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Billet de blog 8 mai 2025

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Floreska Guépin et les chemins de l'émancipation féminine

Ange Guépin était une personnalité de premier plan de la France du 19e siècle. Floreska fut sa troisième épouse ou, plutôt, pour reprendre ses mots, son associée. Et quelle associée ! Il n’est guère étonnant que cette union ait fait jaser la bonne et très pieuse société nantaise qui toujours se tînt à distance de ce couple atypique et dérangeant...

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Michel Aussel et Myriam Dufour-Maître, Floreska Guépin (1813-1889). Combats pour la liberté et l’instruction, Presses universitaires de Rennes, 2025.

C’est un beau portrait de femme qui nous est offert par Michel Aussel et Myriam Dufour-Maître avec Floreska Guépin (1813-1889). Combats pour la liberté et l’instruction publié par les PUR.

Guépin : le nom est connu, notamment des Nantais. Ange, de son prénom, fut en effet une personnalité de premier plan dans la France du 19e siècle. Médecin de profession, républicain et anticlérical de conviction, intéressé par la « question sociale », Ange paya de prison, d’exil et d’ostracisme la radicalité de ses engagements politiques et sociaux1. Floreska fut sa troisième épouse ou, plutôt, pour reprendre le mot d’Angé Guépin lui-même, son associée. Et quelle associée ! Il n’est guère étonnant que cette union ait fait jaser la bonne et très pieuse société nantaise qui toujours se tînt à distance de ce couple atypique et dérangeant.

Illustration 1

Ange Guépin a 50 ans et Floreska, dix de moins. Il n’épouse pas en troisième noce une jeune fille de la bourgeoisie mais une femme d’âge mûr, indépendante d’esprit, aux convictions fortes, mais dont on sait finalement assez peu de choses, sinon qu’elle est née dans la Marne en 1813, dans une famille qui n’appartient pas à l’élite sociale locale. Adolescente, elle a fait un long séjour en Angleterre au cours duquel elle s’est convertie au protestantisme, à l’idéal démocratique et au féminisme. Et à Paris, Floreska la bilingue a créé et tenu pendant plus d’une décennie une institution éducative destinée aux jeunes filles de bonne famille, notamment de jeunes Anglophones vivant à Paris. Ange a donc épousé une travailleuse et non une rentière.

« Je préfère les femmes qui savent se faire aimer en nous inspirant la plus profonde estime à celles qui nous condamnent à l’admiration » écrit Ange à sa future épouse. Il est sous le charme et pour les auteurs, il ne fait aucun doute que Floreska a eu une influence très forte sur sa pensée critique. C’est grâce à elle et à ses connections avec les milieux protestants radicaux anglo-saxons qu’il s’engagea dans le combat pour l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis. C’est encore elle, avec ses amies féministes comme l’écrivaine communarde André Léo, qui l’amène à affermir ses convictions relatives à l’émancipation féminine. Et c’est à ses côtés qu’il se lancera dans le dernier combat de sa vie : la création d’une école professionnelle pour les jeunes filles ; école qui ouvrira ses portes en 1873, quelques semaines avant qu’il ne décède ; école pour laquelle Floreska se battra sa vie durant.

Eduquer pour émanciper, tel était le credo du couple. Arracher toutes les jeunes filles de bonne famille à leur destin social d’épouse et de mère oisives, donc dépendantes de l’époux ; leur offrir des perspectives d’émancipation par le travail intellectuel et manuel ; en faire, disait Floreska Guépin, « des mères intelligentes et instruites » capables d’éduquer la nouvelle génération. Comment ne pas voir dans ce projet audacieux pour l’époque l’influence majeure de Floreska dont le protestantisme portait en lui la révalorisation du travail, et qui, jusqu’à son mariage, était financièrement indépendante ?

Beau portrait de femme donc. La postérité a longtemps cantonnée Floreska la discrète à son statut d’épouse du grand homme. Elle était bien plus que cela, et les auteurs n’ont de cesse de souligner la force de ses engagements. Mais ce livre est aussi le passionnant portrait d’un couple militant « fondé sur le partage intellectuel et sur l’action commune », chose fort rare dans la France bourgeoise du 19e siècle.

[Version audio disponible]

1Michel Aussel, Le docteur Ange Guépin. Nantes, du Saint-Simonisme à la République, PUR, 2016.

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