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Billet de blog 16 janvier 2025

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L'eugénisme en version latine

Qu’y a-t-il à l’origine de l’eugénisme ? La volonté d’améliorer le patrimoine génétique d’une population donnée. On a longtemps opposé un eugénisme nordique dit « négatif » à un eugénisme latin « proche de l’hygiène sociale et de la santé publique ». Des chercheurs nous rappellent que rien n’est moins simple...

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Xavier Tabet, Françoise Martinez et Manuelle Peloille (slld), Fabriques latines de l’eugénisme 1850-1930, PUR, 2024.

Qu’y a-t-il à l’origine de l’eugénisme ? La volonté d’améliorer le patrimoine génétique d’une population donnée. Ne « lire l’histoire de l’eugénisme qu’au prisme de l’Holocauste » et des lebensborn ne peut être que réducteur. On a longtemps associé l’eugénisme au monde anglo-saxon et allemand, ou, pour être plus juste, on a opposé un eugénisme nordique dit « négatif », favorable à l’élimination des êtres dit inférieurs, à un eugénisme latin dit « positif », « proche de l’hygiène sociale et de la santé publique », visant à encourager la reproduction des individus réputés supérieurs. Une quinzaine de chercheurs nous rappellent, avec leur livre Fabriques latines de l’eugénisme 1850-1930, que rien n’est moins simple : l’eugénisme positif est en réalité un « archipel multiforme caractérisé par une multiplicité de variantes politiques, sociales et culturelles, et par la présence de différents styles nationaux ». Progressistes et réactionnaires, démocrates et autoritaires, néomalthusiens et féministes, humanistes et darwinistes sociaux… des militants, des scientifiques comme des hommes d’État « latins » ont soutenu et porté des politiques eugénistes parfois d’une grande brutalité1.

Illustration 1

Un spectre hante le 19e siècle pour les élites politiques et scientifiques : la dégénérescence de la race. Dans ce siècle marqué par le développement de la biologie et de la médecine, le recul de la religion et la montée des nationalismes, « l’eugénisme remplace la peur du déclin » : améliorer la race est possible, nécessaire, et, si l’on veut éviter la décadence, il est même du devoir de l’État d’intervenir fermement afin de bonifier le capital humain de la nation. L’éminent physiologiste pacifiste et prix Nobel Charles Richet déclare ainsi : « l’individu n’est rien et l’espèce est tout ». Derrière l’eugénisme, il y a toujours de la politique et de l’idéologie, un regard sur le monde et sur les périls qu’il faut conjurer. Et au mitan de ce 19e siècle de grands bouleversements, les périls sont nombreux !

Quels sont donc les visages de la dégénérescence ? Il y a l’idiot et le criminel-né, victimes de leur hérédité, qu’il faut supprimer ou stériliser, le prolétaire des bas-fonds urbains aux instincts primaires et sa femme trop féconde, la populace trop nombreuse pour être négligée… mais pas forcément le métis, ce bâtard produit notamment par la colonisation2, et qui tourmente la communauté scientifique. A ceux qui entendent préserver la race supérieure de toute impureté, d’autres, bien plus rares il est vrai, défendent le métissage, tout en tenant pour acquises la hiérarchie raciale et la suprématie de la race blanche. Ainsi au Pérou, pour conjurer le « péril indien », le métissage va s’inscrire dans le cadre d’une politique raciste et paternaliste de désindianisation du pays et de contrôle de la sexualité féminine.

Optimistes, pessimistes, pragmatiques : certains considèrent qu’il faut agir sur l’environnement pour régénérer la race, quand d’autres pensent que c’est peine perdue.

Les auteurs soulignent que le monde « latin » ne fut pas immunisé contre l’eugénisme négatif et épargné par le darwinisme social et son mépris pour les faibles et les disgraciés, bien au contraire. Dans un monde où les chercheurs se lisent, se critiquent et s’influencent, ils s’avèrent que certaines idées portées par des eugénistes « latins » furent « récupérées plus tard dans des pratiques dites négatives de l’eugénisme ».

[Version audio disponible]

1André Pichot, La société pure. De Darwin à Hitler, Flammarion, 2000.

2Jean-Frédéric Staub et Silvia Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales (15-18e siècle), Albin Michel, 2021, pp. 192-205.

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