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Billet de blog 8 novembre 2024

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Le temps des révoltes

En 2015, les Editions de l’Echappée publiait "Le temps des révoltes", livre écrit par Anne Steiner. Neuf ans plus tard, ce livre est de nouveau accessible au public dans une version augmentée de deux chapitres.

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Anne Steiner, Le temps des révoltes – Une histoire en cartes postales des luttes sociales à la Belle Epoque, L'Echappée, 2024.


En 2015, les Editions de l’Echappée publiait Le temps des révoltes, livre écrit par Anne Steiner. Neuf ans plus tard, ce livre est de nouveau accessible au public dans une version augmentée de deux chapitres. Outre les quais de Nantes marqués par la grève des dockers en 1907, les corons du Nord, le Languedoc en ébullition, ou encore Chambon-Feugerolles dans le pays stéphanois, l’autrice nous entraîne à Draveil, en 1908, et à Méru dans l’Oise, un an plus tard. Le livre comprend onze chapitres, richement illustrés, nous plongeant avec bonheur dans une décennie d’insubordination ouvrière au temps d’une CGT dominée par le syndicalisme révolutionnaire.

Illustration 1

Certaines grèves sont connues. C’est le cas de la révolte des mineurs du Nord en 1906, conséquence du coup de grisou meurtrier ayant frappé la ville de Courrières. Un déploiement militaire important sera nécessaire pour ramener le calme dans les corons, alors qu’un boutefeu libertaire, Benoît Broutchoux, fait vaciller le syndicat tenu par le très réformiste Emile Basly. Anne Steiner ne pouvait passer sous silence la révolte des viticulteurs du sud-ouest en 1907 qui, victimes tout autant du phylloxéra que de la concurrence des vins d'Algérie, d'Espagne et d'Italie, mettent sens dessus-dessous le Languedoc, au grand dam de Georges Clemenceau alias Le Tigre, alias « le premier flic de France », furieux que des fantassins aient refusé de tirer sur les viticulteurs en colère !

Connue également la grève des terrassiers-carriers de Draveil et Villeneuve-saint-Georges de 1908. Conflit remarquable où le fait de revendiquer des salaires et des conditions de travail convenables se paye d’une dizaine de morts et de centaines de blessés, mais conflit dont on a surtout retenu qu’il avait eu pour conséquence de décapiter la CGT syndicaliste-révolutionnaire, sa direction étant jetée en prison suffisamment longtemps pour permettre à la tendance réformiste de prendre la main et d’infléchir la politique confédérale.

Moins connue en revanche la grève des dockers nantais de 19071, marquée par la mort par balle d’un docker par un gendarme, des arrestations à foison pour entraves à la liberté du travail, et la venue à Nantes de deux figures du syndicalisme révolutionnaire : Georges Yvetot alias Le Bouledogue, tribun anarchiste de premier plan, et Charles Marck, docker havrais, responsable de la fédération nationale des dockers, tout aussi radical dans ses propos. Yvetot et Marck qui finiront en prison, comme il se doit, car pour le pouvoir central, il faut briser par la répression ces syndicalistes qui défient l’ordre social et politique.

Méconnue la révolte au parfum de jacquerie des ouvriers serruriers picards qui, en 1906, incendient la demeure d'un de leurs patrons. Là encore, le gouvernement a recours à la troupe pour ramener l’ordre. Qui se souvient de ces boutonniers de l’Oise qui, à Méru, au printemps 1909, cessent de travailler la nacre pour protester contre une baisse de 25 % de leur salaire ? Comme à Nantes, des soupes communistes sont mises en place, on défile dans les rues, on subit la répression… et on finit par rentrer tête basse au turbin. Je ne connaissais pas plus les violents affrontements qui secouèrent Raon L'Etape, ville des Vosges où à l'été 1907, la colère ouvrière se fait émeute, les drapeaux noirs flottent au vent et des barricades sont érigées, tel un joli pied-de-nez, rue Adolphe-Thiers, Thiers le Versaillais.

Pour faire revivre pleinement ces événements, Anne Steiner s'est appuyée sur une riche collection de cartes postales à caractère politique et social, dont la Belle Epoque fut l'âge d'or. Elle souligne avec raison, en introduction, l'intérêt de ces cartes postales car, « au-delà des seuls grévistes, c'est en effet toute une population impliquée dans ces conflits sociaux qui se donne à voir. » La grève n’oppose pas grévistes et patrons, mais tout un monde ouvrier (travailleurs, conjoints, enfants) qui se bat, affiche et affirme sa solidarité. Ce livre passionnant nous rappelle qu'il y a un siècle de cela le syndicalisme n'était pas une affaire de spécialistes et de bureaucrates…

1. Sur cette grève, je vous renvoie au livre de Samuel Guicheteau, Manuella Noyer et moi-même : Dockers, une histoire nantaise : travailler et lutter sur les quais (XVIe-XXe siècle), Editions du Centre d'histoire du travail, 2023. Livre préfacé par l'historien John Barzman dont le travail sur les dockers havrais devrait paraître sous peu...

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