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Billet de blog 12 novembre 2025

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Le fantôme de Sékou Touré

Il fut l’homme qui osa dire non, et cela fit sa légende. Sékou Touré incarna un temps le refus du néocolonialisme et l’idéal panafricain.

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Elara Bertho, Conakry, une utopie panafricaine. Récits et contre-récits 1958-1984, CNRS, 2025.

Il fut l’homme qui osa dire non, et cela fit sa légende. Sékou Touré incarna un temps le refus du néocolonialisme et l’idéal panafricain. Elara Bertho nous en dit plus avec Conakry, une utopie panafricaine. Récits et contre-récits, 1958-1984.

Illustration 1

A l’été 1958, de retour au pouvoir, de Gaulle, l’homme de la Résistance, accomplit une tournée en Afrique de l’Ouest pour y vendre son projet de communauté franco-africaine. Chaque colonie est appelé, par referendum, à se déterminer. Seuls les Guinéens refusent cette tentative de maintenir en vie l’empire colonial. En 1960 quand les anciennes colonies acquièrent leur indépendance, la Guinée dirigée par Sékou Touré devient l’ennemi à abattre pour le gouvernement français qui n’a guère apprécié un tel affront. Et l’on sait à quel point la Françafrique est adepte des coups tordus et sait reprendre d’une main ce qu’elle a dû concéder1...

« Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». Ces mots de Sékou Touré jetés à la face de de Gaulle sont la « matrice de l’imaginaire politique guinéen ».

Pour des intellectuels, militants et artistes anticolonialistes locaux comme étrangers, la Guinée devient la patrie de leurs espoirs émancipateurs et panafricains, le visage de la Résistance et non celui de la veulerie de ses voisins ayant accepté leur mise sous tutelle. Sékou Touré détestait Senghor en qui il voyait un serviteur de l’impérialisme français.

Confrontés au tournant autoritaire pris très vite par le régime, les Guinéens sont appelés à défendre leur patrie assiégée et à honorer leur président, dont le culte envahit l’espace public. Les artistes sont mis à contribution pour célébrer la grandeur de la nation naissante et celle de son leader à la plume ardente et poétique. Car, comme Mao, Touré se veut poète...

Le combat politique est tout autant culturel. Artistes et plumitifs obséquieux sont mis à contribution sur tout le territoire et dans toutes les langues pour honorer l’homme du non, devenu dictateur paranoïaque, et flétrir les traîtres, les agents de l’étranger mais aussi la jeunesse trop insouciante culturellement pervertie par l’Occident mercantile : le yéyé ne peut être l’homme nouveau, soucieux d’authenticité, promu par le régime. Certains le font, par conviction ou par intérêt, quand ce n’est pas avec l’angoisse d’être la prochaine victime des humeurs présidentielles. D’autres ferment les yeux sur les horreurs du régime, gardant pour le vieux satrape la même affection qu’ils avaient pour lui à l’été 1958. L’opposition au régime ? Elle est liquidée, disparaît dans les geôles ou s’exile ; et c’est depuis l’exil qu’elle dénonce un régime devenu fou, sans rompre pour autant avec l’idéal de 1958 : le refus du néocolonialisme et l’espoir mis dans un socialisme émancipateur.

A partir d’archives privées, publiques et de publications politiques et culturelles, Elara Bertho fait ainsi le portrait d’une génération intellectuelle passé de l’espoir à la désillusion, mais qui garde une « immense nostalgie » de ce temps où le socialisme était à l’ordre du jour. Le fantôme de Sékou Touré hante toujours les consciences guinéennes.

1François-Xavier Verschave et Philippe Hauser, Au mépris des peuples. Le néocolonialisme franco-africain, La Fabrique, 2004.

[version audio disponible]

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