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Billet de blog 9 janvier 2025

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Berneri et Rosselli : l'antifascisme et la révolution

Camillo Berneri et Carlo Rosselli, deux Italiens, militants révolutionnaires, hérétiques, que deux choses unissent : un destin tragique et une volonté de conjurer le sectarisme minant l’antifascisme transalpin. Ils sont au coeur de "Contre l’État. Article et correspondance", livre proposé par Enzo Di Brango et publié par les Nuits rouges.

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Camillo Berneri, Carlo Rosselli, Enzo Di Brango (Edition préparée par), Contre l’État. Articles et correspondance 1935-1936, Les Nuits rouges, 2024.

Camillo Berneri et Carlo Rosselli, deux Italiens, militants révolutionnaires, hérétiques, que deux choses unissent : un destin tragique et une volonté de conjurer le sectarisme minant l’antifascisme transalpin. Ils sont au coeur de Contre l’État. Article et correspondance, livre proposé par Enzo Di Brango et publié par les Nuits rouges.

Destin commun : l’anarchiste Camillo Berneri a été liquidé à Barcelone par les « fascistes rouges » le 5 mai 1937 en pleine semaine sanglante1, ce moment tragique qui vit la République alliée aux staliniens mettre au pas par les armes les révolutionnaires les plus radicaux ; un mois plus tard, le socialiste Carlo Rosselli était exécuté, comme son frère, par l’extrême droite française aux ordres de Mussolini.

Illustration 1

Rénovation : Berneri pourfend l’anarchisme « ossifié » et s’en prend aux camarades à la « mentalité étroite et paresseuse » qui « (ruminent) la parole des maîtres »2 ; de son côté, Carlo Rosselli, fondateur du groupe antifasciste Justice et liberté, appelle à insuffler de l’éthique et du volontarisme dans le marxisme3, en somme il propose de relire Marx plutôt que ses épigones4. Le « socialisme libéral » qu’il défend n’est pas un réformisme : c’est un socialisme révolutionnaire qui considère que le socialisme est une philosophie de la liberté, non un étatisme castrateur et bureaucratique.

En 1935 et 1936, ils ont donc engagé le débat mais le but n’était pas la fusion des forces en présence : Berneri attache d’ailleurs une « valeur très relative aux programmes » politiques car « l’histoire en action » se charge de les rendre obsolètes, et Rosselli ne recherche que le débat d’idées et la collaboration pratique. Au coeur de leurs échanges, il y a la question de l’État ; un Etat qui n’est plus appréhendé par Berneri seulement comme machine répressive mais comme « échafaudage administratif » qu’on ne peut pas détruire mais que la population doit se réapproprier ; un Etat « ennemi de la société », monstre et parasite, qui est partout, répond Rosselli en s’appuyant sur les écrits de Marx lui-même.

Contre le centralisme qui étouffe la spontanéité et la créativité, contre le culte de l’État, contre le « paradis soviétique » (même si l’URSS, Lénine ou Staline sont quasiment absents de leurs discussions), Berneri et Rosselli défendent un socialisme libéral fédéraliste reposant sur la commune, le conseil d’usine, les bourses du travail, « organes vivants de l’autonomie ». Le parti omniscient avec ses grands prêtres n’a pas sa place dans ce schéma. Le parti n’est pas un Etat en miniature, nous dit Rosselli, mais « une société microcosmique, avec toute la pluralité, l’intensité et la richesse des motifs propres à une société libre et active ».

Berneri et Rosselli : deux hommes qui pensaient et qui agissaient. Lorsqu’a éclaté la guerre d’Espagne en juin 1936, ils traversèrent les Pyrénées et mirent sur pied une colonne italienne qui intégra une milice anarchiste espagnole intervenant sur le front d’Aragon. Ils y firent face à leurs deux ennemis : le fascisme et le stalinisme.

[Version audio disponible]

Outre les ouvrages classiques (Bolloten, Témime/Broué, Peirats…), sgnalons Michel Ollivier (Coord.), L'anarchisme d’État, La Commune de Barcelone, Ni Patrie, ni frontières, 2015 ; Carlos Semprun Maura, Révolution et contre-révolution en Catalogne - Socialistes, communistes, anarchistes et syndicalistes contre les collectivisations, Les Nuits rouges, 2002 ; Agustin Guillamon, Barricades à Barcelone 1936-1937, Spartacus, 2009.

2 Camillo Berneri, Oeuvres choisies, Editions du Monde libertaire, 1988.

3 Carlo Rosselli, Socialisme libéral. Traduction et présentation par Serge Audier, Le Bord de l’eau Ed., 2009.

4 Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Payot, 1974.

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