Hélène Combes, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, CNRS Editions, 2024.
Avec son livre, De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico, la politiste Hélène Combes apporte une contribution originale à notre compréhension de la vie politique mexicaine contemporaine puisque son enquête ne porte pas sur les élites politiques mais sur une poignée de militants de terrain, membres des classes populaires.

Il y a près de 20 ans, en 2006, dans des conditions douteuses, le candidat de la gauche Andrès Manuel Lopez Obrador est battu lors des élections présidentielles par le candidat de la droite conservatrice, Felipe Calderon. En 2018, il prend sa revanche1. Entre ces deux dates, tout d’abord 48 jours d’occupation populaire de Mexico, période durant laquelle la gauche a espéré que le Tribunal électoral lui donne finalement la victoire ; et dans ce « vaste campement contestataire » construit à la hâte, on note une présence imposante de milliers d’habitants des quartiers populaires. Cette mobilisation ne fut pas couronnée de succès mais elle a lancé une dynamique qui a duré plus d’une décennie.
Marina, Santos, Flor, Isidro sont au coeur du livre d’Hélène Combes. Beaucoup de choses les séparent (âge, sexe, condition sociale, capital culturel et militant) mais deux choses au moins les unissent : le respect, voire la tendresse, qu’ils ont pour le charismatique Lopez Obrador (mais le charisme ne fait pas tout !) ; un engagement fort pour le changement politique.
Car Lopez Obrador a compris que pour vaincre, dans ce pays gangrené par la corruption2, il lui fallait convaincre, et pour cela, il lui fallait bâtir une armée de militants et militantes capables de mailler les quartiers populaires dans lesquels ils vivent : des quartiers où la précarité sociale est le lot de la plupart des habitants ; des habitants qu’il faut intéresser à la chose politique régulièrement par le biais de campagnes de mobilisation ; des habitants qu’il faut aussi épauler dans les démarches du quotidien afin qu’ils fassent valoir leurs droits, car au Mexique, nous dit l’autrice, « l’administré ne vient pas à la prestation sociale mais la prestation sociale vient à l’administré » ; autrement dit, le non-recours aux droits sociaux serait plus massif encore sans l’intervention des dits militants. Certains n’y verront là que de banales relations clientélistes et une forme de contrôle social (l’octroi d’une aide sociale incitant à un renvoi d’ascenseur électoral). Il est clair que certains dirigeants de la gauche mexicaine se préoccupent assez peu de la façon dont les masses se mobilisent pour eux. De même, un fort engagement dans le parti peut permettre au militant de décrocher un modeste emploi dans l’administration locale… mais Hélène Combes nous invite à voir également dans ces militants qui se démènent sans compter des « intermédiaires du quotidien » dont l’engagement concret rappelle que l’entraide, la solidarité sont au coeur des pratiques populaires mexicaines.
Hélène Combes nous offre avec ce livre très riche un portrait chaleureux de militants de terrain, porté par l’espoir d’un avenir meilleur et la conviction que ce sont tout autant les têtes que les coeurs qu’il faut embarquer dans le combat politique.
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Notes :
1 En 2024, l’ancienne maire de Mexico Claudia Scheibaum lui a succédé. Comme lui, elle était membre du MORENA (Mouvement de régénération nationale).
2 A ma connaissance, le président Pena Nieto, qui a précédé Lopez Obrador à la présidence, coule des jours heureux en Espagne, ce qui le met à l’abri de la justice mexicaine qui l’accuse d’enrichissement illicite et autres peccadilles...