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Billet de blog 12 février 2025

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Les routes du poison nazi

En 2020, Anne Mathieu nous mettait dans les pas de reporters et journalistes antifascistes ayant traversé les Pyrénées pour participer, par la plume, à la guerre civile espagnole. Aujourd’hui, elle nous propose de suivre certains d’entre eux en Europe centrale, au moment où Hitler se fait, en actes forts, le défenseur d’une germanité menacée et le bâtisseur d’un Reich ethniquement pur.

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Anne Mathieu, Sur les routes du poison nazi. Reporters et reportrices de l’Anschluss à Munich, Syllepse, 2024

En 2020, Anne Mathieu nous mettait dans les pas de reporters et journalistes antifascistes ayant traversé les Pyrénées pour participer, par la plume, à la guerre civile espagnole1. Aujourd’hui, avec son nouvel ouvrage, Sur les routes du poison nazi, cette universitaire spécialiste des années 19302 nous propose de suivre certains d’entre eux en Europe centrale, au moment où Hitler se fait, en actes forts, le défenseur d’une germanité menacée et le bâtisseur d’un Reich ethniquement pur.

Illustration 1

Ces reporters, hommes et femmes, vont, nous dit l’autrice, « là où personne ne se rend (…) là où les ennemis politiques se trouvent ». Ce n’est pas encore la guerre mais l’atmosphère en a l’avant-goût.

Nous sommes donc en 1938, et « un nouveau front s’ouvre à l’Est ». Alors que l’Espagne républicaine plie, sans encore rompre, sous les coups des troupes franquistes appuyées par l’Italie et l’Allemagne, de sombres nuages planent au-dessus de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie.

L’Autriche indépendante est en sursis. A dire vrai, son indépendance était depuis une poignée d’années toute relative. L’heure est donc à la réunification (Anschluss). Les nazis allemands comme autrichiens ont gagné la partie. Abasourdi, un reporter écrit : « L’Autriche (agonise) dans les hurlements d’une foule hystérique, dans les Sieg Heil (…) scandés à tous les coins de rue ». Vient le temps de l’épuration, de la délation, de l’Inquisition et de la terreur. Socialistes, communistes, Juifs, du moins ceux qui n’ont pas pris le chemin de l’exil, commencent à remplir les camps dits de travail, quant ils ne sont pas, plus simplement, froidement liquidés.

Atmosphère différente à Prague face à la menace nazie, puisque Hitler entend annexer les Sudètes, région germanophone dans laquelle il dispose d’appuis forts. Aux Autrichiens applaudissant à leur asservissement, les reporters opposent les Tchèques, « peuple fort, réfléchi et discipliné », prêts à se battre pour la liberté ; et peuple accueillant pour celles et ceux qui fuient la terreur. Les reporters soulignent le courage des antifascistes des Sudètes, tentant de survivre dans un environnement hostile. Ici comme ailleurs, les nazis sont partout, dans la rue et les lieux de travail. A qui parler ? Vers qui se tourner ? Quand la délation est honorée, qu’ « il y a toujours des oreilles hostiles pour entendre, des yeux aigus pour guetter », difficile de trouver des interlocuteurs...

Et puis il y a Munich, et son accord qui a le goût de la honte et signe le « règne de la violence triomphante ». Abandonnée par la France et l’Angleterre, la Tchécoslovaquie est dépecée. La plume des reporters se fait amère: les Tchèques ont tout connu, dit l’un d’eux, mais « ils n’avaient pas encore connu l’abandon » ; un second écrit : « J’ai vu cette nuit mourir une nation qui avait été l’alliée fidèle de la France et l’avait aimée. (…) Elle est morte d’avoir cru en la parole des hommes qui gouvernent mon pays et j’ai passé une nuit de honte ».

Ce ne sera pas la dernière pour ces travailleurs intellectuels qui « eurent la conscience aiguë que le poison nazi se répandait à une rapidité que leur information scrupuleuse ne parvenait pas à maîtriser. »

[Version audio disponible]

1 Anne Mathieu, Nous n’oublierons pas les poings levés. Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre d’Espagne, Syllepse, 2020.

2Elle dirige la revue Aden.

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