle et spirituelle. Un bon Indien est donc un Indien mort ou un Indien qui a cessé culturellement de l’être.

Illustration 1

En 400 pages, l’ethnohistorienne Joëlle Rostkowski balaie trois siècles d’histoire américaine durant lesquels, au gré des circonstances, la question indienne occupa une place importante dans la construction de la jeune nation. On suit donc la politique indienne des différents présidents, et l’autrice souligne « l’importance des convictions personnelles profondes » de ces derniers dans le déploiement des dites politiques.

Jusqu’à la fin du 19e siècle, les « dévoreurs de terre » à la langue fourchue s’employèrent à réduire la puissance des tribus, à civiliser et christianiser les sauvages. Ils le firent avec brutalité, cruauté et malice, jouant sur les rivalités inter-indiennes. Le but recherché était simple : libérer des terres pour la colonisation, car la terre doit servir, autrement dit rapporter ; pourquoi laisser des terres à des Indiens qui nomadisent et ne les utilisent pas alors que des flots de migrants en quête du bonheur débarque chaque jour en Terre promise ? Le but de chacun n’est-il pas de devenir un fermier laborieux et sédentaire, éduqué et bon chrétien ?

Alors on vole, on multiplie les massacres de masse, on spolie, on corrompt, on affame et on signe des traités qu’on dénoncera à la première occasion ; les Indiens résistent comme ils le peuvent, mais ils sont très vite débordés et souffrent d’un mal qu’on appelle le respect de la parole donnée. Le rêve américain s’est bâti sur des monceaux de cadavres...

En 1890, la conquête de l’Ouest est terminée et on compte moins de 250 000 Indiens, pour l’essentiel parqués dans des réserves, sur tout le territoire états-unien. Vient le temps de la folklorisation des cultures indiennes. Le sauvage d’hier, massacreur de femmes et d’enfants, mécréant et idolâtre, devient un guerrier fier et ombrageux. Geronimo, l’incarnation du mal, devient une attraction populaire…

L’Indien a cessé d’être un problème d’ordre militaire pour le suprémacisme blanc. Il est dorénavant un problème politique et social1. Les gouvernement successifs s’efforcent donc de gérer les affaires indiennes en favorisant l’émergence de leaders pragmatiques qui ont fait leurs les valeurs américaines. Dans le bouillonnement culturel des années 1960 et 1970, ces leaders furent remis en cause par une jeunesse radicale dont les coups de force ont fait de la question indienne une question d’actualité2. Le Red power s’en prenait au mépris social et au génocide culturel dont les différentes nations étaient victimes.

Aujourd’hui, alors que les cultures indiennes sont reconnues, discutées, valorisées, les Indiens demeurent l’une des figures de la grande pauvreté états-unienne, avec tous ses stigmates : violence, obésité, alcoolisme, dépression. Cependant, l’autrice les croît mieux armés qu’hier pour résister par exemple à un Trump si d’aventure ce dernier se mettait à vouloir renégocier la gestion du sous-sol des réserves indiennes qui regorgent d’uranium, de pétrole ou de gaz. Encore faut-il que les Indiens se souviennent de ces mots de Sitting Bull : « Nous sommes comme les doigts d’une main. Individuellement, il est facile de nous briser mais ensemble nous formons un poing puissant. »

[version audio disponible]

1 Stan Steiner, La Raza. La révolte des Indiens du sud des Etats-Unis, Maspero, 1971 ; Ertel, Fabre, Marienstras, En marge. Les minorités aux Etats-Unis, Maspero, 1971.

2 Klee Benally en fut l’une des dernières incarnations. Lire son livre Pas de capitulation spirituelle. Anarchie autochtone en défense du sacré, Tumult, 2024.

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