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Historien (de formation), lecteur pathologique, militant (sans Dieu ni maître), chroniqueur pour AlterNantes FM, et accessoirement vieux punk

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Billet de blog 5 décembre 2024

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Histoire sociale de la folie

Que faire des fous ? De ces fous qui dérangent l’ordre social ? Que faire de ces fous « inutiles au monde », qui dérangent l’ordre social et altèrent le capital réputationnel de leur famille ? 

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Anatole Le Bras, Aliénés. Une histoire sociale de la folie au 19e siècle, CNRS Editions, 2024.


Que faire des fous ? Telle est la question au coeur du livre passionnant d’Anatole Le Bras, Aliénés. Une histoire sociale de la folie au 19e siècle.


Que faire donc des fous? De ces fous qui dérangent l’ordre social et altèrent le capital réputationnel de leur famille ?

Que faire de ces fous, agressifs ou pyromanes, sexuellement détraqués, dangereux pour les autres et eux-mêmes ? Que faire de ces fous « inutiles au monde », qui coûtent et ne rapportent rien ? Faut-il les laisser vivre dans leurs familles, parfois dans des conditions innommables, notamment dans les campagnes1, ou bien intervenir fermement pour les en extirper et les confier aux bons soins d’une médecine alors en plein développement ?

Illustration 1


En juin 1838, une loi oblige les départements à se doter d’un asile2 pour aliénés. Le but est double : protéger la collectivité et soigner les malheureux. La loi est censée ne concerner que les aliénés dangereux, mais bien vite, se pose une question : qu’est-ce qu’un fou ?

Car se mêlent dans ces asiles, épileptiques et vieillards, veuves abandonnées par leur progéniture, alcooliques et suicidaires, déviants et vagabonds, dégénérés et indigents, sans oublier les dépressifs, les débauchés et les mystiques des deux sexes. Anatole Le Bras pointe « l’immense diversité des comportements susceptibles de se muer en symptômes » mais aussi le rôle joué par un grand nombre d’acteurs dans la montée en flèche du nombre d’internés dans la seconde moitié du 19e siècle : « est aliéné celui que les familles, le voisinage, les autorités locales, la police ou la gendarmerie considèrent comme tel ».

Faut-il alors s’étonner que les aliénés ne soient pas sans-voix. Ils écrivent, se plaignent, s’indignent, affrontent la toute-puissance du monde médical qui les prive de leur liberté, de leur citoyenneté et de la gestion de leurs affaires ; parallèlement, des aliénistes commencent également à porter un regard critique sur le monde asilaire.

Dans ces asiles, on y entre et on y meurt souvent, seul, parce que les médecins défendent l’isolement thérapeutique qui coupe radicalement le malade d’un milieu qu’on pressent pathogène, et parce que les familles trouvent dans l’enfermement d’un des leurs une façon de se débarrasser d’une bouche inutile ou l’opportunité de mettre la main sur son patrimoine ; à l’inverse, d’autres familles se battent pour sortir de l’asile leur interné, indispensable au maintien de leur niveau de vie.

Car on en sort, parfois, et pas forcément « guéri ». Si le patient a fait l’objet d’un « placement volontaire » (la plupart du temps initié par la famille), il a plus de chances de recouvrer la liberté que s’il a subi, et c’est le cas de la plupart, un « placement d’office », à la demande du préfet voire du maire.

L’enjeu est financier : dans le premier cas, la famille doit supporter le coût de l’internement alors que dans le second, c’est le département et la commune qui sont mis à contribution. Les autorités elles-mêmes ont intérêt à désengorger les asiles, à en sortir les indigents valides, ces infâmes profiteurs : c’est pourquoi le « niveau de vie carcéral doit toujours être inférieur à celui de l’ouvrier le plus pauvre de la société » ! Ne l’oublions pas : tous les fous ne se valent pas. Le « mode de traitement en apparence uniforme » des aliénés ne doit pas tromper : le monde asilaire publique est et demeure essentiellement un monde de pauvres fous mis au ban de la société...
Notes


1. L’auteur s’est focalisé sur les asiles du Finistère, département rural marqué par un très fort alcoolisme.
2. Il peut être public ou bien privé, via une convention avec un établissement privé.

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